Until Dawn - PlayStation 4

Until Dawn – Entretien avec Will Byles (Executive Director)

En marge de notre test d’Until Dawn, nous avons également pu nous entretenir avec l’un des artisans du jeu : Will Byles, executive director sur le titre de Supermassive Games. L’occasion rêvée d’en apprendre un peu plus sur les coulisses de cette exclusivité PlayStation 4 mais aussi, et plus généralement, sur l’avenir et les limites actuelles de l’industrie vidéoludique.

Pourriez-vous revenir sur les origines d’Until Dawn ? Quand et comment a débuté le projet ?

Il y a quatre ans environ, Supermassive Games a été approché par Sony en vue de concevoir un jeu basé sur le PlayStation Move de la PlayStation 3. Je venais tout juste de rejoindre le studio quelques mois auparavant afin de développer des jeux à consonance « drames interactifs » et l’idée de départ était de faire un jeu d’horreur pour ados à la première personne. Estimant que notre script et nos dialogues seraient pourris, nous avons engagé Larry Fessenden et Graham Reznick pour travailler sur un scénario de qualité. Nous avons présenté Until Dawn à la Gamescom 2012 et les réactions furent particulièrement enthousiastes. Pour autant, la question qui revenait constamment était : « Pourriez-vous décliner ce concept avec la DualShock 4 qui embarque elle aussi différents capteurs ? ». À la réflexion, quitte à concevoir Until Dawn pour PlayStation 4, autant faire une version encore plus cinégénique avec des visages encore plus réalistes. Venant moi-même de l’industrie du cinéma, je savais pertinemment que l’approche est très différente pour les expressions faciales. Les jeux vidéo utilisent un système ayant recours aux os derrière la peau. Plus vous avez d’os, meilleur est le résultat tout en complexifiant d’autant la tâche. Le cinéma emploie une technique appelée le Blend Shape qui consiste à scanner l’intégralité du visage pour toutes les expressions qui servent ainsi de modèles, puis à morpher de l’une à l’autre. Tout ceci était impossible sur PlayStation 3 mais faisable sur PlayStation 4. Pendant les deux ans qui ont suivi, nous avons travaillé ainsi, tout en apportant encore davantage de maturité au script et de noirceur à l’ensemble.

Dans les bonus présents au sein du jeu (déblocables au fil de la progression, NDLR), on découvre que l’élaboration d’Until Dawn ressemble trait pour trait à celle d’un film : vous avez des scénaristes, des storyboards, un compositeur, des comédiens dont vous avez capturé les mouvements et les expressions faciales en mocap, etc.

Sans oublier le travail de montage. La première année de conception du jeu est effectivement très similaire à la production d’un long-métrage : vous filmez et capturez l’ensemble des mouvements et des expressions des comédiens. La deuxième moitié est juste de la folie totale car il faut combiner tous ces éléments en un tout cohérent où les personnages réagiront dans les moindres détails au bon vouloir du joueur.

Until Dawn - PlayStation 4

Comment avez-vous enrôlé toutes ces personnes : les scénaristes, le compositeur, les comédiens ?

Pour le scénario, nous souhaitions des dialogues qui sonnent typiquement « clichés du slasher américain ». Pour cette raison, nous sommes allés à la rencontre d’un certain nombre de scénaristes / réalisateurs américains en leur demandant de nous rédiger un petit bout d’essai, un peu comme une audition. Ce que Larry Fessenden et Graham Reznick nous ont alors fourni s’est avéré bien au-dessus du lot : c’était à la fois drôle sans être débile et bourré de nombreuses petites subtilités que la plupart des gens ne saisiront sans doute pas. Pour la musique, Jason Graves est une véritable sommité dans le domaine des musiques de jeux vidéo, et notamment des jeux d’horreur. Il a également collaboré avec Jeff Grace pour la chanson du générique d’ouverture. Quant aux comédiens, nous avons auditionné près de 200 personnes au total à New York. Certains n’étaient pas encore connus quand nous les avons engagés, à l’image de Brett Dalton qui joue désormais dans la série Marvel : Les agents du S.H.I.E.L.D. et à qui nous avons donné son tout premier job en tant qu’acteur. Tout le contraire de Peter Stormare qui était déjà très connu. Hayden Panettiere n’a pas eu à auditionner. Elle avait déjà participé à d’autres jeux vidéo de par le passé et a répondu « oui » à notre demande. Elle appartient à cette génération de comédiens qui ne font pas de distinction entre leur travail au cinéma, à la télévision ou dans les jeux vidéo et ne considèrent pas ce medium comme « dégradant ».

Pensez-vous qu’à l’avenir, de plus en plus d’artisans du cinéma seront amenés à travailler sur des projets de jeux vidéo ? Pas uniquement les comédiens mais également les réalisateurs, les scénaristes, etc.

Je le crois oui. Selon moi, tout a commencé avec Peter Jackson qui supervisa King Kong. Le jeu a obtenu des critiques très mitigées car l’approche était pour le moins perturbante, passant de la première à la troisième personne, l’absence de viseur pour les armes à feu, etc. D’autres réalisateurs ont également été approchés depuis en vue d’aborder le medium sous un angle nouveau (cf. le cas de Guillermo Del Toro, NDLR). Je crois également que le travail accompli par David Cage via sa société Quantic Dream et notamment au travers du jeu Heavy Rain, nous permet d’envisager une approche beaucoup plus sophistiquée dans la façon de raconter des histoires au sein des jeux vidéo. Auparavant, les jeux vidéo se résumaient à « gameplay puis histoire puis gameplay puis histoire » et ainsi de suite. Désormais, les deux sont en train de fusionner : le gameplay est l’histoire qui est elle-même le gameplay. Désormais, faire un film me parait très simple même si je sais pertinemment que ça ne l’est pas. Vous avez 1h30 pour raconter une seule histoire. Facile (rires) ! Until Dawn doit prendre en considération des tonnes d’histoires différentes en fonction des choix du joueur pendant 9h.

Until Dawn - PlayStation 4

J’ai lu dans une interview de Jez Harris, production manager, que l’idée d’Until Dawn était de faire un « slasher pour ados interactif ». C’est bien cela ?

En quelconque sorte oui. Nous ne voulions pas trop en dévoiler sur les tenants et aboutissants de l’intrigue. C’était donc un bon moyen pour pitcher l’idée de départ… pour mieux la subvertir par la suite.

Quand on évoque des slashers, on pense aussitôt à des films comme Halloween (1978), Vendredi 13 (1980), Les Griffes de la nuit (1984). Des films qui sont aujourd’hui considérés comme des classiques du genre mais pas uniquement en raison de leur tueur ou des meurtres qui y sont commis mais avant tout grâce à leur atmosphère ainsi que leur profondeur sociale et psychologique. Pensez-vous que les jeux vidéo en général et Until Dawn en particulier puissent un jour atteindre un tel statut ?

Je le crois tout à fait et c’est précisément ce genre d’atmosphère et de profondeur que nous avons tenté d’atteindre avec Until Dawn. Nous avons également regardé Scream (1996), Souviens-toi… l’été dernier (1997), La Cabane dans les bois (2012). Leur façon d’aborder le slasher est la suivante : nous savons que vous, le public, connaissez et comprenez les règles mais ce que nous allons faire, c’est détourner ces règles. Scream l’avait très bien fait en tournant le genre en dérision. La Cabane dans les bois avait poussé le concept encore plus loin en mettant en exergue le fait que tout ceci n’est que manipulation. Nous avons tenté de faire de même avec Until Dawn en fournissant des personnages « de départ » dans la tradition du genre qui ne sont pas nécessairement très sympathiques. Libre à vous de les faire ou non évoluer au fil du jeu en fonction des choix que vous effectuerez. L’idée était donc d’établir toutes ces règles pour mieux les briser par la suite.

Dans l’un des bonus, Lee Robinson, production designer, cite Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock et Shining (1980) de Stanley Kubrick comme des références en matière d’éclairage. Y a-t-il eu d’autres films qui ont servi de modèle, dans quelque registre que ce soit, pour la conception d’Until Dawn ?

Les classiques que vous citiez précédemment en font bien entendu partie. En matière d’éclairage, nous nous sommes également beaucoup inspirés des films de Ridley Scott ainsi que du travail de Douglas Slocombe, un immense directeur photo qui a pris part à de nombreux longs-métrages en noir et blanc ainsi qu’à la trilogie Indiana Jones des années 1980. Il éclairait surtout en utilisant des jeux d’ombre et de lumière que nous avons tenté de reproduire dans Until Dawn. Nous avons énormément travaillé sur la photosensibilité d’une captation sur pellicule en utilisant un rendu par exposition. Une approche unique dans l’univers des jeux vidéo où les éclairages sont systématiquement pré-calculés.

Until Dawn - PlayStation 4

L’inertie des personnages fait énormément penser à Resident Evil. Lorsque vous pénétrez dans un lieu ou une pièce, la caméra n’est pas fixe comme dans ce dernier, elle suit le personnage mais les déplacements sont très « rigides ».

Tout à fait. Nous souhaitions conserver ce sentiment d’immersion cinématographique comme dans Resident Evil mais cela pose également problème lors des contre-champs. Par exemple si vous avancez dans une direction et qu’ensuite l’angle de la caméra change tout en conservant le stick dans le même sens, le contexte a changé et vous ne vous déplacez plus dans la même direction qu’à l’angle de caméra précédent. Trouver l’équilibre entre esthétisme et gameplay fut une décision très difficile à prendre. Nous avons fait des tonnes d’essais pour parvenir à un bon compromis et avons parfois dû modifier les angles car les testeurs étaient vraiment perdus. Pour résoudre ce problème, le plus simple aurait été une caméra en suivi mais vous perdez alors énormément de la capacité d’immersion du jeu à mon sens.

En parlant des tests, un des bonus montre des personnes essayant le jeu sur les passages les plus flippants. Le but était-il uniquement d’évaluer le potentiel d’Until Dawn de ce seul point de vue ou bien ces tests avaient-ils également d’autres utilités ?

La peur, c’est un peu comme la comédie. Vous écrivez, filmez, montez puis vous projetez. Et bien qu’il n’y ait encore ni son, ni lumière, le potentiel vous semble bien là. Pour autant, vous arrivez à un point où toutes les personnes du studio ont vu ces passages-là des dizaines de fois et vous finissez alors par vous remettre en question : « Est-ce vraiment si effrayant que ça ? ». Vous commencez à en douter. Nous avons alors dû tester avec d’autres personnes. Les bracelets galvaniques (qui mesurent la conductance cutanée, NDLR) que nous avons utilisés lors de ces sessions ont également révélé que [Attention léger spoiler] certaines personnes réagissaient aussi lors de la scène où Mike et Jessica commencent à se dévêtir [Fin de spoiler], ou encore lorsque deux personnages commencent à se battre. Ces tests ne furent donc pas uniquement révélateurs des seuls passages effrayants mais de toute une gamme d’autres émotions.

Les résultats de ces tests vous ont-ils conduit à faire des changements majeurs pouvant aller jusqu’à retirer ou bien ajouter des scènes ?

Non car des changements aussi drastiques auraient eu d’énormes répercussions sur l’ensemble des ramifications possibles de l’histoire. Nous avons néanmoins effectué quelques changements, au niveau du timing ou de la bande son.

J’ai relevé un passage au cours d’une interview que vous avez donnée au dernier E3 : « Nous voulions faire un jeu qui débute sur les bases d’un genre très très reconnaissable. Ces ados sont un peu stupides, ils friment. Ce n’est pas tant qu’ils manquent de subtilité, ils mettent simplement en avant leur personnalité au sein du groupe. À mesure que progresse le jeu, vous découvrirez que leurs dialogues et leurs comportements deviennent de plus en plus réels. Ils manquent d’assurance et de confiance en eux. Dans l’industrie du jeu vidéo, il est très difficile de pitcher un concept avec un tel niveau de subtilité car les outils dont nous disposons ne sont pas toujours aussi subtils ». Qu’entendez-vous par cette dernière phrase ?

C’est ce dont je vous parlais juste avant. Nous souhaitions une histoire où les faits ne sont pas aussi triviaux qu’ils veulent bien le laisser paraître de prime abord, où il y a plein de petites nuances derrière les apparences. L’industrie du jeu vidéo a toujours dû faire face à différentes barrières technologiques, par exemple au niveau des animations, des expressions faciales, des sourires, etc. Ce n’est pas que le résultat soit cartoonesque ; nous serions plutôt ici en présence de la théorie de la vallée dérangeante. À l’époque du muet, les comédiens devaient sur-jouer, faire des grands gestes pour compenser l’absence de son. De surcroît, le rendu de l’image était souvent très granuleux, ce qui obligeait les comédiens à porter une tonne de maquillage pour souligner les différentes émotions. L’arrivée du parlant et l’amélioration de la qualité du matériel de prise de vue a permis de filmer de plus près, d’apporter davantage de nuances dans les années 1930/1940. Puis la couleur est apparue et ainsi de suite. C’est ce que nous avons tenté de faire avec Until Dawn, d’atteindre ce degré de subtilité, de nuances. Nous disposons bien entendu de technologies qui ne cessent de progresser mais une telle approche n’est pas courante dans l’industrie du jeu vidéo et nous avons dû convaincre pas mal de gens que nous pouvions y parvenir.

Until Dawn - PlayStation 4

Quand nous avons reçu le jeu final la semaine dernière, il y avait une note jointe nous demandant d’éviter, autant que faire se peut, de spoiler certains passages ou bien de révéler l’identité du tueur dans notre chronique. Les films que nous évoquions juste avant restent pourtant tout aussi efficaces des années après, y compris lorsque l’on connait à l’avance tout ce qu’il s’y passe. Pensez-vous qu’un jeu comme Until Dawn, une fois terminé par les joueurs, puisse conserver pareil attrait au fil du temps ?

J’ose espérer qu’il fera date, à l’image de ces vieux films classiques en noir et blanc qui traversent des générations qui ont toujours envie de les (re)découvrir. J’espère que le medium des jeux vidéo deviendra de plus en plus mature. Que des films interactifs naitra un langage universel comme pour le cinéma traditionnel. J’ose croire qu’Until Dawn est un pas dans cette direction. Il est toutefois très difficile d’anticiper la réaction du public. Il y aura toujours des gens qui détesteront pour maintes raisons : parce qu’il n’y a pas de foot dedans, pas de fusil mitrailleur, etc. J’ose cependant croire que la majorité des réactions sera enthousiaste pour franchir ce stade.

Vous évoquiez tout à l’heure une scène où deux personnages commencent à se dévêtir. Je ne sais pas si c’est moi qui aie fait les mauvais choix mais j’ai été déçu de ne trouver aucune scène de sexe. C’est pourtant un passage quasi-obligé dans ce genre de film.

Je confirme, vous avez fait les mauvais choix (rires). [Attention léger spoiler] Il faut que Mike se montre sous son meilleur jour s’il veut parvenir à ses fins [Fin de spoiler]. Je considère ça comme une bonne chose qu’il n’y ait pas de scène de sexe gratuite.

Je me posais la question de savoir si c’était la résultante de mauvaises décisions de ma part ou bien d’une forme d’autocensure de votre part ?

Pas du tout et nous avons même fait extrêmement attention à ne pas verser dans la gratuité afin de ne pas donner le sentiment d’un jeu sexiste. Un garçon peut porter secours à une fille mais l’inverse est également possible. Lorsque l’un se dévêtit, l’autre également, etc.

Until Dawn est un jeu très « graphique ». Depuis des années maintenant, les jeux vidéo violents sont souvent pointés du doigt comme étant responsables de la violence dans la société, spécialement auprès des jeunes. Que pensez-vous de ce débat ?

Pendant des années, la télé était jugée trop violente. Avant cela, c’était les films. Et avant cela encore, c’était les livres. Il y aura toujours un lien de causalité que feront les gens à ce sujet. Dans la plupart des jeux, votre avatar tue et je peux comprendre que certains perçoivent cela comme négatif. Dans le cas d’Until Dawn, le concept est plutôt de rester vivant, ce qui, je l’espère, offre une approche différente. C’est violent bien entendu car il s’agit d’un jeu d’horreur. De plus, nous voulions faire le distinguo entre le fait de voir votre personnage disparaître, ce qui peut très bien laisser supposer qu’il est toujours en vie, et le fait de le voir mourir. C’est la raison pour laquelle nous avons rendu les morts aussi graphiques, pour nous assurer qu’en les voyants, le joueur se dira : « pas de doute, je suis bien mort » (rires). Et puis en matière de cinéma d’horreur, le public s’attend à un certain niveau de gore. Il doit bien exister soixante-dix façons différentes de mourir dans le jeu et aucune n’est ragoutante. Mais vous pourriez tout aussi bien finir le jeu sans en voir aucune.

Car il est tout à fait possible de finir Until Dawn sans qu’aucun de vos personnages ne meurent ?

Oui.

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N’est-ce pas quelque part un peu frustrant d’avoir créer autant de scènes et se dire que la plupart des joueurs ne les verront pas toutes ?

Tout dépend du point de vue. Un seul joueur ne verra peut-être que la moitié du contenu d’Until Dawn. Mais si vous considérez l’ensemble des joueurs de la planète qui joueront à Until Dawn, alors l’intégralité des scènes aura forcément été vue. De plus, à l’heure d’internet, notamment avec YouTube, il y aura bien des joueurs pour proposer des montages compilant le tout.

Quels sont vos futurs projets chez Supermassive Games ?

Nous allons déjà atteindre de voir comment marche Until Dawn.

Une suite ?

On ne peut jamais prévoir. Et puis dans le cas d’Until Dawn, cela paraît plus compliqué à première vue car nous ignorons comment le jeu s’est terminé pour vous. Si vous avez fini sans aucun survivant, ce sera plus difficile de faire une suite directement en repartant de là. Nous avons plusieurs projets dans nos cartons, au stade de l’écriture pour la plupart mais rien de concret pour le moment. Je ne peux pas vous en dire davantage à ce stade du développement. Et puis à titre personnel, je vais prendre un peu de vacances car cela fait quatre ans que je travaille sur Until Dawn (rires).

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