Destiny (Bungie)

Destiny – Entretien avec Jesse van Dijk (Lead Concept Artist)

S’il y a un point qui a mis tout le monde d’accord à propos de Destiny, c’est bien son impressionnante direction artistique. À l’occasion de sa venue à la Paris Games Week, nous avons pu nous entretenir avec Jesse van Dijk, Lead Concept Artist du jeu, pour évoquer avec lui son travail sur cette nouvelle franchise au long cours.

À quand remonte votre toute première « rencontre » avec l’univers des jeux vidéo ?

Je devais avoir 13 ou 14 ans et je cassais les pieds à mes parents pour qu’ils m’achètent un Amiga. J’ai tenté de développer des jeux sur cette machine mais ça m’a semblé tellement difficile, exigeant et incompatible avec mes préoccupations à cet âge-là que je n’ai pas eu la force d’aller plus loin (rires). Mes toutes premières créations remontent à Doom sur Mac pour lequel j’ai commencé à concevoir des niveaux car cela me semblait être la base d’un jeu : créer des niveaux que vous pouvez ensuite explorer. Et mon job actuel est finalement assez proche de ces premières expérimentations.

En quoi consiste, dans les grandes lignes, le rôle d’un « Lead Concept Artist » sur un jeu vidéo ?

Mon équipe est responsable de tous les aspects « esthétiques » du jeu : les équipements, les armes, les environnements, etc. Tout ce qui va servir à définir l’ambiance, l’atmosphère, les blueprints. Tout cela est conçu au stade de la pré-production. Plus tard au cours du processus, à mesure que le jeu prend forme, nous regardons comment l’améliorer visuellement.

Et dans le cas de Destiny, disposiez-vous de lignes directrices ou bien vous a-t-on simplement dit « on veut un jeu d’action SF, faites comme bon vous semble » ?

Le processus créatif s’est avéré à la fois organique et itératif. Bungie venait tout juste d’en finir avec la série Halo qui était très ancrée dans l’univers de la SF et il en a découlé un désir très prononcé de faire autre chose. Lorsque nous avons évoqué Destiny pour la première fois, nous l’envisagions comme un jeu de fantasy. Pour autant, nous ne voulions pas faire un jeu 100% fantasy car beaucoup de personnes dans le studio sont des gros fans de SF. Très vite la possibilité de mixer les deux genres a donc commencé à émerger.

Destiny (Bungie)

Avez-vous été influencé par le travail de certains artistes, films, comics en particulier ?

Nous avions plusieurs sources d’inspiration en effet et la plus manifeste d’entre toutes était un illustrateur anglais des années 70 du nom de John Harris dont le travail est très vivant, coloré et optimiste. Des caractéristiques d’autant plus déterminantes dans le cas de Destiny que la base du gameplay est d’inciter le joueur à revisiter les mêmes lieux à plusieurs reprises. De fait, ces lieux se devaient d’être les plus accueillants possibles.

En termes d’organisation, combien de personnes travaillent dans votre département ? Combien de temps dure la conception des différents croquis ?

C’est très difficile à quantifier car les chiffres vont varier considérablement en fonction des besoins. Si la demande est très concrète et concerne par exemple une nouvelle arme venant s’ajouter à un arsenal bien spécifique, alors nous savons y répondre aussitôt. À l’opposé, certaines demandes sont plus diffuses. Si l’on prend l’exemple du Dreadnaught, la nouvelle destination disponible dans Le Roi des corrompus, il ne s’agit pas uniquement de proposer un upgrade visuel mais également une extension avec de nouvelles possibilités de gameplay au sein de Destiny. Nous sommes alors dans un processus beaucoup plus itératif qui consiste à tester des choses puis à les revoir, les corriger avant de les tester à nouveau et ainsi de suite. Quant au nombre de personnes, cela peut là encore varier de deux ou trois à beaucoup plus s’il s’agit par exemple de concevoir une arme nettement plus « exotique » qui implique alors plusieurs corps de métiers : concept artists, animateurs, riggers, effets spéciaux, designers sons, etc.

Les designers sons interviennent dans la conception artistique ?

Tout à fait. Notre but collectif pour chaque élément qui atterrira au sein du jeu a toujours été de placer au premier plan l’expérience finale en tant que joueur et non uniquement les graphismes ou les mécanismes du gameplay. À ce titre, le design sonore fait donc partie intégrante du processus créatif et je dirais même que son influence est inversement proportionnelle au nombre de personnes qui travaillent sur cet aspect du jeu.

Destiny (Bungie)

Au cours de ce processus itératif, j’imagine qu’une grande partie de vos créations ne sont pas retenues. N’est-ce pas quelque part un peu frustrant de voir tous ces croquis mis ainsi au rebut ?

Ce n’est pas simplement une question des éléments non retenus mais plutôt des choses qui sont proposées, analysées et déconstruites pour aboutir à un discours du type : « Pourquoi ne pas reprendre l’esprit de tel élément, le refaçonner légèrement et essayer à nouveau ? ». En définitive, tout ce qui aura été proposé mais pas forcément retenu aura malgré tout contribué à améliorer le produit final. Et c’est cette contribution qui fait la fierté de chaque développeur.

Est-ce que tous les croquis sont désormais conçus numériquement ou bien avez-vous encore recours au bon vieux crayon à papier ?

Ils nous arrivent encore à l’occasion de réaliser quelques esquisses sur papier car c’est une méthode rapide pour discuter de certaines idées. Pour autant la plupart des personnes de mon équipe utilise des Cintiq qui offrent désormais les mêmes qualités, les mêmes nuances dans le crayonné, les variations du tracé, etc. que le papier. À mes yeux, il n’y a donc plus de distinction entre la méthode traditionnelle et la méthode numérique.

Destiny a été louangé pour sa direction artistique : les graphismes, la bande son, etc. En revanche, le contenu a essuyé de nombreuses critiques : pas assez de lieux à explorer, une I.A. un peu faiblarde, etc. Est-ce précisément parce que vous avez manqué de temps et/ou d’argent pour en offrir davantage ?

Si l’on reprend l’exemple du Roi des corrompus, le but n’était pas seulement de proposer plus de diversités visuelles mais avant tout d’élargir l’expérience du joueur en proposant de nouveaux horizons qui méritent d’être explorés. Nous avons fixé la barre des exigences à un très haut niveau afin de fournir une expérience de jeu qui soit fun. Dans le cas contraire, le joueur va rapidement s’ennuyer. Nous privilégions donc la qualité à la quantité.

Destiny (Bungie)

Est-ce que vous n’en avez pas justement gardé sous le coude pour la suite puisque l’on sait désormais que Bungie a signé un contrat sur dix ans avec Activision et que les rumeurs d’un Destiny 2 ont déjà fait surface depuis plusieurs mois ?

De toute évidence, je ne peux rien dire à ce sujet pour le moment (rires). Ce que je peux vous dire en revanche c’est que nous avons conçu cette nouvelle franchise avec une vision sur le long terme où le plus important n’est pas tant ce que contiendra la version X, Y ou Z du jeu que de raconter une histoire à l’intérieur de ce monde mouvant et l’expérience finale qui en découlera.

Remerciements à Elodie Testa et à toute l’équipe du Public Système.

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