Steve Jobs - Michael Fassbender

Steve Jobs : Brillant portrait d’un génie mégalo

Quatre ans seulement après sa disparition, le fondateur d’une « célèbre coopérative fruitière » (comme le disait un certain Forrest Gump en 1994) a déjà eu les honneurs de pas moins de trois longs-métrages retraçant en partie sa très prolifique, lucrative mais oh combien tourmentée carrière. À défaut de dresser un portrait complet du bonhomme, le dernier en date, sobrement intitulé Steve Jobs, est assurément le plus réussi.

Nous nous dispenserons ici-même d’une mini bio de Steve Jobs puisqu’une fois n’est pas coutume, il suffit de se tourner du côté du net, à commencer par sa fiche wikipédia, pour en trouver les grandes lignes. Rappelons simplement que sa disparition remonte au 5 octobre 2011 des suites d’un cancer. À l’été 2013 sort sur les écrans Jobs, long-métrage porté par un Ashton Kutcher qui n’a jamais caché son admiration pour le bonhomme et pour les nombreux produits de la marque à la pomme. Le résultat n’en demeure pas moins oubliable car poliment ennuyeux, la faute à une absence de véritable angle d’approche sinon celui de dresser un portrait bien trop lisse pour être honnête. Kutcher y est impassible et l’ensemble filmé sans grand talent. Soit tout le contraire de ce Steve Jobs au pédigrée bien différent.

Steve Jobs - Affiche France

Le matériau de départ n’est autre que la biographie officielle commanditée par Steve Jobs en personne auprès de Walter Isaacson qui sortie quelques jours seulement après sa disparition. L’adaptation du bouquin ensuite est l’œuvre de rien moins qu’Aaron Sorkin que les sériephiles / cinéphiles ne connaissent que trop bien tant l’appétence du scénariste pour les arcanes du pouvoir et le fameux « débit mitraillette » de ses kilomètres de dialogues en ont fait une véritable sommité en l’espace de quelques années. À la Maison Blanche (1999-2006) et The Social Network (2010) sont là pour attester de son talent. Steve Jobs ne manquera pas d’ailleurs d’être comparé au joyau réalisé par David Fincher tant les deux œuvres traitent avec beaucoup d’à propos toute l’ambiguïté entourant les deux hommes. The Social Network s’ouvrait sur une scène où le futur créateur de Facebook se faisait plaquer dans les règles de l’art (celles de la dialectique propre au « style Sorkin ») avant que la paternité de sa « création » ne lui soit contestée par les frangins Winklevoss tandis que sa relation avec son ami Eduardo Saverin s’étiolera au fil du temps. Steve Jobs s’ouvre peu ou prou sur les mêmes thématiques. À quelques minutes de la présentation du Macintosh en 1984, Jobs (Michael Fassbender) va s’entretenir en coulisses avec Chrisann Brennan, mère d’une petite Lisa que Jobs refuse de reconnaître comme étant sa fille alors même que la révolution technologique qu’il s’apprête à dévoiler au monde entier porte le surnom de Lisa. Il devra également faire face à sa directrice du marketing Joanna Hoffman (Kate Winslet), à son ami de longue date et cofondateur d’Apple Steve Wozniak (Seth Rogen) ou encore au CEO de l’entreprise John Sculley (Jeff Daniels).

Deux autres produits phares nous seront ainsi montrés depuis les coulisses à parité au cours du film (env. 40min chacun) : le lancement du NeXTcube en 1988 du nom de la nouvelle compagnie fondée par Steve Jobs, NeXT, après que celui-ci ait été « poliment » éjecté d’Apple, et le lancement de l’iMac en 1998 suite au retour de Jobs à la tête d’Apple avec pour chacun les mêmes intervenants. Autant d’interlocuteurs qui, au fil du temps, confronteront Jobs à ses propres démons intérieurs. Et si le film a déjà été pointé du doigt par de nombreux détracteurs, à commencer par ceux dans l’entourage plus ou moins proche de Jobs, il convient ici d’apporter quelques précisions trouvées dans une interview de Danny Boyle au sein du dossier de presse (pour une fois que ce document sert à autre chose qu’à faire du passe-plats) : « Aaron (Sorkin) décrit le film comme un portrait impressionniste […] Le film est une abstraction. Il mélange des faits réels et imaginaires autour de trois actes […] Ça ne correspond pas à la réalité, c’en est une forme dramatisée ». À bon entendeur ! Car oui, ce Steve Jobs ne dresse certainement pas un portrait bien propret du bonhomme et ne cherche aucunement à asseoir le statut de véritable Dieu de la technologie que d’aucuns lui vouent. Bien au contraire. Il laisse entrevoir un personnage où le génie visionnaire le dispute à la mégalomanie (cf. la une du Times) ou encore à la tyrannie (cf. l’anecdote du « bonjour » au cours de la première présentation). C’est donc bel et bien toute l’ambivalence de Steve Jobs qui est retranscrite ici par l’entremise de ses relations avec autrui et où, comme très souvent, la frontière entre le privé et le professionnel apparaît bien ténue. Et si le script de Sorkin aux résonances de pièce shakespearienne est assurément de tout premier choix, le quatuor de comédiens y est également pour beaucoup dans cette retranscription, au même titre que la mise en scène de Boyle qui combine une nouvelle fois fluidité et dynamisme et où les partis-pris de captation vidéo soulignent eux-aussi l’évolution du personnage au fil du temps : le 16mm pour 1984, le 35mm pour 1988 et le numérique (caméra ALEXA) pour 1998. Soit une combinaison de talents à l’écran et en coulisses qui concoure à faire de ce Steve Jobs un portrait remarquable qui, à l’image de The Social Network, saura s’adresser à un public bien plus large que les simples geeks, précisément de par sa propension à placer l’humain au devant de toute considération technophile.

Toutefois, pour être un tant soit peu complet sur le sujet, il sera difficile de passer sous silence le très réussi Steve Jobs : The Man in the Machine réalisé par Alex Gibney à qui l’on doit le très remarqué Enron : The Smartest Guys in the Room (2005). Sorti en DVD chez Universal depuis le 26 janvier mais également disponible en Blu-ray VOSTF pour une quinzaine d’euros chez nos voisins d’outre-Manche depuis novembre, Steve Jobs : The Man in the Machine s’aventure un peu plus loin dans le temps (il s’ouvre et se referme sur la mort de Jobs) mais aussi dans le portrait qu’il en dresse. Celui d’un homme aux aspirations boudhistes, aux lubies pour le moins incongrues (conduire une Mercedes sans plaque d’immatriculation qu’il garait sur une place handicapée sur le campus de sa propre entreprise) et aux liens familiaux et amicaux toujours aussi ambiguës : sa vraie famille = sa compagnie ? Le doc a également le bon goût d’aborder de front les aspects financiers, comme ce scandale des stock-options antidatées pour lequel Steve Jobs échappa à la prison car, selon des analystes, la valeur d’Apple aurait alors chuté de 22 milliards de dollars. Et le doc de nous préciser que « Jobs est indispensable pour Apple, qui est indispensable pour la Silicon Valley qui est un véritable pilier de l’économie américaine ». Mais jusqu’à quel point l’entreprise est-elle vraiment américaine s’interroge également ce doc eu égard aux différents paradis fiscaux dont profitent les entreprises multimilliardaires de la Silicon Valley ? Pour autant, la véritable force de Steve Jobs : The Man in the Machine est avant tout de questionner le spectateur quant au rapport qu’il entretient aujourd’hui avec la technologie, à commencer par ce si révolutionnaire iPhone dévoilé pour la première fois en 2007 au cours d’une keynote qui a fait date. Ce « précieux » qui a changé la face de la société. Steve Jobs a-t-il asservi le monde ? L’a-t-il conduit au même isolement qu’il vivait lui-même ? Est-ce là le pouvoir véritable (posthume) de Steve Jobs ?

« Steve Jobs a changé une des composantes les plus importantes de nos vies, notre façon de communiquer, d’interagir les uns avec les autres, alors même que beaucoup de ses interactions personnelles étaient dysfonctionnelles » déclare Danny Boyle, toujours au cours de l’interview lisible au sein du dossier de presse du film. Une chose est sûre : à l’heure où le monde entier a désormais les yeux rivés sur ce petit morceau de technologie fermement vissé au creux de sa main, cette vie numérique par procuration (tout se fait désormais via son smartphone : déplacements, shopping, loisirs, drague, etc.), Steve Jobs et Steve Jobs : The Man in the Machine nous offrent à voir deux portraits aussi remarquables qu’ambivalents d’un homme qui sera parvenu, pour le meilleur et pour le pire, à changer la face de notre société moderne.

Steve Jobs de Danny Boyle – 2h02 (Universal Pictures)

Résumé : Dans les coulisses, quelques instants avant le lancement de trois produits emblématiques ayant ponctué la carrière de Steve Jobs, du Macintosh en 1984 à l’iMac en 1998, le film nous entraine dans les rouages de la révolution numérique pour dresser un portrait intime de l’homme de génie qui y a tenu une place centrale.

Note : 4/5

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