Profil 1 : Vous n’avez pas envie de bouger. Vous êtes là, assis sur votre canapé à faire votre couch potato. Vous vous demandez quoi regarder à la télé. Vous disposez de 150 chaînes dont une vingtaine dédiée au cinéma. Vous zappez. Mais que choisir ?
Profil 2 : Vous êtes toujours aussi flémard. Vous disposez d’une connexion fibre ou ADSL +, vous êtes abonné à une ou plusieurs plateformes VOD légales ou vous avez l’habitude de passer votre temps sur des sites pas trop halal à télécharger comme un porc… Bref l’un dans l’autre le choix est pléthorique et là encore vous ne savez quoi choisir.
Profil 3 : Le canapé est toujours autant votre ami. Vous avez une collection de Blu-ray / DVD qui gonfle votre compagne ou compagnon tellement il y en a partout. Vous aimez posséder mais devant de tels gratte-ciels de boîtiers il vous faut la soirée pour prendre une décision et le temps de revenir, votre moitié s’est bien entendu endormi(e).
Bref, on est tous passé par là. Et ce rendez-vous pas forcément hebdo est là pour vous enlever cette terrible épine du pied qui se résume en une seule et unique question : on regarde quoi ce soir ?
Ô, on ne cherche pas à faire dans l’original mais on va essayer pour le coup de parler de films qui nous causent, qui nous ont marqués ou qui mériteraient d’être (re)vus sans pour autant chercher à faire dans de la cinéphilie de comptoir où le lever du coude est aussi important que de débiter des théories de cinéma fumeuses dans une langue devenue pâteuse.
L’idée est donc de vous conseiller un ou deux films à se mater seul ou en couple, entre potes ou en famille le temps d’un week-end ou plus si affinité. On va aussi essayer de vous guider quant à la meilleure façon de le (re)voir tant en DVD, en téléchargement légale ou illégale (on n’est pas sectaire à DC) ou s’il devait y avoir un passage en téloche. Vous pouvez aussi vous garder cette reco (pour recommandation, un terme de marketeux qui fait florès chez les distributeurs de films branchouilles de la capitale) pour vous la mettre derrière l’oreille et la fumer pour plus tard (oui, la chute n’est pas terrible mais on n’a pas trouvé mieux).
Ce week-end on vous propose de (re)découvrir
Le film
Cinq ouvriers chômeurs parisiens, Jean, Charles, Raymond, Jacques et Mario, un étranger menacé d’expulsion, gagnent le gros lot de la loterie nationale. Jean a l’idée de placer cet argent en commun, dans l’achat d’un vieux lavoir de banlieue en ruine, qu’ils transformeront en riante guinguette dont ils seront les copropriétaires. Ils s’attellent à la besogne avec confiance. Mais la solidarité du groupe est fragile…
La Belle équipe est sans aucun doute l’un des plus beaux films français des années 30 où l’on peut citer au hasard des chefs-d’œuvre tels que L’Atalante, Pépé le Moko (de Duvivier aussi d’ailleurs), Le Quai des brumes, La Grande illusion ou encore Le Jour se lève. Des films tous emblématiques de ce courant que l’on a rangé au sein d’une formule un peu creuse de « Réalisme Poétique » pour leur côté conte urbain romantique et tragique se situant bien souvent au sein de la classe ouvrière. Pierre Billard, dans son fameux livre L’Age classique du cinéma français, préfère quant à lui utiliser « Populisme tragique » qui a en effet plus nos faveurs. On pense alors à Zola ou à Balzac qui ont portés très haut cette littérature naturaliste que ce cinéma français des années 30 a donc récupéré de la plus belle des manières. La Bête humaine de Renoir réalisé en 1938 est à ce titre le symbole et le sommet de cette convergence.
Deux ans plus tôt, La Belle équipe est aussi à sa façon un sommet de naturalisme tragique mais réalisé à un moment où soufflait en France un vent d’espoir social symbolisé par l’arrivée au pouvoir de Léon Blum et de son parti le Front Populaire. Non que le film de Duvivier puisse se targuer d’être une sorte d’œuvre porte-étendard de cette époque, il s’en est d’ailleurs toujours défendu avec son scénariste Charles Spaak, mais il est indéniable que si tragédie il y a bien, le film porte en lui une forme d’espoir chevillé au corps d’une classe ouvrière qui cherche à s’émanciper. Ô, pas en voulant refaire le monde ou une autre Révolution du type Commune de Paris de 1871, mais plutôt en voulant devenir propriétaire afin de s’affranchir de la figure tutélaire du patron. Ici, cela va passer par un coup du destin qui via un ticket gagnant de la loterie nationale va permettre à cinq amis qui avaient joués ensemble, d’accéder à ce rêve en transformant un lavoir laissé à l’abandon en une guinguette de bord de Marne. « Un petit bout de terrain avec de l’eau au bord, pour embêter les poissons » comme le dit le personnage joué par Gabin.
Duvivier y déploie une science de la mise en scène que l’on pourrait qualifier de méticuleuse où la caméra effectue des mouvements complexes très précis avec entre autre un plan séquence de toute beauté tout en essayant sans cesse de capter cette magnifique lumière printanière. C’est que La Belle équipe est d’abord un film solaire, un film de copains qui s’essayent à la vie en co-gestion où chacun est son propre boss. Une « république où tous les citoyens sont présidents ». Point d’utopie ici. Juste l’envie d’une vie à la cool. Mais le destin, en partie personnalisé par une garce interprétée par la sulfureuse et combien désirable Vivianne Romance, en décidera autrement. Le tragique vient bien de là et non d’une quelconque fatalité sociale ou congénitale. Les femmes sont au demeurant bien servies dans le cinéma de Duvivier. Au mieux ce sont des calculatrices, des cyniques ou des femmes de mauvaise vie. Au pire, c’est une formidable salope qui dans La Belle équipe affiche ses photos de nues dans sa piaule et aguiche à tout va pour mieux manipuler.
En face il y a Gabin, l’icône cinématographique de la classe ouvrière de ces années là et déjà vedette incontestable, et Charles Vanel, l’homme de peu de convictions et facilement manipulable (traits de caractère qui vont le poursuivre tout au long de sa carrière). Tous les deux sont amoureux de Gina (Viviane Romance donc) et forcément cela ne va pas très bien se finir. À la ville aussi d’ailleurs puisque Vanel n’acceptera pas que son nom ne soit pas associé sur l’affiche au même niveau que Gabin. Il lui en voudra à tel point que plus jamais ils ne tourneront ensemble. Et puis il y a les trois autres. Raymond Aimos d’abord qui joue Tintin. C’est le trublion de la bande, celui qui soude par sa constante bonne humeur. L’acteur au destin funeste (membre FFI, il fut abattu dans des circonstances demeurées mystérieuses lors de la libération de Paris) y laisse ici une marque indélébile. Charles Dorat ensuite (Jacques dans le film) qui rêve du Canada et qui est secrètement amoureux de la femme de son ami, Mario (Raphaël Médina), l’étranger espagnol en situation irrégulière venu se réfugier en France à cause de la guerre civile qui fait rage dans son pays.
Duvivier et son scénariste Belge Charles Spaak qui symbolisera tout autant ce premier âge d’or du cinéma français au même titre que Jeanson ou Prévert, tenaient à une fin sombre. Mais leurs producteurs, devant le peu d’appétence du public après six semaines d’exploitation, les convainquit qu’il fallait une fin plus heureuse, plus dans l’esprit « Font Populaire » du moment. Un nouveau montage de fin fut donc effectué et testé dans un cinéma de banlieue (Le Dôme, à La Varenne). Elle fut adoubée à une écrasante majorité (335 voix sur 366) et c’est donc celle-ci qui a traversé les décennies. Mais en 1966 (un an avant la mort de Duvivier), le film fut diffusé pour la première fois à la télévision avec la fin pessimiste à la demande des ayants droits. En 1986 puis en 2006 dans le cadre du Cinéma de minuit de Patrick Brion, La Belle équipe sera à nouveau programmé avec sa fin pessimiste tout en proposant la fin heureuse à l’issue du générique final. Pour autant, si le film est devenu progressivement l’une des œuvres phares de notre cinéma (le scan de la page du Télé 7 jours datant des années 80 ci-dessous montre bien qu’il lui a fallu du temps pour parachever cette mue), il reste un échec commercial.
Le réalisateur
Julien Duvivier est un des fondateurs de notre cinéma au même titre qu’un Jean Renoir, un Marcel Carné, un Jean Vigo ou encore un René Clair (pour n’en citer que quelques uns). Il l’a emmené tout au long de sa filmographie en des sommets rarement égalés (mais aussi en des trous d’air pour lesquels on jettera un voile pudique) qui a façonné l’identité même de ses racines. Pour autant, Duvivier n’est pas à cantonner dans l’avant-guerre. Déjà, ses films hollywoodiens des années 40-45 sont tous dignes d’intérêt. Il est certainement le réalisateur français qui s’est le mieux intégré à Los Angeles quand un Renoir par exemple s’y est plutôt cassé les dents. Ensuite, les années d’après-guerre et de la décennie suivante furent l’apogée de sa vision très pessimiste de la société française qu’il dépeint comme sclérosée, empreinte d’un cléricalisme étriqué et d’une mesquinerie totale. Panique (que TF1 vidéo vient de sortir dans un Blu-ray à l’image peu satisfaisante) qu’il réalise en 1947 avec encore au scénario Charles Spaak (d’après un roman de Georges Simenon, Les Fiançailles de M. Hire, que Patrice Leconte reprendra en 1989 dans l’extraordinaire là aussi Monsieur Hire avec Michel Blanc dans le rôle titre) et Viviane Romance, synthétise déjà tout cela mais avec une mise en scène portée à des hauteurs de maturité à la fois insolente et bouleversante. Sans oublier une direction d’acteurs au cordeau qui donne à Michel Simon l’un des meilleurs rôles de sa carrière. Il y a aussi Sous le ciel de Paris en 1951 qui reste d’une étonnante modernité dans sa façon de chorégraphier une journée parisienne et ces personnes aux destins qui finissent par s’entremêler et se confondre.
Mais dans la conscience populaire c’est bien Le Petit monde de Don Camillo (1952) et sa suite directe qui resteront. La rigueur devenue légendaire du réalisateur associé à un talent certain pour maintenir un rythme propre à la comédie de situations et de dialogues (René Barjavel, oui le futur et génial écrivain principalement connu pour ses romans d’anticipation, y contribuera pour beaucoup) trouvera ici de quoi paradoxalement s’épanouir.
La suite, ce sera encore deux grands films très noirs. Voici le temps des assassins en 1956 (DVD édité chez René Chateau et en Blu-ray pour septembre 2017) où il retrouve Jean Gabin qui se fait avoir jusqu’au trognon par une Danièle Delorme encore plus fourbe que Viviane Romance. Et puis Marie-Octobre en 1959 (DVD édité chez Pathé et annoncé en Blu-ray chez le même éditeur pour aussi septembre 2017), film chorale à huit clos où Duvivier va harceler de sa caméra transgressive chacun des onze personnages de son histoire afin de trouver le coupable d’une dénonciation faite sous le temps de l’occupation quinze plus tôt. Il y donnera là une véritable leçon de cinéma absolument sans concessions tout en imposant avec maestria unité de temps, de lieux et d’action.
Jaquette de la VHS (René Chateau)
Comment le voir
Comme on le disait plus haut, outre l’absence de diff TV depuis 2006, René Chateau s’est vu imposé par voie de justice la même année puis confirmée en appel en 2011, l’impossibilité de continuer à commercialiser le film qu’il avait dans son catalogue depuis le temps de la VHS. En fait, les ayants-droit représentés par Christian Duvivier, fils de Julien Duvivier, ainsi que Janine Spaak, épouse de Charles Spaak, reprochaient aux Éditions René Chateau d’exploiter sans autorisation le long métrage dans sa fin optimiste bafouant ainsi les (dernières) volontés du réalisateur qui ne voulait plus en entendre parler. Ce que René Chateau a toujours combattu considérant que le film a été exploité ainsi pendant des décennies.
Cela fait donc 10 ans que le film est invisible. Mais bonne nouvelle puisqu’il vient d’être montré (avec sa fin pessimiste) lors de la 4ème édition du Festival International du film restauré organisé par la cinémathèque française dans une copie magnifiquement restaurée 4K. On peut même vous dire qu’un Blu-ray est en préparation chez Pathé pour une sortie prévue en avril 2017 selon Tessa Pontaud (Pathé Archives) qui est venu présenter le film. On en a profité pour lui demander si la fin optimiste ferait au moins partie des bonus. La réponse fut très évasive. Apparemment Pathé aimerait pouvoir le proposer mais les ayants-droit, certainement très échaudés par leur aventure judiciaire avec René Chateau, ne le souhaitent absolument pas. Comme le dit Patrick Brion ci-dessous, c’est tout de même très dommageable pour le spectateur / consommateur a fortiori quand il a été bercé toute sa vie par cette version du film. Edit avril 2017 : Et il a été entendu puisque le Blu-ray propose bien les deux fins…
Merci pour ce billet informatif dont je partage les vues entièrement.
On consacre au pinacle Renoir et Fellini alors que Duvivier et Risi étaient sans doute les vrais génies de cette époque.
Les superlatifs manquent tant l’oeuvre de Duvivier comporte de chefs d’oeuvre intemporels.
Regardez aussi l’étrange et magnifique » Boulevard ! (1960) » avec un jeune de 15 ans : Jean-pierre Léaud.
Voir également » Le Diable et les Dix Commandements » (1962) admirablement écrit et interprété.
Ce qui séduit dans ces films c’est une atmosphère, une humanité, une sérénité et une beauté qui ont disparu aujourd’hui dans nos villes dénaturées d’abord, et maintenant dans nos campagnes…
Merci. C’est aussi pour lire ce genre de réactions que nous écrivons ;o)