Marius

La reco couch potato du week-end : La Trilogie Marseillaise

Profil 1 : Vous n’avez pas envie de bouger. Vous êtes là, assis sur votre canapé à faire votre couch potato. Vous vous demandez quoi regarder à la télé. Vous disposez de 150 chaînes dont une vingtaine dédiée au cinéma. Vous zappez. Mais que choisir ?

Profil 2 : Vous êtes toujours aussi flémard. Vous disposez d’une connexion fibre ou ADSL +, vous êtes abonné à une ou plusieurs plateformes VOD légales ou vous avez l’habitude de passer votre temps sur des sites pas trop halal à télécharger comme un porc… Bref l’un dans l’autre le choix est pléthorique et là encore vous ne savez quoi choisir.

Profil 3 : Le canapé est toujours autant votre ami. Vous avez une collection de Blu-ray / DVD qui gonfle votre compagne ou compagnon tellement il y en a partout. Vous aimez posséder mais devant de tels gratte-ciels de boîtiers il vous faut la soirée pour prendre une décision et le temps de revenir, votre moitié s’est bien entendu endormi(e).

Bref, on est tous passé par là. Et ce rendez-vous pas forcément hebdo est là pour vous enlever cette terrible épine du pied qui se résume en une seule et unique question : on regarde quoi ce soir ?

Ô, on ne cherche pas à faire dans l’original mais on va essayer pour le coup de parler de films qui nous causent, qui nous ont marqués ou qui mériteraient d’être (re)vus sans pour autant chercher à faire dans de la cinéphilie de comptoir où le lever du coude est aussi important que de débiter des théories de cinéma fumeuses dans une langue devenue pâteuse.

L’idée est donc de vous conseiller un ou deux films à se mater seul ou en couple, entre potes ou en famille le temps d’un week-end ou plus si affinité. On va aussi essayer de vous guider quant à la meilleure façon de le (re)voir tant en DVD, en téléchargement légale ou illégale (on n’est pas sectaire à DC) ou s’il devait y avoir un passage en téloche. Vous pouvez aussi vous garder cette reco (pour recommandation, un terme de marketeux qui fait florès chez les distributeurs de films branchouilles de la capitale) pour vous la mettre derrière l’oreille et la fumer pour plus tard (oui, la chute n’est pas terrible mais on n’a pas trouvé mieux).

Ce week-end on vous propose de (re)découvrir

Trilogie Marseillaise - Marius / fanny / César

Les films : Marius / Fanny / César

Marius (1931)
César tient un bar sur le port de Marseille avec l’aide de son fils de 23 ans. Amis d’enfance, Fanny et Marius s’aiment, mais Marius rêve surtout de prendre la mer…
Fanny (1932)
Marius est parti… Il s’est engagé pour 5 ans à bord d’un navire qui croise vers l’Océan Indien. Dans ses rares lettres à son père, il ne mentionne presque pas Fanny. Or, celle-ci est enceinte. Elle entrevoit quatre issues : le suicide, élever l’enfant seule, attendre Marius ou bien épouser Honoré Panisse qui n’a de cesse de lui demander sa main…
César (1936)
Honoré Panisse mourant, il charge Fanny de dire à Césariot que son véritable père est Marius, le fils de César. Prétextant d’aller voir un ami, Césariot part à la recherche de son père devenu mécanicien à Toulon…

Pour toute une génération (la mienne), c’est grâce à Brion et son Cinéma de Minuit que beaucoup ont découvert cette Trilogie Marseillaise qui en vaut certainement bien d’autres (suivez mon regard). Oh, elle n’était pas tombée en désuétude, juste qu’il était alors temps de (nous) la faire découvrir. C’est qu’elle reste plus que jamais bien installée dans la culture populaire. Aujourd’hui encore tout le monde a en tête Raimu et la fameuse partie de cartes où son Tu me fends le cœur est rentré au Panthéon des répliques cultes de notre cinéma au même titre que la gueule d’atmosphère admonestée avec furie par Arletty dans Hôtel du nord ou le Touche pas au grisbi salope claqué par un Francis Blanche en fusion dans Les Tontons flingueurs.

Le revers de la médaille à cette notoriété jamais démentie furent les remakes voulus et réalisés par un Daniel Auteuil finalement découragé devant les fours enregistrés par ses Marius et Fanny s’abstenant du coup à ne pas nous infliger sa version de César. Compliqué en effet de toucher à Pagnol et le public l’a fort heureusement bien compris. Auteuil n’a à l’évidence pas le talent derrière la caméra d’un Claude Berri ou d’un Yves Robert. C’est qu’il s’agit tout de même d’une sacré mission impossible de reprendre les costumes endossés en leur temps par des Raimu, Pierre Fresnay, Orane Demazis, Charpin… tous issus du théâtre dont Marius et Fanny puisent d’ailleurs leurs origines. César ayant été écrit directement pour le cinéma. Pour autant, nous ne sommes jamais en présence d’une forme de théâtre filmé. Certes, la parole, la faconde, les dialogues y sont omniprésents, certes nous sommes en 1932, au tout début du parlant, mais n’oublions pas que derrière la caméra il y a pour Marius un certain Alexander Korda, celui-là même qui produira par exemple en 1949 Le Troisième homme de Carol Reed. On y revient.

Marius - Affiche

Avec Korda, Pagnol apprendra le métier de cinéaste. Il lui avait été de toute façon imposé par la Paramount qui, à la différence de beaucoup de producteurs français qui étaient sceptique vis-à-vis du parlant, a tenté le coup de l’adaptation au cinéma de cette pièce de théâtre à succès. Il faut savoir que le Studio américain cherchait plus que jamais à l’époque des marchés locaux à conquérir. Le film fut d’ailleurs tourné simultanément par Korda en versions allemande (Zum goldenen Anker) et suédoise (Längtan till havet). La collaboration entre Pagnol et Korda fut idyllique et Marius fut un succès immédiat. La mise en scène du cinéaste hongrois qui amenait avec lui tout son savoir faire acquis avec le cinéma muet s’est magnifiquement harmonisé avec l’histoire et les dialogues de Pagnol.

Fanny - Affiche

Pour autant, la Paramount ne sera pas derrière Fanny. Pagnol, fort mécontent du traitement infligé à Topaze réalisé par Louis Gasnier en 1933 qu’il portera du coup lui-même à l’écran en 36 avec Arnaudy et en 51 avec Fernandel, décide de créer sa propre société de production, Les Films Marcel Pagnol, pour se lancer dans l’adaptation de Fanny qui au théâtre est un triomphe. Fanny est sans conteste un cran encore au-dessus. La mise en scène signée Marc Allégret se fait plus « méridionale » via des mouvements de caméra alors inédits et l’histoire donne la part belle aux mœurs contrites de l’époque à l’égard des femmes que Pagnol fustige dans les règles de l’art. Fanny est une critique sociale devenue avec le temps un témoignage toujours aussi fort. Là encore le succès est foudroyant obligeant Pagnol à plancher sur une suite qui n’était alors pas écrite. Pagnol n’ayant initialement pas imaginé cette histoire sous la forme d’une trilogie.

César - Affiche

Il faudra attendre quatre ans pour que celle-ci voit le jour. La force de César réside indubitablement dans sa propension à avoir été intégralement pensé pour le cinéma. On reste ébahi encore aujourd’hui par la « légèreté » apparente de la réalisation. On sent que Pagnol qui a décidé cette fois-ci de passer derrière la caméra (il ne s’était guère entendu avec Allégret), recherche une certaine vérité et qu’il ne s’arc-boute pas sur les règles naissantes du cinéma parlant balbutiant encore sa grammaire. Ainsi, la bande son fait bien souvent la part belle aux bruits d’ambiance. On pense à la scène entre André Fouché (Césariot, le fils de Marius) et Pierre Fresnay (Marius) remontant une rue de Marseille où les klaxonnes de voiture fusent au risque de masquer les dialogues. Elle fait montre que Pagnol a acquis là des certitudes de mise en scène dont s’inspireront plus tard à n’en pas douter les réalisateurs de la Nouvelle Vague. La musique se fait plus présente et le montage donne à l’ensemble une dynamique très loin des us et coutumes du théâtre. L’histoire reste passionnante et les répliques sonnent toujours aussi justes. Le mélodrame familial s’achève avec une belle lueur d’espoir. La boucle est ainsi formidablement bouclée.

Les réalisateurs

S’il fut un excellent réalisateur qui réussit de surcroît à s’illustrer tant à l’époque du muet que lors du cinéma parlant, Alexander Korda restera finalement pour la postérité ce producteur naturalisé anglais et anobli en 1942 par le Roi (une première dans la profession cinéma) aux choix assurés. Si on lui doit Le Troisième homme, rappelons qu’il fut aussi au hasard le décideur de films tels que Alertes aux Indes (1938) de Zoltan Korda, Le Voleur de Bagdad (1940) de Michael Powell (entre autres réals qui ont œuvré sur ce petit bijou), To Be or Not to Be (1942) de Lubitsch, Le Livre de la jungle (1942) de Zoltan Korda, Les Quatre plumes blanches (1936 et 1955) de Zoltan Korda et Terence Young… On remarquera dans cette petite liste le nom de Zoltan Korda qui revient avec insistance. Il s’agissait d’un de ses frères qui avec Vincent Korda (grand décorateur) s’associèrent dès 1932 pour fonder en Angleterre la société de production London Film Productions qui deviendra après guerre une filiale de la fameuse Rank Organisation d’où sortirent beaucoup des meilleurs films anglais de l’après-guerre tels que des Powell / Pressburger (Je sais où je vais en 1945, Le Narcisse noir en 1947, Les Chaussons rouges en 1947), des David Lean (Ceux qui servent en mer en 1942, Brève rencontre en 1945, Les Grandes espérances en 1946…), du Lawrence Olivier avec Hamlet (1948), du Alexander Mackendrick avec Tueurs de dames (1955) ou encore du Sidney J. Furie avec The Ipcress File (1965).

Marius

Marc Allégret fait partie de ces cinéastes qui furent conspués par les jeunes turcs de la Nouvelle Vague. Ce n’est qu’assez récemment que l’on redécouvre sa filmographie d’une richesse beaucoup plus profonde que ce que l’on aurait pu croire. Si ses films sont marqués du sceau d’un certain classicisme, ils sont indéniablement empreints d’une réelle sensibilité qui met toujours en valeur les histoires qu’il tourne. On pense ainsi à En effeuillant la marguerite avec Daniel Gélin et Brigitte Bardot en 1956 ou Zouzou avec Jean Gabin et Joséphine Baker en 1934. Il est considéré par ailleurs comme un excellent directeur d’acteurs et un découvreur de talents. Il a eu en effet sous sa direction des acteurs en herbe tels que  Bernard Blier, Louis Jourdan, Danièle Delorme, Gérard Philipe, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Patrick Dewaere ou encore Johnny Hallyday.

Du côté de Pagnol, ce serait lui faire injure de le présenter. Disons qu’il fait partie du patrimoine littéraire, théâtrale et cinématographique français. Qu’il fut un grand défricheur de la langue française comme de son cinéma avec des films qui restent pour la plupart comme des marqueurs indélébiles du 7ème Art. On retiendra bien entendu cette Trilogie Marseillaise mais aussi Topaze (la version avec Fernandel), Le Schpountz toujours avec l’inénarrable Fernadel mais avec qui il finira toutefois par se fâcher, La fille du puisatier ou encore Naïs et Manon des Sources. On ne peut non plus passer sous silence ses extraordinaires romans basés sur ses souvenirs d’enfance que sont La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets et Le Temps des amours publié à titre posthume en 1977 et malheureusement inachevé.

Comment les voir

Rien de plus simple puisque les ayants droits de Marcel Pagnol en la personne de Nicolas Pagnol, son petit fils, a réussi à financer une restauration complète des trois films qui viennent juste de sortir en Blu-ray (et DVD).

Auparavant, il existait un coffret DVD paru en 2003 devenu quasiment introuvable au prix à l’avenant. Si les masters faisaient leur âge, il conserve malgré tout un intérêt certain avec ses bonus dont un excellent documentaire autour de la trilogie comprenant des entretiens passionnants (Patrick Brion, Jacques Siclier – éminent critique et historien du cinéma tristement décédé depuis, Guy Morel – Biographe de Pagnol…) malheureusement non repris au sein de ce coffret Blu-ray. Si vous le possédez, on ne saurait donc trop vous conseiller de continuer à le choyer avec amour.

Quant au coffret Blu-ray, la grande satisfaction viendra bien entendu de la technique où la restauration des trois films en 4K depuis les négatifs originaux donne des masters incroyables de beauté. Les N&B y sont somptueux avec la découverte de profondeurs de champs insoupçonnés jusqu’alors. Bien entendu, ceux qui auront eu la chance de découvrir cette restauration sur grand écran à Cannes Classics ou au Festival Lumière de Lyon (pour Marius uniquement ceci dit) sont des privilégiés. Mais l’encodage de ces Blu-ray rend aussi magnifiquement compte du titanesque travail effectué en faisant la part belle au grain, à la définition et en magnifiant le très bel étalonnage d’ensemble mené par Guillaume Schiffman, directeur de la photographie de son état. Grand admirateur de Pagnol, il a apporté son regard et ses connaissances techniques, tout en respectant les contrastes et la densité lumineuse propres au début des années 30 et voulu par le directeur de la photographie à l’époque, Theodore J. Pahle. Que dire aussi du son qui acquiert des basses et une limpidité là aussi inédites. Marius fut tourné avec les tout premiers procédés d’enregistrement sonore (de la Western Electric). La restauration des trois films a été faite à partir du négatif son nitrate et d’un contretype afin de compléter les manques. Pas certain que même les spectateurs des années 30 aient découvert ces trois films dans ces conditions aussi optimales. De la très belle ouvrage assurément.

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