Jusque-là inédit en Blu-ray dans l’Hexagone, Showgirls a enfin les honneurs d’une parution digne de ce nom sur le support (1) par l’entremise d’une édition haute en couleurs qui entend bien par la même occasion réhabiliter un long-métrage qui fut sans conteste l’un des plus conchié de toute la carrière de Paul Verhoeven à sa sortie.
Showgirls : « Personne n’a compris mon intention »
L’affirmation pourrait certes s’appliquer à n’importe quelle œuvre traitée de la sorte mais dans la bouche de Paul Verhoeven qui en détaille les raisons au cours de l’interview inédite proposée au sein des bonus, cette phrase prend bel et bien tout son sens. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient d’en préciser le contexte (qui lui n’est pas évoqué dans l’entretien en question). Au début des années 1990, la boite de prod derrière Showgirls, Carolco, est en pleine euphorie puisqu’elle sort tout juste du carton planétaire qu’est Terminator 2 (1991) qui a engrangé quelques $520M au box-office mondial. Les productions de la société fondée par Mario Kassar et Andrew Vajna et réalisées par Paul Verhoeven ne sont pas moins fructueuses puisque Total Recall (1990) et Basic Instinct (1992) ont respectivement enregistré $260M et $350M au box-office mondial.
Pour son long-métrage suivant, toujours financé par Carolco, Paul Verhoeven nous rappelle ainsi qu’il collabora à nouveau avec le scénariste de Basic Instinct, Joe Eszterhas. Après quantité d’entretiens avec des chorégraphes, des artistes, etc. pour se documenter et reproduire au plus près la réalité des shows de Las Vegas, Eszterhas pond ainsi une première version du scénario de Showgirls que Verhoeven juge par trop ressemblant à celui de Flashdance (1983), autre long-métrage scénarisé par Eszterhas. Peu ou prou à la même époque, le cinéaste reçoit le script de Croisades rédigé par Walon Green, scénariste entre autres de la mythique Horde sauvage de Sam Peckinpah. Oui mais voilà, cet ambitieux projet médiéval avec Arnold Schwarzenegger en tête d’affiche coûte cher. Très cher même. Trop cher pour Carolco qui, dans l’entrefaite, a produit plusieurs longs-métrages qui se sont pour leur part révélés beaucoup moins fructueux. Résultat : Kassar et Vajna lancent leurs derniers deniers dans ce qui deviendra L’Îles aux pirates (1995) réalisée par Renny Harlin qui sortait tout juste du triomphe de Cliffhanger (1993) avec Sylvester Stallone, autre film produit par Carolco qui engrangea pour sa part $255M de dollars de recettes au box-office mondial. L’escapade flibustière d’Harlin dont l’ardoise s’élève à quelques $100M sera un flop retentissant (immérité ?) qui entraînera la faillite de Carolco (le film rapportera à peine $10M au box-office US). Résultat : Carolco n’a pas les moyens de financer les $100M de budget requis pour les besoins de Croisades qui ne verra jamais le jour. Et Verhoeven de se rabattre alors sur Showgirls dont le financement pourra être bouclé grâce à un certain Jérôme Seydoux par l’entremise de son entreprise Chargeurs.
Afin de s’écarter autant que possible de toutes ressemblances avec Flashdance, Verhoeven s’inspire du Eve (1950) de Mankiewicz en injectant, entre autres choses, le personnage de la copine de l’héroïne, Molly (Gina Ravera). Pour sa tête d’affiche, le cinéaste se tourne vers une actrice alors bien connue des ados pré-pubères boutonneux : la Jessie Spano de la série Sauvés par le gong (1989 – 1992). Pour autant, trouver une comédienne qui soit capable de jouer, de danser mais aussi qui accepte des scènes de totale nudité frontale ne fut pas une mince affaire tant ce dernier point rebuta plus d’une candidate sans qu’aucun nom ne soit cité pour autant. Elizabeth Berkley, 22 ans au moment du tournage, sera donc la Nomi Malone qui n’a pas froid aux yeux et n’a pas peur de marcher sur les têtes pour gravir tous les échelons de la réussite dans Showgirls. Comme il le rappelle là encore dans l’entretien, Kassar et Vajna étant en pleine mélasse financière et donc accaparé par d’autres préoccupations, Verhoeven se retrouve alors avec les coudées franches pour faire comme bon lui semble sur son Showgirls. Bonne ou mauvaise chose pour le film, le cinéaste se pose lui-même la question mais n’en cautionne pas moins son « approche hyperbolique » où « tout est exagéré » dans un désir de rendre compte d’un « Las Vegas complètement démesuré ». La performance d’Elizabeth Berkley sera quant à elle en mode « staccato » à base de mouvements brusques, à l’image du caractère de l’héroïne, métaphore selon Verhoeven tout autant de la Cité des Anges que de celle de tous les vices : « Elles font la même chose à Los Angeles qu’à Las Vegas, elles se débarrassent de ceux qui les gênent […] C’est dans la nature humaine, c’est dans son ADN ».
À la sortie du film, cette vision de Las Vegas où l’argent contrôle tout en tant que métaphore des États-Unis n’aura pas tant marqué les esprits que la nudité affichée. Verhoeven se rappelle d’ailleurs très bien avoir prévenu Elizabeth Berkley à ce sujet : « Les journalistes ne diront pas qu’ils sont choqués, à la place ils diront que tu ne sais pas jouer, que tu ne sais pas danser ». Ces séquences de nu, et notamment la scène de sexe dans la piscine, le cinéaste les trouvait volontiers « drôles et légères » même si rétrospectivement, il reconnaît bien volontiers que « c’était beaucoup trop » aux yeux du public. En atteste le flop au box-office lors de la sortie en salles de Showgirls ($20M de recettes aux États-Unis vs $45M de budget) tandis que le film raflera pas moins de sept Razzie Awards, dont celles de pire film, pire actrice et pire réalisateur. Une récompense que Verhoeven sera d’ailleurs l’un des rares dans l’histoire de cette « anti-cérémonie des Oscars » à aller chercher en personne, à la surprise générale. Le cinéaste n’en porte pas moins un regard d’une incroyable lucidité sur son long-métrage : « Faire un film sur Vegas de cette façon n’était pas une erreur artistique mais en revanche, c’était une erreur commerciale ». À l’aube d’un 21ème siècle plus connectée que jamais où la nudité et la violence sont désormais omniprésentes sur tous les écrans du quotidien, la question qui se pose vraiment est donc de savoir si, en 1995, Showgirls n’était pas en avance sur son temps ?
La (re)découverte du film par l’entremise de la présente édition Blu-ray serait-elle alors comme le laisse entendre la bande-annonce concoctée pour l’occasion une « résurrection » ? Sans doute. À tout le moins en partie tant cette trajectoire fulgurante d’une prostituée rêvant de gloire et de sommets et où sexe, argent et violence (le viol et la vengeance finale) s’entremêlent avec le talent inhérent à la filmographie de Verhoeven pour former un tout cohérent et aboutir à cette vision d’un microcosme (Las Vegas) en tant que miroir d’une société dans son ensemble (les États-Unis mais aussi par extension le monde tout entier). Vingt ans plus tard, Showgirls passerait presque désormais pour une radiographie « normale » et non plus pour cette « anthologie de la vulgarité » tellement conspuée à l’époque. Une résurrection qui ne rejoint pas pour autant les summums de la carrière de Verhoeven que sont les Robocop et autres Starship Troopers mais une « petite résurrection » tout de même.
Showgirls : Un Blu-ray miraculeux
Le vrai miracle, il est surtout à chercher du côté de ce Blu-ray édité par Pathé où il est précisé après le générique de fin que « Showgirls a été restauré en 4K à partir du négatif original. La restauration image a été effectuée par le laboratoire Technicolor et la restauration son par le laboratoire L.E. Diapason, sous le contrôle de Paul Verhoeven et de Pathé ». On ne pourra bien sûr que regretter que Pathé n’ait pas poussé cette sortie jusqu’à nous offrir une édition Blu-ray 4K Ultra HD même si l’on devine bien volontiers un retour sur investissement beaucoup trop faible dans le cas présent. En l’état et comparativement à l’édition Blu-ray MGM parue outre-Atlantique en 2010 pour les 15 ans du film, les différences sont plus que notables (et appréciables) à tous points de vue : propreté du master, définition accentuée, encodage invisible, réétalonnage complet et changements de cadrage plus ou moins perceptibles. Mais comme mentionné ci-dessus, ce travail ayant été effectué avec la bénédiction de Verhoeven en personne, qui sommes-nous pour venir contredire tous ces réajustements ? Visuellement parlant, le résultat est juste époustouflant et totalement irréprochable de la première à la dernière minute. De surcroît, Pathé est aujourd’hui l’un des rares éditeurs, à tout le moins dans l’Hexagone, à opérer un usage aussi discret que quasi-imperceptible du DNR sur ses titres de catalogue, aboutissant ainsi à un magnifique grain argentique comme on les aime. Côté son, le résultat est à l’image de la vision du cinéaste, too much, et on ne saura que trop vous conseiller de baisser le volume de l’ampli de quelques décibels par rapport au niveau d’écoute usuel sous peine d’en prendre plein les oreilles tant la puissance et la dynamique qui se dégagent de la VO DTS-HD Master Audio 5.1 sont proprement ébouriffantes, notamment au cours des nombreuses scènes de danse. Les autres séquences du film ne sont pas en reste avec une exploitation multicanale omniprésente pour retranscrire toute l’effervescence de la vie à Las Vegas mais sans pour autant sacrifier l’audibilité des dialogues. Bien qu’également proposée en DTS-HD MA 5.1, la VF affiche un rendu moins percutant. À noter pour finir les possibilités à l’attention des personnes malvoyantes et malentendantes avec la présence d’une piste audiovision ainsi que des sous-titres pour sourds et malentendants. Une initiative aussi rare que méritante.
Quant à l’interactivité, elle se résume à la toute nouvelle interview de Paul Verhoeven évoquée ci-dessus ainsi qu’au discours du réalisateur venu récupérer son « trophée » aux Razzie Awards. Comparativement à l’édition US, on ne perd pas forcément au change puisque cette dernière propose deux featurettes sur le pool dancing ainsi qu’une troisième qui dévoile les coulisses du tournage de certaines séquences et où l’on peut voir Verhoeven à l’œuvre dans sa direction d’acteurs. On y trouve également une pop-up trivia track, soit des informations plus ou moins pertinentes sur le film sous forme de sous-titres ainsi que le commentaire audio d’un certain David Schmader, un romancier contacté par l’éditeur MGM et qui, en véritable aficionado de Showgirls comme il le reconnait lui-même, passe pas mal de temps à s’émerveiller à la redécouverte du film plus qu’autre chose. En lieu et place de tout cela, on n’aurait pas craché sur un commentaire flambant neuf de Verhoeven, lui qui n’a pas son pareil dans cet exercice comme il l’avait déjà démontré avec brio sur ceux de Robocop ou encore de Starship Troopers, ce dernier restant à date l’un des must en la matière. Ceci étant dit, il sera difficile de trouver à redire face à cette édition Blu-ray de Showgirls, à tout le moins sur le plan technique, quasi-irréprochable (tout juste pourra-t-on reprocher à la VF son manque de punch comparée à la VO) et qui trouvera idéalement sa place au milieu de toute Blu-ray thèque consacrée à Paul Verhoeven qui se respecte.
(1) Une édition Blu-ray exclusive à l’enseigne Carrefour a semble-t-il vu le jour en 2012. Mais au regard des commentaires glanés sur Amazon où il a été longtemps dispo via des vendeurs indépendants, il était acquis qu’elle était à fuir.
Notes :
– Image : 5/5
– Son : 4,5/5
– Bonus : 2/5
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080
Showgirls – Édition Blu-ray – de Paul Verhoeven (USA – 1995) – Pathé – Sortie le 14 septembre 2016
Nomi arrive à Vegas pour devenir danseuse. Elle débute dans une boîte de strip-tease, et son talent associé à son manque de pudeur en font rapidement une star dans ce domaine. Plongée au cœur des grands shows, enivrée par sa soif de gloire, elle gravit les échelons un par un. Pourra-elle réussir sans y perdre son identité ?
Spécifications techniques :
- Image : 2.35:1 encodée en AVC 1080/24p
- Langues : Anglais & Français DTS-HD MA 5.1 & 2.0, Audiovision VF DTS 2.0
- Sous-titres : Français, Français pour sourds et malentendants
- Durée : 2h 11min 24s
Bonus (en HD) :
- Entretien avec Paul Verhoeven (22min 51s)
- Discours de Paul Verhoeven aux Razzie Awards (1min 34s)