Pour une fois, on se désolidarisera quelque peu avec les propos de Bertrand Tavernier qui au sein des bonus de cette édition clame son amour et son admiration pour le film de Walter Hill. Attention, son Geronimo est loin d’être un mauvais film. Mais à l’évidence le bonhomme s’est laissé quelque peu grisé par son sujet et cette envie d’apposer sa propre pierre à l’édifice du western pro indiens que le Danse avec les loups (Dance with Wolves – 1990) réalisé par Kevin Kostner trois ans plus tôt avait remis au goût du jour avec panache et surtout avec un énorme carton au box office mondial. On n’ira bien entendu pas jusqu’à avancer que Hill voulait surfer pécuniairement sur la chose. Mais ce qui est certain aussi c’est que l’aubaine devait être trop belle pour ne pas en profiter, lui dont la filmo est viscéralement attachée au genre.
Il suffit en effet d’y jeter un rapide coup d’œil pour s’en rendre compte. Pas un film ou presque qui s’en éloigne ou n’use ou n’abuse des codes du western quand il ne s’agit pas comme ici ou pour bien d’autres auparavant de tout simplement continuer à l’alimenter. Il réalisera d’ailleurs Wild Bill deux ans plus tard (pour Wild Bill Hickok, figure emblématique de l’Ouest ricain) puis sera derrière la caméra du pilote de l’excellente série Deadwood sans oublier la formidable mini série Broken Tail avec Robert Duvall qu’il produit et réalise en 2006. Pour autant, Geronimo sera sa seule incursion (à date puisque le cinéaste reste plus que jamais en activité) dans ce western qui remet frontalement en cause cette conquête de l’Ouest basée sur la fameuse idéologie dite de la « Destinée manifeste » et dont on peut grossièrement en dater les prémisses cinématographiques avec La Flèche brisée de Demer Daves (Broken Arrow – 1950) qui est le premier western à prendre fait et cause pour les indiens.
Geronimo raconte les derniers faits d’arme avant sa reddition définitive en 1886 du dernier grand chef indien (issu de la tribu des Apaches Chiricahuas) à avoir défié le gouvernement américain. Dans le rôle titre on retrouve le charismatique Wes Studi que l’on avait découvert en guerrier Pawnee dans Danse avec les loups mais surtout dans le rôle de Magua le Huron sanguinaire et vengeur dans Le Dernier des Mohicans de Michael Mann (The Last of the Mohicans – 1992). Sa présence à l’écran insuffle au film une aura véritable et une véracité indéniable mais contrebalancée par une mise en image précieuse où les filtres oranges façon pare-brise de voitures pour beaufs sont légions. Certainement pour accentuer la beauté des paysages que Hill ne se lasse pas de filmer. Rappelons que nous sommes dans les années 90 et que le procédé était malheureusement à la mode.
Photo d'exploitation issue de la galerie ad hoc présente au sein des bonus de cette édition Blu-ray
L’autre fait saillant de Geronimo est son côté ultra verbeux. À la limite pourquoi pas. Mais la teneur des dialogues, surtout ceux affublés à Geronimo himself, sont trop souvent teintés du sceau de la philosophie de comptoir pour ne pas décrocher. Sinon plus. On sait que John Milius est à l’origine du scénario, que Hill n’aimait pas d’ailleurs, le faisant retravailler par Larry Gross sans pourtant jamais en être totalement satisfait. On peut le comprendre tant l’histoire est assez vierge d’enjeux majeurs sinon mettre en évidence ce que l’on sait déjà. L’injustice permanente perpétrée à l’encontre des indiens dans le seul but de leur exproprier leur terre allant jusqu’au prix systématique du sang. Plus spécifiquement ici de montrer comment 35 guerriers avec à leur tête Geronimo passé maître dans l’art de la guérilla ont mis en échec plus de 5 000 soldats (3 000 tuniques bleus et 2 000 mexicains) pendant de long mois jusqu’à ce qu’ils se rendent d’eux-mêmes. Et encore, cela ne concerne que la dernière partie du film. La première étant consacrée à la précédente reddition de Geronimo (historiquement il s’est rendu quatre fois) et sa mise en cage à ciel ouvert au sein d’une réserve au sol aride afin de le transformer lui et les siens en fermiers improbables.
Et puis il y a cette voix off (souvent une preuve de facilité ou de problèmes insolubles de scénario une voix off dans un film) lentement débitée tout du long des presque deux heures du film par un tout jeune Matt Damon dont c’était à tout casser ici le troisième long de cinéma. Une prestation au demeurant un peu passe partout alors que son personnage est censé symboliser cette Amérique d’aujourd’hui meurtrie par ses fondations honteuses. Celle de Jason Patrick n’est pas mieux. Lui qui a un peu disparu de la circulation aujourd’hui, peinait déjà à retrouver le souffle épique et abrasif du rôle qui l’avait révélé dans La Bête de guerre (Beast of War – 1988) de Kevin Reynolds. Sur le papier, ce lieutenant proche des indiens et dernier recours pour ramener Geronimo à la « raison » était certainement un bon choix. Dans les faits, il semble perdu, la bouche constamment entrouverte, cherchant sans doute une intonation habitée à insuffler à ses dialogues sans aspérités. À tel point d’ailleurs que Robert Duvall en Al Sieber (célèbre chasseur d’indiens et éclaireur au sein de la cavalerie yankee) et Gene Hackman dans le rôle du Général George Crook lui volent constamment la vedette quand ils sont (trop rarement) à l’écran.
Photo d'exploitation
Pour le reste, on avait connu Walter Hill plus inspiré dans sa mise en scène caractérisée par une sécheresse lyrique propre à laisser éclater avec plus d’emphase les séquences d’action toujours réglées au millimètre. Ici, il y a comme une certaine pesanteur léthargique. On l’a dit, Hill semble subjugué par les décors, certes grandioses, qu’il filme avec une démonstration bovine. Au point de laisser filer une narration qui en devient paresseuse, seulement secouée par quelques climax au demeurant bien vus mais qui ne peuvent que faire regretter le chemin par trop rectiligne choisi au final. En voulant ainsi rendre compte du dernier soubresaut des guerres indiennes avec la volonté évidente d’être au plus près de la réalité historique, Hill en arrive à desservir son propos initial dans les grandes largeurs. Reste quand même un film qui va dans le sens de l’Histoire et la réhabilitation d’une vérité certes aseptisée ici mais qui n’en demeure pas moins essentielle dans la compréhension d’une Nation qui comme on le sait a toujours préféré se référer à sa légende de l’Ouest plutôt qu’une réalité forcément moins glorieuse.
C’est d’ailleurs de cette réalité dont parle Tavernier et dans une moindre mesure Brion qui au passage nous apprend les origines du nom de Geronimo. Quand celui-ci vint à se venger du massacre de sa famille en ciblant un village mexicain, ses habitants priaient à haute voix à l’attention du Saint du jour qui n’était autre que Jérôme afin d’échapper au massacre. Tous périrent (Sic). Tavernier ne tarit pas d’éloges sur le film. On avoue du coup avoir été un peu distrait durant la demie-heure que dure son intervention. On avait peut-être peur que le bougre ne nous retourne comme une crêpe et nous oblige à revoir le film. Mais que cela ne vous arrête point. L’homme est comme toujours un puits de connaissances doublé d’un conteur d’histoires hors norme. Quant à Brion, on le sent plus gêné aux entournures, se complaisant comme souvent quand il a du mal à dire du bien d’un film (le qualifiant alors d’intéressant) de le restituer dans la grande histoire du genre. Problème, on est en 1993 et on a vite fait le tour de la production ad hoc sur l’année pour ne pas dire sur la décennie. Ce qui au passage ne permet pas de redorer le blason d’un film précédé de réalisations prestigieuses telles que Impitoyable (Unforgiven – 1992) de Eastwood ou encore, comme on l’a déjà précisé, de Danse avec les loups.
Photo d'exploitation
Outre ces compléments devenus des rendez-vous incontournables et récurrents chez l’éditeur, on précisera niveau technique que ce Blu-ray propose une image presque satisfaisante. Si Geronimo est certes le western le plus récent qui rejoint le catalogue devenu gargantuesque de Sidonis, il était donc à ce titre le moins à même de disposer d’une quelconque mansuétude de notre part. Encore qu’il faille tenir compte d’une décennie où la qualité des pellicules, plus que jamais produites industriellement avec la volonté d’en baisser drastiquement les coûts de fabrication, n’était pas toujours au rendez-vous. Sidonis annonce au demeurant que voilà une image restaurée. Elle l’est sans aucun doute. On sera plus pusillanime quant à la qualité de l’encodage qui montre ses limites lors des scènes diurnes ou sombres. On y décèle en effet un manque de définition dans les arrières-plans que l’on peut aussi attribuer au manque de finesse de la pellicule d’origine. Difficile à trancher en tout cas mais le constat demeure. Ceci étant dit, il n’y a rien là qui puisse gâcher la splendeur des prises de vue qui permettent aux décors majestueux à la température de couleur on ne peut plus chaleureuse (pour ne pas dire orange donc) d’embraser les murs de votre salon.
Le son se fera aussi remarquer d’autant que l’on a droit à du DTS-HD MA 5.1 en anglais. Si on pourra lui reprocher son manque de finesse perceptible lors des quelques scènes d’action qui feront décoller le papier peint quand il faudra monter le potard pour discerner les dialogues, cette piste satisfera tous les amateurs d’un mixage enveloppant qui met à coup sûre en valeur la partition signée Ry Cooder.
Notes :
– Image : 3,5/5
– Son : 3,5/5
– Bonus : 3/5
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080
Geronimo (Geronimo : An American Legend) – Édition Blu-ray – de Walter Hill (USA – 1993) – Sidonis Calysta – Sortie le 21 septembre 2016
1885. Une seule tribu tient encore tête à l’armée et aux colons, celle des Apaches Chiricahuas. Le lieutenant Gatewood est chargé de prendre contact avec leur chef, Géronimo. Ce dernier se rend au général Crook mais Géronimo et son peuple sont parqués dans une réserve trop petite pour eux, Turkey Creek. Géronimo repart alors en guerre et refuse de croire le général Crook…
Spécifications techniques :
- Image : 2.35:1 encodée en AVC 1080/24p
- Langues : anglais DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 mono et français DTS-HD Master Audio 2.0 mono
- Sous-titres : français
- Durée : 1h55
- 1 BD-50
Bonus :
- Entretien avec Patrick Brion (14min35s, HD)
- Entretien avec Bertrand Tavernier (34min42s, HD)
- Galerie photos (1min31s)
- Bande annonce (2min22s, VO, SD)