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Johnny s’en va-t-en guerre en Blu-ray : Juste essentiel !

Pour les chanceux (et on les envie) qui n’ont jamais vu Johnny s’en va-t-en guerre, cette sortie DVD et Blu-ray via un master restauré est l’occasion de rattraper un film unique et atemporel. Unique par son propos pacifiste jusqu’au-boutiste jamais traité de la sorte au cinéma et qui le reste ainsi depuis et hors du temps par le classicisme apparent de sa plastique qui n’en fait pas que le simple parangon d’une époque.

JOHNNY-GOT-HIS-GUN-Affiche-Française

Apocalypse, la guerre en N&B

Johnny Got his Gun est à la base un bouquin signé Dalton Trumbo publié aux États-Unis en 1939. Sa dénonciation des horreurs de la guerre vu par le prisme de ce soldat tronc, conséquence d’un premier conflit mondial dit « moderne », ne pouvait que trouver un écho favorable dans une Amérique qui ne voulait plus entendre parler d’une Europe prête une nouvelle fois à en découdre. Le livre est un best-sellers et est rapidement épuisé. Mais il fallut attendre 1945 pour qu’il soit à nouveau disponible en librairie. Les centaines de milliers de boys broyés par cette nouvelle conflagration mondiale dont il ne fallait pas prématurément briser le moral, étant passé par là. Dalton Trumbo avait depuis longtemps en tête de porter son livre à l’écran. Il aura fallu attendre plus de trente ans pour cela. C’est qu’entre-temps il y eu les Dix d’Hollywood et la fameuse Liste Noire. Scénariste reconnu, talentueux et le mieux payé de la profession, sa carrière faillit sombrer au début des années 50 quand il dut purger dix mois de prison. L’ Amérique était alors en proie à ses démons anti communistes symbolisés par le sénateur MacCarthy. C’était le début de la guerre froide et on y traquait tout ce qui avait eu un penchant de près ou de loin avec la couleur rouge. Hollywood, organe propagandiste s’il en est pendant la guerre, était naturellement en première ligne.

Dalton-Trumbo-Johnny Got his GunDalton Trumbo

À sa sortie de prison, l’homme est blacklisté et ne peut plus officiellement travailler. On sait aujourd’hui qu’il fut au scénario de nombreux films des années 50 sans y être officiellement crédité. Il fallait crouter comme on dit et puis Trumbo ne pouvait plus exiger les mêmes salaires. C’est Otto Preminger le premier en 1960 avec Exodus puis dans la foulée Kirk Douglas avec Spartacus qui apposèrent le nom de Dalton Trumbo au générique de leur film respectif. Ce qui permit à l’homme de sortir enfin de l’ombre et de recouvrer une certaine dignité (il put ainsi récupérer son Oscar en 1975 pour Les Clameurs se sont tues (The Brave One) – qu’un prête nom était allé cherché pour lui en 1956). Il fallut pourtant encore attendre dix ans de plus pour que Trumbo puisse accoucher de son chef-d’œuvre littéraire en un film qui demeure plus que jamais l’aboutissement d’une vie. Il reste aussi le seul long métrage réalisé par ce scénariste de génie que l’on peut ranger tout à côté de La Nuit du chasseur, autre film unique à tout point de vue s’il en est.

Johnny s’en va-t-en guerre n’a pas une carrière extraordinaire dans les salles américaines. Il est plus en vue en France précédé qu’il fut d’un passage au Festival de Cannes où il obtint en 1971 Le Grand Prix du Jury et celui de la Critique Internationale. Le film sort en fait quelques années trop tard si l’on se place dans le contexte de la guerre du Vietnam qui voit le retrait des dernières troupes combattantes américaines en août 1972. La portée antimilitariste du film devenant forcément moins prégnante. Le film n’en acquiert pas moins un statut d’œuvre définitive en ce qu’elle exhibe les conséquences ultimes de la guerre à très long terme puisque toute la dramaturgie de l’histoire est de montrer un homme devenu un monstre que l’on garde en vie non par soucis d’humanité mais d’abord pour observations médicales (un cas unique comme celui-ci ne se refuse pas) et puis par glissements successifs en un honteux secret militaire dont personne ne veut prendre la responsabilité d’euthanasier. Seuls quelques films comme L’Échelle de Jacob d’Adrian Lyne sorti en 1990 peuvent se targuer d’avoir exploré cette difficile et douloureuse thématique avec une telle réussite.

Timothy-Bottoms-Johnny-Got-His-GunTimothy Bottoms

La folie des hommes est ainsi concentrée dans cette pièce où le soldat qui a gardé toute sa tête est dorénavant prisonnier d’un corps dont on ne veut pas le libérer. Que lui reste-t-il sinon laisser vagabonder son esprit en des flashbacks de sa vie qu’il fantasme ou non mais en couleurs. Dalton Trumbo ayant opté pour que la réalité soit filmée en N&B. De cette alternance mais aussi d’une mise en scène à contre-courant des codes du Nouvel Hollywood de ces années là, Johnny s’en va-t-en guerre déstabilise et met toujours autant mal à l’aise. L’horreur de la situation, la photo très expressive de Jules Brenner tant en N&B qu’en couleur (qui annonce toujours la tragédie à venir), le contre-champs de la quatrième infirmière jouée par une diaphane Diane Varsi qui va jusqu’à lui prodiguer une séance de masturbation (l’appareil sexuel étant intact)… Rien ne nous est épargné mais tout reste en off augmentant encore le climax des séquences. Peu de films peuvent ainsi se targuer de montrer et démontrer sans que pour autant l’on tombe dans la représentation vulgaire. L’intellect du spectateur étant là pour franchir le rubicond de la représentativité et c’est là que se situe la force émotionnelle et finalement universelle du film.

Un Blu-ray définitif

Johnny s’en va-t-en guerre est donc bien une œuvre définitive qui ne pouvait que se concevoir via une édition digne de ce nom. EuropaCorp détenait ce joyau en son sein depuis qu’il a racheté le catalogue de Roissy Films en 2007. C’est d’ailleurs de ce catalogue que nous est parvenu au hasard des Blu-ray comme Le Président / Mélodie en Sous-sol / Le Cave se rebiffe d’Henri Verneuil. Le film de Trumbo était déjà sorti de multiples fois en DVD. D’abord chez Opening devenu ensuite H2F pour enfin atterrir chez M6 Vidéo. En 2010 EuropaCorp n’en proposait que la copie conforme histoire de pérenniser sans autre forme de procès la commercialisation du titre.

Il faut croire que le centenaire du début de la première guerre mondiale aura permis une révision de cet état commercial de fait. La boîte à Besson s’est donc fendue d’une restauration 2K. Ce qui en Blu-ray donne un upgrade impressionnant et très fidèle au master d’origine. Et quand on dit d’origine c’est le cas puisque vers 98min56s on perd le temps de quelques scènes contrastes et définitions, comme si l’on passait d’une pellicule 35MM à du 16MM gonflée. Comme si au montage et faute de mieux, on a récupéré un tirage raté. Et puis lors des scènes les plus sombres en N&B, on décèle des problèmes d’irisation qui occasionne à l’image des arrières plans dont le dégradé de noir se transforme en un halo digital des plus disgracieux. Mis à part ce témoignage d’une production au budget très limité, le reste est brillant. La photo très exigeante de Brenner est fort joliment restituée, la définition est au rendez-vous et la fonction DNR est très discrète. Les contrastes, surtout lors du N&B, ne sont pas oubliés alors que les effets à la David Hamilton de certains passages en couleur sont amoureusement retranscrits. On a tout simplement affaire ici à un travail de référence respectant de surcroît enfin le format d’origine en 1.66.

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Le constat est le même pour la partie sonore qui tant en VF qu’en VO sont proposées en DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Si la VO est à privilégier on notera tout de même une petite défaillance à 17min29s où la fin du dialogue entre Timothy Bottoms et sa fiancée qui, sur le quai de la gare, veut l’empêcher de partir, devient inaudible pendant quelques trop longues secondes. Le doublage d’époque fait montre quant à lui d’un joli travail en la matière même si comme de coutume les voix sont bien trop présentes au regard du mix ambiance. On notera que c’est Michel Piccoli qui double le père joué par Jason Robards. Enfin, l’éditeur s’est fendu d’une piste en audiodescription et de sous-titres supplémentaires pour malentendants. C’est tellement rare que cela méritait d’être souligné.

Rayon bonus c’est noël avant l’heure, encore qu’il vous faudra mettre profondément la main au portefeuille pour en avoir l’intégrale primeur. C’est en effet au sein d’un coffret estampillé Ultra Collector (2 000 exemplaires mis en vente seulement pour un Blu-ray, deux DVD de bonus, des cartes, le livre qui n’était plus disponible depuis 15 ans et le dossier de presse d’origine) que l’on pourra tout d’abord retrouver une grande partie des bonus présents au sein du DVD américain édité par Shout Factory en 2009. À savoir le précieux documentaire allemand intitulé Dalton Trumbo : Rebel In Hollywood signé Robert Fisher. En 60 minutes passionnantes, le fils de Dalton Trumbo qui fut 1er assistant réal sur le film, retrace toute sa genèse chaotique sans rien en occulter. D’autres intervenants comme Marsha Hunt (la mère) ou Jules Brenner (DP) apportent aussi un éclairage chaleureux sur l’homme et ses méthodes de travail sur le tournage. Tout simplement essentiel.

Jules-Brenner-et-Jason-RobardsJules Brenner et Jason Robards

L’autre morceau de choix sont les images de tournage (behind the scenes footage comme on dit en anglais et non des scènes coupées comme indiquées par l’éditeur) commentées par un Timothy Bottoms et un Jules Brenner en extase. On y voit pendant 8 minutes Dalton Trumbo sur le tournage des scènes oniriques principalement donnant ses consignes ou relisant compulsivement ses notes. Le tout est en couleur et est muet ce qui implique certainement qu’il s’agit là d’images tournées en Super8. Passionnant.

Le dernier bonus localisé du DVD US est un entretien avec Timothy Bottoms datant lui aussi de 2006 plus ou moins anecdotique. L’éditeur n’a par contre pas repris le fameux clip du groupe Metallica illustrant le morceaux One datant de 1989 où l’on y trouvait de nombreux extraits du film. Ni le document sonore de l’adaptation radiophonique avec Cagney dont on entend ceci dit un petit extrait dans le doc de Fisher.

Tout ceci serait déjà parfait si l’éditeur n’avait pas eu la bonne idée de confier à notre Philippe Rouyer national (est-il besoin de présenter le Jean-Pierre Coffe de la critique cinématographique qui officie régulièrement à l’émission du Cercle sur C+ mais dont on peut surtout lire la formidable prose dans le magazine Positif) l’animation de trois autres bonus qui, vaste gageure, n’ont rien de redondant avec le reste. Au contraire, ils ont en effet pour eux de préciser, voire de rectifier certaines choses entendues sur le doc de Fisher.

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C’est que Philippe Rouyer est allé à la rencontre de Bertrand Tavernier et de  Pierre Rissient qui en tant qu’attachés de presse à l’époque, ont tous deux géré la sortie du film en France. Si l’on ne présente plus Tavernier, sa cinéphilie, sa faconde, sa mémoire d’éléphant… Pierre Rissient est certainement moins connu du grand public mais certainement pas le moins passionné ou cinéphile des deux. En deux entretiens distincts Rouyer s’attache à nous faire partager leurs souvenirs sur ce qui était à l’époque un vrai travail de défricheurs passionnés. Des deux on retiendra surtout la longue anecdote racontée par Rissient sur comment le film a été sélectionné à Cannes. Tavernier rectifiera quant à lui la croyance comme quoi la scène avec Donald Sutherland  en Jésus conducteur de train façon La Bête humaine n’était en aucun cas un apport de Buñel (qui avait travaillé avec Trumbo en 1964 sur une possible adaptation du roman via un producteur mexicain) puisqu’on la retrouve telle quelle dans le livre.

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Et puis la cerise sur le gâteau est une analyse signée La Rouille himself qui nous tient en haleine durant 3/4 d’heure d’un monologue enfiévré et instruit. Compliqué de tenir le crachoir ainsi surtout avec si peu de documents vidéos pour illustrer les propos si ce n’est quelques extraits du film. Qu’à cela ne tienne, Monsieur Rouyer relève les manches et apporte un éclairage tout en nuance du film d’où l’on retiendra surtout la façon dont il décortique plan par plan le générique du début rappelant en cela les cours magistraux d’un certain Jean-François Tarnowski à l’ESRA.

N’en jetez plus, la coupe est pleine et bien pleine. Juste précisons que deux autres éditions sont aussi de la partie. Un combo Blu-ray + DVD ainsi qu’un double DVD qui ne reprennent qu’une partie des bonus. On vous invite à prendre connaissance des détails ci-dessous après un passage obligé par la bande-annonce en VOST et notre galerie de captures.

Image : 4/5
Son : 4/5
Bonus : 5/5

 Captures Blu-ray (cliquez sur les visuels pour les visualiser au format HD natif 1920×1080)

Johnny s’en va-t-en guerre (EuropaCorp) – 1er décembre 2014

CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES Blu-ray
Master restauré – Couleur et N&B
Format image : 1.66 – Résolution film : 1080, 24p
Format son : Français & Anglais DTS Master Audio Mono 2.0 / Audidescription
Sous-titres : Français & Français pour sourds et malentendants
Durée : 1h52

COFFRET ULTRA COLLECTOR en édition limitée et numérotée (Le Blu-ray + 2 DVD de bonus + 10 cartes + Le livre + Le dossier de presse)

Johnny s'en va-t-en guerre - Blu-ray

DVD Bonus 1
Entretien avec l’acteur Timothy Bottoms (10min28s, VOST, 2009- Shout factory)
Entretien avec Bertrand Tavernier mené par Philippe Rouyer (15min20s)
Images de tournage (behind the scenes footage) commentées par Timothy Bottoms et Jules Brenner (directeur de la photo) – 8min09s, VOST
Bande-annonce originale (VOST, 2min59s)

DVD Bonus 2
Dalton Trumbo : Rebel In Hollywood signé Robert Fisher (59min05s, VOST, 2006)
Entretien avec Bertrand Tavernier mené par Philippe Rouyer (41min34s)
Entretien avec Pierre Rissient mené par Philippe Rouyer (42min01s)
Analyse du film signée Philippe Rouyer (46min36s)

Édition Blu-ray + DVD 1 bonus

Johnny-got-is-gun-Packsot-Blu-ray-3D

Édition double DVD : DVD du film + DVD 1 bonus

Johnny-s'en-va-t-en-guerre-Packshot-DVD

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