Chez Aldrich, Fureur Apache annonce la dernière ligne droite d’une filmo qui a touché à tous les genres phares ayant eu droit de cité à Hollywood depuis l’après-guerre. Nous sommes en 1972 et le western a amorcé sa mue vers un crépuscule pour le moins flamboyant bien aidé en cela par des réalisateurs comme Don Siegel, Sam Peckinpah ou encore Sergio Leone. Fureur Apache ne déroge pas à ce constat lui qui brille de milles feux sombres au firmament du genre. On est alors très loin de Bronco Apache (1954), le premier western signé Aldrich avec déjà Burt Lancaster mais dans le rôle de l’indien rebelle. Si à l’époque Aldrich avait dû se soumettre au diktat des Artistes Associés (la fin fut par exemple modifiée pour être moins noire) pour un film somme toute réussit alors même qu’il y suinte une forme de classicisme dénoncé plus tard, Fureur Apache lâche les chevaux (si on peut dire d’ailleurs compte tenu de la lenteur de l’ensemble) et se donne les moyens d’une œuvre radicale faisant échos à la guerre du Vietnam où les illusions de l’Amérique ont totalement volé en éclat.
C’est d’ailleurs principalement via ce prisme qu’il faut voir et revoir ce Fureur Apache. Il y a bien entendu cet aspect désabusé mais qui n’est pas propre à ce film mais bien à la production ambiante du moment. Le fait nouveau est plutôt à rechercher du côté de cette traque viscéralement glauque qui renvoie un peu tout le monde dos à dos. On est déjà loin de l’indien réhabilité depuis quelques années. Celui qui n’est absolument pas dépeint comme un sauvage mais le plus souvent comme un « génocidé ». D’ailleurs la même année sortait Jeremiah Johnson de Sidney Pollack, film qui est un peu le point culminant de cette philosophie pour le moins, elle aussi, révisionniste. Aldrich nous propose ici un Apache guerrier et sanguinaire qui s’est enfui de sa réserve car sa condition n’est pas de devenir un agriculteur sombrant dans l’alcoolisme comme le souhaiterait l’homme blanc vainqueur. L’Apache ici a besoin d’espace pour chevaucher sa monture afin de tuer animaux sauvages (le bison au hasard) ou humains pour se repaître de leur énergie. Seule façon pour lui de vivre.
L’Apache c’est Ulzana (d’où le titre anglais Ulzana’s Raid) qui a réellement existé au même titre qu’un Géronimo. Il est interprété avec une certaine prestance par Joaquín Martínez, mexicain dans le civil. Il donne à Ulzana une forme de noblesse dans la sauvagerie de ses actes et des ses intentions au demeurant certainement plus proche de la réalité. Au passage, Il va falloir attendre Danse avec les loups en 1990 pour véritablement donner la parole à des amérindiens qui pourront s’exprimer au demeurant dans leur langue native. En face, on trouve donc Burt Lancaster en éclaireur spécialiste des indiens qui part à sa poursuite avec un petit groupe de soldats commandé par un inexpérimenté lieutenant. Celui-ci sera en fait notre pendant, celui vers qui, nous spectateur, on va se projeter. Il aimerait comprendre les motivations de ces indiens qui tuent et ravagent tout sur leur passage, lui le fils de pasteur prêt à tendre les deux joues pour expier ses propres pêchés. Il symbolise ce soldat américain plongé dans la jungle du Vietnam qui, s’il en ressort vivant, sera marqué à vie par ce qu’il y aura vécu. Elles prennent ici la forme des exactions indiennes dont la torture reste un fait de guerre éprouvé. Quant à leur ruse et leur connaissance du terrain, elles ne peuvent là aussi que rappeler la guerre d’usure sous forme de guérilla menée par les vietcongs.
Fureur Apache peut donc s’apprécier comme une forme de dépucelage. L’Amérique naïve mais sure de son fait guerrier et de sa suprématie qui se prend les pieds dans le tapis de l’Histoire pour ne plus se relever. Dans le film d’Aldrich, l’indien aura beau être vaincu, il n’en reste pas moins dans la bouche comme un goût de cendre. On a parlé plus haut de désillusions ou d’illusions perdues. C’est que le lieutenant aura été témoin de la fureur humaine. Celle qui s’émancipe des deux côtés. Le soldat n’aura que de la haine envers l’indien / vietcong et lui infligera les mêmes atrocités. Une escalade qu’Aldrich ne prendra jamais la peine d’estomper. Son Fureur Apache est un film dur, âpre, sans concessions. Et il va bien au-delà du western. Il annonce ainsi une fin de carrière qui s’enfoncera de plus en plus dans une sorte de désespérance de l’être humain, ne croyant en lui qu’à quelques fulgurances près (L’Empereur du nord par exemple que WildSide sort en Blu-ray le 7 juin et sur lequel nous reviendrons). Qui pour lui donner tort ?
Un combo Blu-ray + DVD pour une fois (très) complémentaire
On le sait, les éditeurs ont pris la « bonne » habitude de souvent proposer leur titre Blu-ray en l’associant avec une galette DVD moyennant un léger surcoût (ou pas d’ailleurs). Au moment où nous écrivons ces lignes, Fureur Apache est vendu en combo à 17 euros quand le DVD simple est « bradé » à 15 euros. L’idée est bien souvent d’inciter le potentiel acheteur à acquérir le combo même s’il n’est pas équipé d’un lecteur Blu-ray. Pour 2 euros de plus, autant prendre ce qui est le meilleur standard technique du moment (hors 4K mais ceci est une autre histoire) même si on doit s’équiper dans deux ans (bon faut pas trop traîner non plus car au rythme où se casse la gueule le chiffre d’affaires du marché de la vidéo matérialisée…). Mais ici la logique est diamétralement différente, voire un tantinet tordue mais autant le dire tout de suite, on applaudit des deux mains (ça tombe bien, on n’est pas amputé).
On s’explique. Sur le Blu-ray on trouve le film. Jusque là rien que de très normal. Mais si on jette un œil au recto de la jaquette, on trouve la mention « montage original ». Bon bon, on se dit c’est cool mais comme on a envie de redécouvrir ce petit bijou, on ne va pas chercher plus loin. Pour l’instant. C’est alors que l’on tombe sur les menus et, surprise, on nous propose trois pistes sons. Une VF dite nouvelle, une autre dite d’origine et puis la VO. Okaaaay. L’histoire ne dit pas qui a financé la nouvelle version française mais le pourquoi on a très vite compris en lisant le carton qui précède le lancement du film quand on veut l’écouter dans sa version française d’origine. Ben c’est qu’il y a des passages non doublées qui basculent donc vers de la VOST. Pas de problème puisque à la limite on s’en fout vu que l’on mate toujours les films en VO. Question de principe cinéphilique très parisien qui prend de haut le banlieusard et le provincial. Mais tout ça est une autre histoire. Ceci étant dit, on a voulu tout de même jeter une oreille sur la nouvelle VF. Pas horrible mais quand on a l’habitude de la voix de René Arrieu qui était toutefois plus connu pour être le doubleur d’Henry Fonda, on a un peu de mal.
Et puis mater le film dans sa VF d’origine permet de repérer les différences entre le montage original et… quoi en fait ? Car ce montage original n’a pas été celui de la sortie française en 1972 ? Que de questions haletantes non ? Non ? Ben si parce que si vous lisez DC, c’est que cela vous intéresse. Sinon vous seriez en train de mater Koh-Lanta. Ah ?!!! On me dit que l’un n’empêche pas l’autre. Mouais. Admettons et reprenons.
Au passage, notons que l’image proposée est certainement issue d’un master HD non restaurée (la jaquette mentionne à tort le contraire). Y a donc pas à se taper le séant d’un cheval par terre mais le gap avec le DVD Universal datant de 2003 est bien entendu plus que probant. L’encodage n’abuse pas du réducteur de bruit ce qui permet une définition optimale au regard de la qualité du matériau de base. Il est toutefois évident qu’avec un vrai travail de restauration, on aurait eu droit à quelque chose de définitif au regard du support. On aurait aimé faire un petit comparatif image avec le DVD de ce combo, mais c’est là qu’intervient la deuxième et quelque part divine deuxième surprise.
C’est que le DVD en question ne propose pas à nouveau le film dans son montage original, mais dans un montage dit Lancaster. Ben oui Monsieur. Il faut savoir que Fureur Apache est le dernier film produit par Lancaster via sa boîte Hecht-Hill-Lancaster devenue, après la brouille avec Hill, Hetch-Lancaster. On vous en parlait très en détail lors de notre papier sur Le Grand chantage de Alexander Mackendrick. On se dit alors que cela fait un peu ch*** de se retaper le film pour repérer les différences entre les deux versions. Et puis surtout pourquoi ? Lancaster a voulu se donner un plus beau rôle ? Était-ce une version dédiée seulement à la France ? Le montage d’origine n’était visible qu’aux States ? On allait abandonner quand après un détour sans conviction du côté des bonus, on tombe sur Fureurs Apaches : Le montage Lancaster par Jérôme Wybon. Un doc vidéo de 10 minutes qui résolve en partie l’énigme. On ne présente plus Monsieur Wybon (brosse à reluire detected), spécialiste des scènes coupées et montages alternatifs (on n’invente rien c’est ce que le synthé mentionne. Cf capture ci-dessous).
C’est en fait un peu réducteur pour connaître un peu le bonhomme (au demeurant charmant après son café du matin. Avant, il mord) qui est juste un passionné de pelloche et un fin connaisseur des grandes et petites histoires des films et séries qui méritent que l’on s’y attarde un peu. Ce qu’il aime c’est crocheter un film par derrière pour mieux nous en narrer la substantielle moelle et ainsi pourquoi pas en proposer une analyse transversale et souvent passionnante. C’est avec une diction parfaite (mais après trois cafés) qu’il nous dévoile donc ici les secrets de ces deux montages. Déjà, ils sont sensiblement du même tonnage niveau durée (ce que ne montre pas la jaquette et pour cause puisque le timing 24images/s du Blu-ray est forcément différent de celui d’un DVD qui affiche lui invariablement 25images/s). Les différences sont plutôt subtiles bien que flagrantes parfois et ne donnent pas forcément la part belle à Lancaster. Disons qu’il donne à son personnage un peu plus d’épaisseur encore. Il y a aussi des coupes dues à la censure britannique qui ne voulait pas montrer la souffrance animale à l’écran (réelle bien entendu et même fictive). Et de fait, pas de chevaux qui se cassent la gueule suite à une cascade. Jérôme insiste sur le fait que cette version a été exploitée au Royaume-Uni mais sans vraiment préciser si ce fut aussi le cas en France. Notre pays n’a en effet pas le même degré de censure animalier (les chevaux tutti quanti, on s’en battait déjà les gnocks chez nous). Renseignement pris auprès de l’éditeur qui nous a laissé entendre que cette version n’était pas celle qui fut exploitée en France. Dont acte.
Comparatif montage Aldrich / Lancaster (les captures sont cliquables bande de moules)
Montage Aldrich
Montage Lancaster
Bref, c’est bien beau tout cela. Encore que l’image proposée sur le DVD est vraiment dégueulasse au format 1.33 avec de temps à autres micros et perches qui rentrent dans le champ par le haut. Du coup, la version Lancaster on va la laisser là où elle aurait dû rester. Aux archives du collectionneur impétueux et compulsif. Ce qu’est donc ce DVD pour la peine ultra complémentaire de son homologue Blu-ray. Ouf ! Ah non. On s’en voudrait de passer sous silence l’intervention de Master Dionnet présent cette fois-ci sur le Blu-ray (complémentarité, complémentarité…). Master car il chapeaute de son savoir ancestral toutes les sorties de catalogue de l’éditeur Elephant. Là, le pépère (oui, on est pote aussi donc on se permet. Et oui on connaît du beau linge à DC) part ici sur une analyse plutôt bien troussée de Fureur Apache reprenant l’aspect nihiliste du propos en le mettant bien entendu en lumière avec la guerre du Vietnam qui fait encore rage au moment de la production du film. Après, on sera un peu plus sur la retenue quant à son assertion sur les douze derniers films du réalisateur formant un dernier cycle dont le point d’ancrage serait Les 12 salopards. Pourquoi pas, pourquoi pas. Mais cela aurait mérité plus que les 3 minutes de développement sur les 8 que durent cette notule.
Dernière chose. Si Elephant propose comme à son habitude (tout en restant une merveilleuse initiative) une jaquette réversible dont on vous en propose la repro ci-dessus, on sera plus dubitatif sur le système de clipage des deux disques. En effet, galettes DVD et Blu-ray sont proposées sur le même versant du boîtier interne via un chevauchement que l’on pense de prime abord savamment étudié. Mais pour accéder à la galette du dessous, il faut décliper celle du dessus s’astreignant du coup à une manip un peu hasardeuse qui ne plaira pas aux collectionneurs monomaniaques dépressifs (pléonasme detected) ou autres parents devant gérer un bout de chou de 4 ans de l’autre main (oui, cela sent le vécu). Là-dessus, messieurs à la trompe protéiforme, il va falloir réviser la chose.
Ps : On a déjà repéré les petits malins ne voulant acheter que le DVD qui vont venir nous polluer de messages dans la salle de caviardage ci-dessous. Ben oui, et si on achète que le DVD, on aura droit à quelle version ? Ben le montage original banane. Y vont pas chez Elephant vous balancer une version Lancaster toute pourrite au niveau image et son quand même ? Non ? Bon, on pose la question à l’éditeur. On ne sait jamais… Edit : réponse officielle de l’éléphant qui ne trompe jamais – Oui, le DVD reproduit le Blu-ray, avec le montage « officiel » et les bonus qui vont avec. C’est bon ? On peut aller vaquer à nos autres occupations ? Merci bien.
Notes :
- Image : 3,5/5
- Son : 4/5
- Bonus : 3/5
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080
Fureur Apache (Ulzana’s Raid) de Robert Aldrich (USA – 1972) – Combo Blu-ray + DVD – Elephant Films – Sortie le 15 mars 2017
Lorsque le chef Apache Ulzana s’enfuit d’une réserve indienne avec quelques hommes de sa tribu, et se met à massacrer les fermiers des environs, un régiment de l’armée est envoyé à sa poursuite. Il est dirigé par un jeune officier idéaliste et sans expérience, le lieutenant DeBuin, aidé par l’éclaireur McIntosh, ainsi que Ke-Ni-Tay, un scout indien. Alors que des atrocités commises des deux côtés se multiplient, DeBuin remet en question ses principes…
Spécifications techniques Blu-ray :
- Image : 1.85:1 encodée en AVC 1080/23.98p
- Langues : Anglais DTS-HD Master Audio 2.0 mono, Français (doublage d’origine et nouveau doublage) DTS-HD Master Audio 2.0 mono
- Sous-titres : Français
- Durée : 1h 43min 13s
- 1 BD-25
Bonus (en HD) :
- Présentation du film par Jean-Pierre Dionnet (8min 28s)
- Galerie de photos
- Bande annonce originale du film (3min 08s, SD, VOST). C’est celle qui est remontée su la chaîne Youtube de l’éditeur que nous avons intégrée à la fin de notre chronique. Elle est techniquement d’une rare indigence.
- Présentation par Dionnet des trois westerns édités par Elephant le 15 mars 2017 (1min). Outre Fureur Apache, on trouve aussi Le Survivant des monts lointains de James Nelson et La Caverne des hors-la-loi de William Castle.
Spécifications techniques DVD (Version alternative ou montage Lancaster) :
- Image : 1.33:1
- Langues : Anglais DD mono 2.0
- Sous-titres : Français
- Durée : 96min
- 1 DVD-9
Bonus :
- Fureurs Apaches : Le montage Lancaster par Jérôme Wybon (10min)
- Bandes annonces
- Galerie de photos