L'Arche de monsieur Servadac - Karel Zeman

L’Arche de monsieur Servadac : Karel Zeman et Jules Verne en DVD

Depuis quelques années, Karel Zeman est judicieusement remis en valeur par l’éditeur Malavida qui a distribué plusieurs de ses films et notamment L’Arche de monsieur Servadac (parfois intitulé Sur la comète). Le cinéaste tchèque était pourtant adulé des années 1950 aux années 70 par le public autant que par la critique. André Bazin adorait L’Invention diabolique (Aventures fantastiques) et Georges Sadoul le considérait comme le digne successeur de Méliès. Influence majeure pour Wes Anderson ou Terry Gilliam, il fût, comme beaucoup d’autres, injustement oublié après son dernier long métrage Jeannot et Mariette réalisé en 1980.

L'Arche de monsieur Servadac - Karel Zeman

Formé au graphisme et à l’animation en France entre 1930 et 1936, en dessinant et réalisant plusieurs publicités, il a été fortement marqué par Jules Verne, ses aventures extraordinaires et les gravures des ouvrages édités par Pierre-Jules Hetzel et réalisées, entre autre, par Edouard Riou, Georges Roux ou Léon Bennett. Il reprendra plusieurs fois au cours de son œuvre, dans L’Invention diabolique et Le Dirigeable volé, ce type d’image pour les animer et y incorporer des acteurs réels à l’aide de techniques dignes de Georges Méliès, Segundo de Chomon ou Emile Cohl pour leur bricolage naïf et la poésie dont ils sont emprunts.

Servadac contre-attaque

1888. Une comète croise la Terre et une partie du continent africain est propulsée dans l’espace. De la rencontre dans ce voyage forcé dans l’espace entre le capitaine Servadac et la belle Angelika naît un amour mouvementé.

L'Arche de monsieur Servadac - Karel Zeman

L’Arche de Monsieur Servadac sort en 1970, soit deux ans après les événements de 1968 qui n’ont pas marqué que la France mais le monde entier, avec des conflits armés et des manifestations aux quatre coins du globe et notamment en Tchécoslovaquie. C’est l’avant-dernier long-métrage de Karel Zeman, avant une série de courts inspirés des Mille et une nuits, et le dernier film qu’il reprend de Jules Verne. Cette fois, son iconographie s’éloigne des éditions Hetzel pour se rapprocher des cartes postales vaporeuses, parfois colorées, souvent associées au pictorialisme du tournant du 20ème siècle. Peut-être Zeman n’appréciait-il simplement pas les gravures de Paul-Dominique Philippoteaux qui s’était occupé du roman de Jules Verne dont est adapté le film, Hector Servadac. Peut-être, sinon, que son imaginaire orientaliste, qui l’occuperait pendant la décennie suivante et qui est déjà présent dans ce film, avait davantage été marqué par ce type de représentations coloniales particulièrement courante dans les années suivants sa naissance en 1910.

L'Arche de monsieur Servadac - Karel Zeman

Quoiqu’il en soit, le choix du roman n’est pas anodin, d’autant plus qu’il ne figure pas parmi les plus célèbres et les premiers cités de l’auteur français. C’est par contre l’un de ses plus surprenants et farfelus avec une dimension onirique qui dépasse le côté scientifique qu’on lui connait. L’exploration et l’aventure sont ici fortuites et involontaires même si elles mènent à des moments incroyables. On avait, de façon surprenante, découvert lors d’un passage à la Cinémathèque, cette histoire d’une comète qui passe si près de la Terre qu’elle détache une partie du continent Africain alors en proie à des guerres coloniales et plusieurs habitants qui doivent dès lors cohabiter alors qu’ils sont censés se battre. C’était en 2011, année faste pour ce corps céleste puisque ce fût celle de Melancholia, The Tree of life et des Moomins et la chasse à la comète. Et, contrairement aux précédents films, la comète ici n’a rien de dangereux, elle n’extermine pas, elle ne porte en elle aucune crise réelle, mais elle les résout. Son passage est aussi inattendu que salvateur et vecteur de paix et de réconciliation entre les hommes. Ils devront cohabiter deux ans sur ce bout de terre avant de revenir sur terre de la même façon qu’ils l’ont quittée.

L'Arche de monsieur Servadac - Karel Zeman

Pour les amateurs de Zeman, L’Arche de Monsieur Servadac condense en quelque sorte tout ce que le cinéaste avait pu produire jusque-là. C’est un peu son film somme : les dinosaures y sont présents, un monstre marin également et ces marionnettes se mêlent à la prise de vues directes, à la peinture et aux dessins comme ça avait pu être le cas. Ces enchevêtrements rendent l’esthétique générale foutraque et surréaliste, à la manière d’un collage dont les contours seraient juste assez visibles pour qu’on y croit sans y croire, un peu comme à ce récit des plus rocambolesques. Contrairement à Disney – période long-métrage – auquel il a pu être injustement comparé, le cinéaste ne cherche pas à copier le réel mais au contraire à nous faire passer dans un autre monde comme si nous pouvions habiter un univers de papier découpé et revenir aux prémices de l’enfance avec tous les jeux de construction qui devenaient réels avec trois bouts de ficelle et un crayon. Et grâce aux effets magiques (et spéciaux) de Zeman, c’est réellement possible – et ce ne sont pas les fans de Gondry ou des œuvres suédées qui diront le contraire !

L'Arche de monsieur Servadac - Karel Zeman

Au-delà de cet aspect technique, L’Arche de Monsieur Servadac est également d’importance car elle fait passer sans ambages un discours politique qu’on trouvait alors dans le cinéma d’animation tchèque (que ceux qui n’ont pas vu La Main de Jiri Trnka aille découvrir le plus beau film du monde). Discours antiraciste, anticolonialiste, surtout au moment où les soviétiques disposaient encore de la Tchécoslovaquie, à teneur assez féministe et surtout pacifiste alors que d’aucuns imaginaient encore une nouvelle guerre possible à tout moment. Et tout ceci dans une œuvre qui si elle est exubérante, humoristique et poétique n’est pas dépourvue d’une honnête mélancolie. Le film commence ainsi : « Jeune officier, j’ai été témoin d’événements extraordinaires. Aujourd’hui, c’est comme si rien ne s’était passé » et c’est souvent le cas : la paix ne dure pas, mais d’autres peuvent malgré tout s’y essayer !

Une édition DVD précieuse

Face à l’arrivée du 4K tout puissant, certains pourront penser que l’ère du DVD est terminé. Ce n’est pourtant pas demain que l’on pourra s’en passer pour des œuvres à l’économie aussi fragile que celles de Karel Zeman.

La restauration de L’Arche de monsieur Servadac, initiée en 2012 par le musée Karel Zeman à Prague, est des plus correctes. Ceux qui ont revu le film en salle en 2015 en France retrouveront la même image et une qualité sonore équivalente, un DD mono 2.0 comme à l’époque. On aura le choix entre la VF (qu’il vaut mieux éviter même si les plus petits ne s’en plaindront probablement pas) et la VO sous-titrée en français ou en anglais. Le master n’est pas sans défauts mais il est globalement propre et le rendu des couleurs, surtout des teintes sépia, et du noir et blanc, est convaincant.

L'Arche de monsieur Servadac - Karel ZemanL'Arche de monsieur Servadac - Karel ZemanL'Arche de monsieur Servadac - Karel Zeman

Le disque n’est pas dépourvu de suppléments. Très courts, les petits reportages proposés peuvent servir d’introduction à l’œuvre du cinéaste. On présente son côté pacifiste en 1min10, son rapport à la technique et à la poésie en 3min20 et un retour biographique avec une courte interview du maître en moins de 5min avant de finir sur une visite du musée praguois en 1min20.

Attention deux featurettes sont « cachées ». Même elles sont tout à fait dispensables, il faudra se diriger vers les menus tchèque ou anglais pour voir apparaitre deux autres documents qui présentent un peu plus longuement le musée Karel Zeman de Prague et des extraits de certains de ses films.

L'Arche de monsieur Servadac - Karel ZemanL’Arche de Monsieur Servadac de Karel Zeman (Tchécoslovaquie – 1970) – Édition DVD – Malavida – Sortie le  2 mai 2018

Une comète croise la Terre et une partie du continent africain est propulsée dans l’espace. De la rencontre, dans ce voyage forcé, entre le capitaine Servadac et la belle Angélique naît un amour… mouvementé. Le jeune capitaine de l’armée française tente de convaincre ses ennemis d’hier de s’allier contre les dangers qui les guettent, mais l’utopie sera de courte durée…

 

Spécifications techniques :

  • Image : 1.66:1
  • Langues : Tchèque, Français DD Mono 2.0
  • Sous-titres : Français, Anglais
  • Durée : 1h 59min 03s

Bonus :

  • La Naissance d’une légende
  • Karel Zeman, la légende continue
  • L’absurdité de la guerre
  • Biographie
  • Filmographie
  • Bandes-annonces
  • Présentation du musée Zeman

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