Les Forbans de la nuit - Image une test BRD

Les Forbans de la nuit en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre chez Wild Side

Réalisé à Londres, sur les lieux mêmes de l’action, Les Forbans de la nuit (Night and the City) marque la fin du cycle hollywoodien pour un réalisateur que le maccarthysme (et la dénonciation d’Elia Kazan) a forcé à l’exil cinématographique. Jules Dassin devait certainement s’en douter car si Les Forbans de la nuit est un monument de film noir, il le doit surtout à la vitalité, proche du désespoir, de sa réalisation, plus que par le sujet même du film plutôt passe partout : un petit escroc, vaguement débrouillard et obsessionnellement ambitieux, se heurte au milieu londonien en voulant organiser des combats de lutte gréco-romaine. Un traitement qui fait donc toute la différence auquel il serait malvenu de passer sous silence l’apport essentiel d’un certain Darryl F. Zanuck alors producteur exécutif et futur patron de la Fox. On s’explique.

Les Forbans de la nuit - Affiche France d'origine

Tous les thèmes ainsi que les codes visuels qui composent habituellement l’univers du genre sont là : les bas-fonds de Londres comme témoignage de la décadence d’une société, les destins tragiques à la brutalité ici accrue car non ponctuée ou asservie par une romance pourtant au cœur du genre par ailleurs (on pense, ne serait-ce que pour la seule année 1950, à Mark Dixon détective d’Otto Preminger ou encore au Démon des armes de Joseph H. Lewis), omniprésence de la nuit urbaine avec ses lumières électriques blafardes et ses ombres menaçantes. Mais Dassin va plus loin et transcende le tout en une forme d’épure proche de l’esthétique néoréaliste donnant à son film cet aspect d’œœuvre malade au souffle putride ainsi qu’un poème visuel intrinsèquement pervers. Pour le reste, il semble projeter en Richard Widmark, l’escroc au destin tout tracé, et Gregorius le vieux lutteur à la moralité rectiligne d’un autre temps (Stanilaus Zbyszko dont c’est la seule apparition au cinéma), toute l’ambivalence d’un système qui a fini par le rattraper et le tordre.

Les Forbans de la nuit - Richard Widmark

Il paraît que Dassin est arrivé sur le tournage sans avoir lu une ligne du scénario (ne parlons même pas du livre au titre éponyme de Gerald Kersh). L’aurait-il validé en l’état ? En avait-il le pouvoir ou même la volonté ? Est-ce une légende à laquelle Philippe Garnier, dans l’excellent bouquin qui accompagne cette édition, tord le coup ? Ce qui est certain c’est qu’il quitte précipitamment les États-Unis sur les conseils avisés de Zanuck pour la capitale britannique lui enjoignant même dans la foulée de commencer par tourner les scènes les plus onéreuses afin que le Studio ne puisse pas arrêter le tournage. Dassin semblait de toute façon le cinéaste du moment le plus à même d’inventer une réalisation qui puisse se mouvoir en décors naturels. À une époque où tout ou presque se fabrique en studio, Dassin venait en effet de marquer les esprits par son style proche du documentaire et fortement influencé par ce qui se passait dans le cinéma italien avec ses deux précédents films : La Cité sans voiles (The Naked City uniquement disponible en DVD en nos contrées chez Wild Side) fait ainsi de la ville de New-York le personnage principal d’une intrigue traitée de façon omnisciente. De la même façon, Les Bas-fonds de Frisco (Thieves’ Highway uniquement disponible lui aussi en DVD en nos contrées mais chez Fox) mettra en vedette la ville du Golden Gate bien avant qu’un certain Harry Callahan y étrenne son 357 Magnum.

Les Forbans de la nuit - Capture bonus

Le voici donc débarquant à Londres où certaines rues sont encore marquées par les stigmates du Blitz, cette campagne de bombardements menée sur plusieurs villes anglaises par l’aviation allemande durant la seconde guerre mondiale. Un décor idéal pour signifier la noirceur d’une humanité répliquant d’ailleurs un procédé qu’utilisa Carol Reed avec Le Troisième homme réalisé l’année précédente dans un Berlin encore en ruine. Deux films qui au passage ont sans doute été influencés par l’empreinte visuelle indélébile imprimée en 1948 par Roberto Rossellini dans Allemagne année zéro. Et pendant que le sénateur McCarthy s’emploie à débusquer les méchants communistes tapis au sein de l’industrie hollywoodienne, Jules Dassin cartographie sa mise en scène pour la fondre au sein d’un Londres interlope où tous les chemins mènent à la Tamise et à ses fameux ponts de Hammersmith et de Westminster. Il y a même une voix off au début qui rappelle celle que l’on entend dans La Cité sans voiles, comme si Dassin voulait signifier que toutes les villes se valent. On y parle en effet la même langue, celle de la rue qui balafre l’âme humaine pour en faire des body snatchers avides de pouvoir acquis à l’ombre des puissants.

Les Forbans de la nuit - Affiche US

La suite de sa carrière, Jules Dassin la poursuivra en Europe, d’abord en France avec l’inoubliable Du rififi chez les hommes (que Gaumont propose en Blu-ray depuis 2011) puis en Grèce où il rencontrera Melina Mercouri (en fait au festival de Cannes 1956) qui deviendra son égérie (ils tourneront 8 films ensemble) et sa seconde femme. Si l’homme et le cinéaste n’ont donc pas à rougir de cette deuxième vie (bien au contraire), Dassin restera extrêmement marqué par cet épisode qui va bouleverser son existence (et son cinéma d’ailleurs). Il suffit de voir comment il réagit bien des années plus tard quand on l’interroge sur la chose au sein du complément délicieusement nostalgique intitulé « Le Club de Jules Dassin ». Le Club était en fait une émission diffusée en son temps sur Ciné+ Classic qui s’appelait au moment de son lancement en 1991 CinéCinéfil. Elle était animée par le regretté Jean-Jacques Bernard, critique et fin cinéphile qui arrivait souvent à attirer à sa table en compagnie d’acolytes tout aussi passionnés (entre autre Jean Ollé-Laprune qui est le fondateur de la chaîne mais aussi de la plateforme VOD FilmoTv qui appartient aujourd’hui à Wild Bunch et dont Wild Side est l’une des filiales), de grands noms du cinéma comme ici Jules Dassin. Celui-ci n’a donc de cesse de jeter un voile pudique sur cette période refusant poliment et à chaque fois de répondre alors même qu’on le sent encore profondément affecté. Coquetterie ? Rancune tenace ? Un peu des deux nappés de quelques approximations devenues avec le temps la légende ?

C’est en tout cas la thèse de Philippe Garnier qui affirme par exemple, preuve à l’appui, que le cinéaste avait bien eu connaissance des 13 scriptes (au moins) qui ont jalonnés la production de Night and the City et que pour la dernière version travaillée sur place à Londres avec le scénariste de Gilda Joe Eisinger, il a énormément tenu compte des remarques de Zanuck par l’entremise du producteur délégué sur place (Samuel Engel) qui depuis Los Angeles ou Cap d’Antibes se tenait au courant de l’avancée du tournage quand il ne contribuait pas à fluidifier ou à densifier le scénario. D’ailleurs, si on avait des doutes sur le personnage Darryl F. Zanuck quant à sa place dans l’histoire d’Hollywood, Garnier pointe magnifiquement de la plume sa contribution ici qui va bien au-delà du simple producteur. Homme aux multiples talents d’affaire et artistiques, il est aussi celui qui a protégé Jules Dassin l’envoyant donc à Londres pour lui permettre de continuer à travailler pour la Fox alors qu’il était déjà dans le collimateur de la commission sur les « activités anti-américaines ». Et d’ailleurs si Dassin va apprendre à détester Hollywood, Zanuck sera toujours plus ou moins exempté de ce courroux justifié. Jamais idolâtré mais consciemment respecté.

Les Forbans de la nuit - Capture bonus

C’est au final chez Criterion que l’homme s’est le plus sincèrement exprimé sur la question. Dans un entretien exclusif pour l’éditeur new-yorkais datant de 2004 repris pour le Blu-ray sorti en 2015, il revient ainsi sur la dénonciation en règle effectuée par un Elia Kazan soucieux de sauver ses miches au détriment d’une flopée de noms qu’il a balancés à la commission. Jusqu’à la fin, le cinéaste de Sur les quais (qui n’est autre qu’un acte de contrition) regrettera amèrement cet épisode de sa vie tout en affirmant que s’il devait le refaire, il ne s’y prendrait pas autrement (sic !). Criterion revenait aussi en détail sur la différence entre les deux montages. Oui car Les Forbans de la nuit est connu pour ses deux versions. L’une dite anglaise car présentée comme telle lors de la première à Londres en avril 1950 et l’autre qui propose un montage sensiblement différent où même cinq pages de scénario ont été tournées à nouveau dans un studio à Los Angeles sans Dassin pour une sortie sur le sol ricain trois mois plus tard.

Les Forbans de la nuit - Capture bonus

Si la deuxième version est celle qui a traversé les décennies, Wild Side (tout comme Criterion) propose de comparer les deux avec au sein des bonus la possibilité de visionner la version anglaise dans son intégralité via un master restauré 2K. Très sincèrement on ne sait si la chose est inédite chez nous mais depuis l’arrivée du DVD en France et la première édition du film sur ce support chez Carlotta en juillet 2005, il ne nous semble jamais avoir vu circuler ce montage en vidéo. Et d’ailleurs le DVD Criterion en 2005, s’il mentionnait bien la chose en en détaillant les différences et en expliquant les raisons de son existence, ne le proposait pas. On précisera pour être complet sur la chose que les sous-titres français (pas de doublage pour une version qui n’a finalement jamais été exploitée comme telle ailleurs qu’en Angleterre) peuvent différer sur certains dialogues pourtant identiques d’une version à une autre. Celle de la version anglaise semblant plus old school avec des expressions déjà un peu datées. Ce qui impliquerait que cette version a peut-être été montrée dans le cadre de rétrospectives ou autres hommages à Dassin en début de siècle.

Quoi qu’il en soit, l’étude entre ces deux versions est passionnante et c’est Glenn Erickson au sein du dernier complément de cette édition qui s’y colle avec un didactisme hors pair complétant parfaitement ce que dit Garnier au sein du livre. On rappelle en effet que la différence la plus notable se situe au niveau du « score », composé pour l’un par Franz Waxman (version US) et pour l’autre par Benjamin Frankel. Garnier précise que la Fox voulait au final un compositeur « maison » car « Frankel faisait sûrement partie des marchandages syndicaux imposés par le système des quotas (…). Et puis légalement les compositeurs britanniques conservaient les droits sur leur musique, ce qui n’enchantait pas Hollywood, préférant toujours acheter le travail de ses artistes, à prix d’or peut-être, mais à perpétuité, et sans droits dérivés. » Il y a aussi bien entendu ce « retake » qui se situe au tout début du film quand nous est présenté la teneur des relations de couple entre Gene Tierney et Widmark. Reshoot voulu par Zanuck pour épaissir un peu le personnage de Tierney plutôt fadasse et assez loin des standards de la star qu’il avait au demeurant envoyé à Londres pour lui faire un peu oublier son quotidien compliqué (peine de cœur et le handicap de sa fille Daria). Sans oublier cette fin plus « douce » dans la version anglaise mais qui ne colle pas trop avec les canons plus abrupts imposés par le genre.

Par rapport au système des quotas dont parle Garnier, on rappellera que l’Angleterre de 1949, tout comme le reste de l’Europe, bénéficiait alors des bienfaits du plan Marshall. De fait, l’industrie cinématographique anglaise voulait à tout prix pouvoir compter au maximum sur cette manne financière et pour ce faire ne voulait absolument pas que les profits réalisés par les films américains sur le sol anglais puissent gonfler plus que de nécessaire les poches des producteurs hollywoodiens. C’est pourquoi un film comme Les Forbans de la nuit a accouché in fine de deux versions, chacune étant distribuée et rentabilisée sur son propre territoire. Mais ici le système est allé plus loin puisque au-delà des montages différents, on a donc fait appel à un compositeur anglais qui donnera au film une direction radicalement différente quant à sa couleur musicale : la version américaine étant bien plus jazzy et percutante, plus en rapport avec ce montage à la fois rapide et fluide que l’on a cru longtemps voulu par Dassin mais qui l’un dans l’autre n’a finalement jamais eu droit au chapitre en cette occurrence. Et Garnier d’enfoncer le clou en exhumant une correspondance qu’il a eu avec Dassin datant de 2004 où celui-ci écrit n’avoir eu connaissance de cette version anglaise qu’en 2003 via le British Film Institute (on rappellera que le cinéaste s’éteindra le 31 mars 2008). Pour conclure par cette phrase : « Quant à Zanuck, je vous ai dit que j’avais mes raisons de lui être reconnaissant, mais je me souviens lui avoir dit un jour, Darryl, tu aimes passer pour un brave type, mais tu n’y arrives jamais vraiment. » Respecté donc mais sans plus.

Les Forbans de la nuit - 1ère de couv livre Philippe Garnier

Ce qui nous permet au passage d’affirmer tout le bien que l’on pense de ce livre signé Philippe Garnier. Au-delà des multiples mises au point qu’il effectue sur un film aux coulisses devenues avec le temps un peu trop biaisées ou fantasmées, on est admiratif sur la méthodologie de ses recherches pour arriver à tordre ainsi le coup à une histoire de cinéma que l’on pensait actée. Tel un détective, il va jusqu’à retrouver la trace de notes de frais ou de contrats passés pour assoir une assertion ou en contrecarrer une autre. Du très très grand art qui nous laisse pantois d’admiration et rehausse encore la fascination qu’exerce Les Forbans de la nuit et sa place définitivement à part dans l’histoire du genre sinon du cinéma.

On s’en voudrait de terminer ce papier sans mentionner la très belle tenue de l’image proposée ici qui est issue d’un master restauré 4K. Certainement la même source utilisée par Criterion pour son édition Blu-ray. À la différence notable toutefois que le travaille d’encodage chez Wild Side surpasse celui de l’éditeur américain. Les contrastes plus durs et le grain plus présent contribuent en effet à lui donner un aspect bien plus organique et une définition accrue sans que pour autant les arrières-plans empêchent de (re)découvrir la profondeur de champ voulue par Max Greene, ce chef op d’origine allemande bercé par les préceptes du cinéma expressionniste. Côté bande son, on trouve le doublage VF d’origine (le même que sur l’édition DVD Carlotta de 2005) au ressenti bien plus étriqué, nasillard et où il manque pas mal des sons d’ambiance du mixage d’origine au demeurant parfaitement retranscrits par la VO ample et généreuse encodée elle aussi en DTS-HD MA mono 2.0. Vous avez dit édition remarquable ?

En haut : Blu-ray Criterion – Édition 2015
En bas : Blu-ray Wild Side – Édition 2018

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Les Forbans de la nuit (Night and the City – 1950) – Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre

Réalisateur : Jules Dassin
Éditeur : Wild Side Video
Sortie le : 27 mars 2019

Après avoir rencontré Gregorius, une légende de la lutte, Harry Fabian décide d’organiser des combats pour s’enrichir, défiant le caïd local. Habitué des combines douteuses, il enchaîne les arnaques pour parvenir à ses fins, mais très vite la situation commence à lui échapper…

 

Disque 1 : Le film

  • Image : 1.33:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langues : Anglais et Français DTS-HD MA mono 2.0
  • Sous-titres : Français
  • Durée : 1h35min 45s
  • 1 BD-50

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Disque 2 : Les bonus

  • Montage britannique du film non validé par Jules Dassin : 1h40min 49s – image 1.33:1 encodée en AVC 1080/24p – Anglais DTS-HD MA 2.0 mono avec des sous-titres français débrayables
  • Le Club de Jules Dassin (1999 / 50min 51s / SD)
  • Running in the dark (2016 / 42min 08s / HD / VOST) : entretien avec Glenn Erickson, spécialiste du film noir par Robert Fischer de la Fiction Factory
  • Le squelette de l’histoire, un livre inédit grand format 220 pages, écrit par Philippe Garnier, illustré de photos et d’archives rares.

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