Pour aborder L’Attentat d’Yves Boisset, ce ne sont pas les angles qui manquent. Il y a celui historique puisque le film retrace d’une manière quasi documentaire l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, principal opposant au roi Hassan II du Maroc alors en exil, par la police française en plein Paris. Il y a celui plus cinématographique qui nous permettrait de confronter la filmo naissante de ce cinéaste franc-tireur dans la France des années 70. Ou bien encore d’analyser l’écho d’un tel film à la fois au regard de la production cinématographique actuelle et de l’état de notre société en ce début de 21ème siècle. Et vous savez quoi, n’ayons pas peur de l’ampleur de la tâche et de la possibilité de nous planter puisque l’on va tout aborder sans oublier de vous parler de cette édition DVD qui propose le film depuis un master tout récemment restauré 4K.
L’affaire Ben Barka à l’origine de L’Attentat
Avec le succès qu’il juge lui-même surprise d’Un condé, Yves Boisset veut pousser le bouchon encore plus loin en s’appuyant sur la sulfureuse affaire Ban Barka comme sujet de son prochain film. Un condé avait en effet bénéficié de la publicité indirecte du ministre de l’intérieur de l’époque qui voulait coûte que coûte empêcher la sortie d’un film dépeignant d’une manière si peu flatteuse la police française. Une véritable censure d’État qui obligeât Boisset à couper 8 minutes et à retourner des séquences entières. Résultat, quand Un condé sort enfin, beaucoup voulait constater sur pièce avec au final 1 328 785 entrées à une époque où les sorties de film se faisaient en première exclusivité sur Paris puis progressivement en province. Le réalisateur qui n’hésitait pas à pointer du doigt une police corrompue et brutale voulait dorénavant s’attaquer aux services secrets français, marocains et à la CIA. Un programme qui aurait pu se révéler indigeste et très casse gueule mais qui au final accouche de L’Attentat, un exercice pour le moins épuré, proche du documentaire et d’une efficacité jamais démentie depuis sa sortie en 1972.
Au départ de L’Attentat il y a un scénario pondu par Ben Barzman, un auteur canadien qui après avoir été été blacklisté d’Hollywood au moment du maccarthysme s’était installé en France d’où il avait pu reprendre ses activités d’écrivain et de scénariste. Mehdi Ben Barka était cet homme politique marocain opposant au régime du roi Hassan II qu’il considérait par trop inféodé à la France et aux États-Unis. Chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste où l’on pouvait croiser Che Guevara ou Malcolm X, il vivait en exil à Genève où il était protégé 24/24 par la police. Le 29 octobre 1965, alors qu’il se rend à un rendez-vous à la brasserie Lipp à Paris, il est enlevé en pleine rue et son corps ne sera jamais retrouvé. Ben Barzman était un authentique sympathisant communiste (il a même adhéré au parti communiste américain de 1943 à 1949). Et même si avec le temps, ses convictions ont pu évoluer, ce qui allait devenir l’affaire Ben Barka pour laquelle De Gaulle n’était en rien responsable mais dont il devra bien malgré lui en assumer les conséquences quant à l’image de la France dans le monde, était du pain bénit pour celui qui fustigeait l’action de ces puissances occidentales qui voyaient d’un mauvais œil l’agitation socialiste au sein de ces pays émergents tout juste sortis du colonialisme.
En 1970, quand le scénario de Ben Barzman circule auprès des maisons de production parisiennes, personne n’ose mettre une option dessus. Trop sulfureux et dangereux d’autant que si procès il y a bien eu en 1967, il reste beaucoup de zones d’ombre que l’enquête judiciaire toujours ouverte en 2020 n’a pas permis d’éclaircir du fait de la non coopération et du mutisme de l’État marocain. Mais quand Boisset tombe dessus, il est immédiatement emballé et le fait lire à son agent Gérard Lebovici qui possède alors Artmedia, une des plus puissantes agences de talents de l’époque. Au passage, rien que sur Gérard Lebovici, on pourrait écrire un livre (et d’ailleurs beaucoup lui ont déjà été consacrés) et faire un film passionnant tant le bonhomme a révolutionné le cinéma français des années 70 jusqu’à son assassinat au début des années 80 de quatre balles dans la nuque tirées à bout portant dans sa voiture garée dans un sous-sol du parking de l’avenue Foch dans le XVIè arrondissement de Paris. L’exécution d’un contrat en somme. Il faut croire que plus personne n’a les c*** d’un Boisset pour s’atteler aujourd’hui à une tâche qui mettrait forcément en lumière certaines zones interlopes de l’industrie cinématographique (mais pas que) de notre beau pays. Mais avant cette fin digne d’un film de Scorsese, Lebovici soumet immédiatement l’idée à Boisset que pour mener à bien un tel projet, il va leur falloir une pléiade de vedettes afin de donner au film une telle publicité qu’il sera impossible à étouffer sinon à s’attirer l’opprobre des médias et donc de l’opinion publique. Dans le même temps, Lebovici, avec l’accord de Boisset, confie la réécriture du scénario qu’il trouve trop manichéen à Jorge Semprún. Le scénariste de Z de Costa Gavras qui vient tout juste d’être doublement oscarisé (meilleur film étranger et meilleur montage) accepte avec enthousiasme le challenge pour lequel il s’acquittera avec brio mais en prenant son temps. Ça et le casse tête pour réunir la brochette espérée de stars, il va encore falloir deux ans pour que le film se fasse. Ce qui donnera la possibilité à Boisset de réaliser entre-temps Le Saut de l’ange qui dressait un tableau au vitriol d’une Côte d’Azur sous la coupe de la Mafia locale dirigée par un politicien véreux dans lequel il était facile de reconnaître Jacques Médecin, le maire tout-puissant du Nice d’alors dont on rappelle au passage que Christian Estrosi fut, avec son appui, élu au conseil municipal et son adjoint aux sports dès 1983…
« Les chiens aboient, la caravane passe »
Cette formule lapidaire dont il avait seul le secret, c’est à De Gaulle qu’on la doit. Le chef de l’État est parait-il entré dans une colère noire quand il finit par comprendre que cette affaire s’est déroulée dans son dos à un échelon subalterne. Des policiers agissants sur les ordres d’une hiérarchie à la marge, une CIA dans l’ombre mais actionnant les leviers qu’il faut… De Gaulle va refermer le dossier, ne voulant plus en entendre parler tout en procédant à des réformes en profondeurs des services ad hoc dont un des plus emblématiques, le SDECE pour service de renseignements extérieur français créé le 28 décembre 1945, qui va passer sous la tutelle du ministère des Armées dirigé par Pierre Messmer avant de devenir la DGSE en 1982. Pour autant, quand Boisset commence le tournage de L’Attentat, le gouvernement Chaban-Delmas sous la présidence Pompidou, voit cela d’un très mauvais œil et ne fera rien pour faciliter les choses. Bien au contraire. Dans son livre La Vie est un choix (Plon – 2011), Boisset raconte un tournage chaotique où obtenir des autorisations de prises de vue dans Paris relevaient du miracle et ce malgré un compte rendu quasi quotidien dans la presse qui se délectait de ces passes d’arme avec la préfecture de police aux ordres façon petit doigt sur la couture du ministère de l’intérieur de l’époque. Morceau choisi : « Le sommet fut atteint au moment fatidique de la reconstitution de l’interpellation de Ben Barka par des policiers des renseignements généraux sur le trottoir du boulevard Saint-Germain devant la brasserie Lipp. Évidemment, la veille du tournage, les services de la préfecture de police nous firent savoir qu’ils étaient au regret de ne pouvoir nous donner leur autorisation à cause des exigences d’une circulation particulièrement difficile sur le boulevard Saint-Germain. Lorsque j’appris la nouvelle, j’étais justement en repérage à la brasserie Lipp. Catastrophé, j’en informai le patron de l’établissement, l’excellent Monsieur Cazes. En dehors de ses talents de restaurateur, Cazes était un fin juriste.
— En tant que propriétaire, je suis responsable d’un mètre de trottoir le long des vitrines de la brasserie. Si vous pouvez tourner caméra à la main, sans éclairage fixe et sans déborder à plus d’un mètre, les flics ne pourront rien vous dire. Et si on cherche à vous faire des ennuis, je serai là avec mon avocat pour vous soutenir. Quant aux acteurs, ils sont libres d’aller et venir comme n’importe quel citoyen.
Le lendemain, aux premières heures du jour, nous avons donc tourné, caméra à la main, devant la brasserie Lipp. Pour plus de précautions, j’avais demandé à toutes les vedettes du film, même celles qui ne tournaient pas dans la scène, de venir nous soutenir. Les nombreux flics en civil qui stationnaient devant le restaurant pour paralyser le tournage étaient désemparés. C’est Cazes lui-même qui leur demandait de circuler pour ne pas troubler la bonne marche de son commerce.
Une heure plus tard, la préfecture de police avait trouvé la parade. Une vingtaine de fourgons de CRS sont venus stationner devant la brasserie Lipp, bouchant la perspective de la contrallée et rendant pratiquement impossible toute prise de vues. Heureusement, nous avions déjà réussi à arracher les quelques plans indispensables au récit. »
Parmi les comédiens qui composaient le casting 5 étoiles de L’Attentat figurait l’italien Gian Maria Volontè que le public français avait découvert en 1964 dans Pour une poignée de dollars de Leone pour ensuite aller notamment traîner ses guêtres chez Melville (Le Cercle rouge), Elio Petri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon – 1970 / La Classe ouvrière va au paradis – 1971) ou encore Francesco Rosi avec L’Affaire Mattei qu’il venait de terminer. Quand il débarque d’Italie, c’est donc en star qu’il est accueilli. Une star que Boisset admire pour ne pas dire plus. Encore aujourd’hui il en parle avec beaucoup de respect et d’émotion comme en atteste le segment de 7 minutes présent en bonus au sein de ce DVD où Boisset nous distille de surcroît une anecdote emblématique du bonhomme mais aussi de l’acteur venu pour endosser le costume de Ben Barka. Aujourd’hui, on parlerait certainement de whitewashing (un acteur blanc pour interpréter un maghrébin) alors que nous on préfèrera retenir l’anecdote en question formidablement décrite dans le livre sus-cité : « Quelques jours avant le tournage, il me téléphona de Rome pour me poser une question étrange.
— Quelle est la ville la plus ennuyeuse de France ?
Pris de court, je ne savais trop quoi répondre et lâchais sans conviction profonde :
— Je ne sais pas. Peut-être Châteauroux…
Il me demanda alors de lui réserver une chambre dans un hôtel quelconque de Châteauroux. Pas un Relais et châteaux, mais un hôtel vraiment ordinaire, près de la gare par exemple. Il souhaitait que je réunisse toute la documentation possible, articles, photos, enregistrements sonores sur Ben Barka. Je devais venir le chercher à l’aéroport et le conduire directement à Châteauroux pour lui permettre, à l’écart de tout et de tous, de se pénétrer du personnage.
J’accueillais donc à Orly Gian Maria Volontè, l’emmenais à Châteauroux et l’abandonnais avec une valise de documents à l’Élysée Hôtel, établissement d’une banalité inquiétante à deux pas de la gare. Je quittais un Italien gominé, le cheveu calamistré et raide, avec une fine moustache de séducteur romain.
Lorsque je le récupérais deux jours plus tard, je fus abasourdi de voir arriver à la réception de l’hôtel un type voûté aux cheveux frisés grisonnants et au teint bistre de Nord-Africain. Mieux, il ressemblait vraiment à Ben Barka. Je lui demandais ce qu’il avait fait pour modifier à ce point son apparence. Il me regarda avec le sourire timide de son modèle marocain.
— Ah ! Tu as remarqué, j’ai rasé ma moustache.
Loin de l’Actors Studio ou des méthodes de Stanislavski, en quarante-huit heures il était devenu Mehdi Ben Barka. Il lui ressemblait, il s’exprimait comme lui. Je présume qu’il pensait comme lui. Le plus extraordinaire est qu’il allait rester Ben Barka pendant deux mois de tournage. »
Gian Maria Volontè dans L’Attentat
L’implication du reste de la prestigieuse distribution est idoine et ce quelque soit le temps passé à l’écran. Il y a ainsi Michel Piccoli qui en à peine 7 minutes disséminées en tout juste trois apparitions marque durablement le film de son aura menaçante. Il joue ce colonel Kassar, farouche opposant de Sadiel et commanditaire de toute l’opération. Ah oui parce l’on a oublié de vous préciser. Jamais ô grand jamais L’Attentat n’affirme traiter de cette opération de barbouzes. C’est là la très belle spécificité de notre justice qui protège avec fermeté le droit à l’image et la réputation de tout un chacun. User des identités véritables alors que rien ou très peu de choses n’ont été prouvées et démontrées au procès, c’est prêter le flanc à des attaques en diffamation en cascade avec à la clé de gros déboires financiers arbitrés par tribunaux interposés. Mais bien entendu personne n’est dupe. Ainsi, Jean-Louis Trintignant, véritable fil rouge du film, personnifie en fait deux personnages centraux de cette affaire : « (…) c’étaient eux qui avaient attiré Ben Barka dans le piège tendu par les services marocains : un rendez-vous à la brasserie Lipp avec le cinéaste Georges Franju et la romancière Marguerite Duras, en vue d’un projet de film sur la décolonisation. Georges Figon, petit truand reconverti dans la production de cinéma, et Philippe Bernier, obscur journaliste à l’AFP et spécialiste du tiers-monde, s’étaient connus par l’intermédiaire de Marguerite Duras, dont ils étaient les amants occasionnels. Après la disparition de Ben Barka, Georges Figon, qui était un peu trop bavard, s’était suicidé dans des circonstances obscures en se tirant deux balles dans la tête, ce qui relève de l’exploit sportif. Quant à Philippe Bernier, il s’en était plutôt bien sorti, sans doute protégé par son statut d’indicateur de police ». (op. cit.) Dans le film, il s’appelle François Darien (pour homme de main parti de rien sans doute) et Trintignant magistral de lui donner les traits d’un homme qui va là où ses intérêts le portent mais avec cette lucidité de bafouer à chaque instant ses convictions morales et politiques plutôt nobles.
Pour autant, Yves Boisset ne fera pas l’économie d’un procès : « Philippe Bernier avait signé un accord aux termes duquel il renonçait à se pourvoir en justice contre la production. Contre la production, mais pas contre moi. Il prit donc prétexte d’une interview que j’avais imprudemment donnée à France Inter pour m’attaquer en diffamation et me réclamer d’énormes dommages et intérêts. Il est vrai que j’avais été particulièrement naïf. Bernier affirmait, me rapporta à l’antenne le journaliste, que la description qui était faite dans le film des services de renseignements était particulièrement fantaisiste. Piqué au vif, j’eus la maladresse de répondre que, Bernier devait savoir de quoi il parlait, puisqu’il était notoirement indicateur de police.
Bingo ! Le lendemain, je recevais une citation devant la 17e chambre correctionnelle, accusé d’avoir diffamé l’honorable Philippe Bernier. Bien entendu, il s’avéra impossible de trouver des témoins qui acceptent de confirmer les excellents rapports de mon adversaire avec les renseignements généraux. Pour comble d’ironie, Bernier avait fait citer comme témoin de moralité le fameux commissaire Caille, grande figure des RG. Avec un sérieux imperturbable, cet ami providentiel est venu témoigner qu’il connaissait très bien Philippe Bernier et que s’il avait été un informateur de ses services, il aurait forcément été au courant.
Le président Hennion, connu pour ses sympathies d’extrême droite, s’amusait à jouer l’objectivité bienveillante.
— Mais enfin, monsieur le commissaire Caille, puisque vous affirmez ne pas avoir de contact professionnel avec M. Bernier, comment se fait-il que vous le connaissiez si bien ?
— C’est très simple, monsieur le Président. C’est un amour commun des bêtes qui nous a réunis. Nous habitons tous deux dans le quartier Saint-Germain. Et c’est en promenant nos chiens le soir que nous avons fait connaissance et que nous nous sommes liés d’amitié.
Un immense éclat de rire a secoué la 17e chambre correctionnelle. Mais j’ai beaucoup moins ri quand j’ai été condamné pour diffamation à des dommages et intérêts colossaux. À peu de choses près, le montant des sommes que j’avais touché pour réaliser le film ». (op. cit.)
Parmi les autres acteurs, on peut aussi citer Bruno Cremer en avocat se démenant pour retrouver Sadiel alias Ben Barka dans les heures qui suivent son enlèvement. Cremer était déjà un fidèle de Boisset lui qui l’avait suivi jusqu’en Italie pour Cran d’arrêt en 1970 alors que le réalisateur balbutiait son cinéma. Il le retrouvera dans les années 80 avec Espion, lève-toi et bien entendu Le Prix du danger qui lui permettra de recroiser Piccoli et pour Boisset de se frotter à nouveau avec la justice mais étasunienne cette fois-ci puisqu’il accusera la production de The Running Man (1987 – Paul Michael Glaser) d’avoir plagié son film (procès qui a duré près d’une décennie et qu’il a remporté). Il serait criminel de ne pas citer Michel Bouquet en avocat véreux que Boisset retrouve après Un condé. Le tandem fait encore des étincelles mais ce sera pour la dernière fois. Leur chemin ne se recroisera plus et rétrospectivement, c’est bien dommage. Avec Philippe Noiret qui joue un vrai-faux producteur de l’ORTF censé financer le film sur la décolonisation, Boisset voudra réitérer l’expérience avec Un taxi mauve en 1977 en lui attribuant cette fois-ci le rôle principal face à Charlotte Rampling. Et puis il y a l’immense François Périer dont on a l’impression qu’il débarque tout droit du Samouraï de Melville en reprenant son rôle de commissaire qui tente ici de faire la lumière sur cet enlèvement en plein Paris. Sans oublier Roy Scheider qui s’il n’a pas encore la posture internationale que lui procurera Les Dents de la mer de Spielberg puis Friedkin avec The Sorcerer n’en demeure pas moins un atout non négligeable pour le film de Boisset et un personnage in fine central dans le déroulé de son histoire. Et quant à Jean Seberg, devenue l’égérie de la Nouvelle Vague depuis À bout de souffle de Godard, redonnons une dernière fois la parole à Boisset : « Jean Seberg avait une personnalité particulièrement étrange. Actrice inégale mais souvent remarquable, elle était d’une extrême fragilité. Elle s’estimait traquée par les services secrets américains en raison de ses relations avec les activistes noirs des Black Panthers. Bien que séparée de l’écrivain Romain Gary, elle vivait dans un appartement contigu au sien et il exerçait sur elle une protection rapprochée qui faisait parfois penser à une jalousie paranoïaque.
Il me souvient d’un jour où j’étais venu chez elle discuter du scénario. Nous étions assis l’un en face de l’autre dans le salon. Soudain, dans la glace située au-dessus d’elle, je vis la porte s’entrebâiller silencieusement et le visage un peu méphistophélique de Romain Gary apparaître dans la pénombre. J’évitai de regarder dans cette direction pour ne pas croiser son regard. Il est resté une dizaine de minutes dans l’obscurité à écouter ce que nous disions. Puis, sans doute rassuré par la banalité de notre conversation, il a refermé la porte tout aussi silencieusement. Il y avait dans cette surveillance muette quelque chose de fascinant et d’un peu inquiétant.
Au fil du tournage, je compris mieux les raisons de cette sollicitude. Entre ses addictions à la drogue et ses tendances à la nymphomanie, Jean Seberg était d’une bouleversante fragilité. Malgré tous ses efforts, Romain Gary fut incapable de protéger de ses démons la petite jeune fille américaine brisée d’abord par le sadisme d’Otto Preminger pendant le tournage de Sainte Jeanne puis par les aléas d’une carrière en dents de scie. Quelques années plus tard, elle devait mourir dans des circonstances mystérieuses. On retrouva son cadavre décomposé, dissimulé sous une couverture à l’arrière d’une voiture abandonnée dans une ruelle de Belleville. Meurtre ou suicide ? On ne connaîtra jamais la vérité ! »
À sa sortie, L’Attentat sera un succès critique mais aussi un véritable succès commercial avec près d’1,5M d’entrées, ce qui permettra à Boisset de continuer à creuser le sillon de sujets clivants en prise avec l’actualité et la réalité sociétale du moment. Les années 70 seront ainsi le réceptacle du meilleur de sa filmo. Comme R.A.S. en 1973 sur la guerre d’Algérie qui aborde sans fioriture la torture et l’insoumission d’une frange de l’armée française à une époque où la chose restait plus que tabou et où l’on ne parlait encore que des « événements d’Algérie » pour qualifier cette période. Comme Dupont Lajoie en 1975 où un maghrébin est accusé à tort du viol commis sur une mineure dans un camping en plein été alors que la France connait sa première crise économique et que l’immigration jusqu’ici favorisée commence à devenir un sujet sensible pour ne pas dire conspuée et déjà stigmatisée par le parti d’un certain Jean-Marie Le Pen fraichement créé. Comme Le Juge Fayard dit Le Shériff en 1977 qui révèlera au grand public l’existence du SAC de Charles Pasqua et qui vaudra à Boisset une décharge de fusil mitrailleur un matin en sortant de son immeuble parisien. On ne va pas tous les citer. Mais c’est peu de dire qu’un cinéaste de sa trempe manque cruellement dans le paysage cinématographique français du 21è siècle. Que son cinéma en phase avec son temps ferait un bien fou dans le débat public du moment où tout s’enchevêtre et se confond dans une forme de dictature des réseaux sociaux où la parole n’est dictée que par une bienpensance de façade propre à être immédiatement digérée au profit des marketeux et pubeurs 2.0 de préférence. Notre société ne vaut de fait pas mieux que 99F et (re)voir L’Attentat en 2020 ne revalorise absolument pas ce constat.
Une restauration 4K pour un Blu-ray DVD édité par Tamasa
Sans vouloir nous acharner, on ne peut que regretter l’absence d’une édition Blu-ray quand on sait donc qu’une restauration 4K de ce monument du film politique français a été effectuée (certainement par StudioCanal qui reste l’ayant droit alors que Tamasa ne l’exploite que sur une période donnée) à partir du négatif original. Nous avons contacté l’éditeur pour mieux comprendre ce positionnement qui nous laisse perplexe même si on pouvait deviner la motivation d’une telle décision. Elle est bien entendu exclusivement économique. Le marché de la vidéo physique étant de plus en plus exsangue, sortir L’Attentat à la fois en DVD et en Blu-ray sous la forme d’un combo et/ou d’éditions séparées relève aujourd’hui d’un énorme pari commercial. Tamasa nous indiquant de surcroît que d’après son historique des ventes, ceux sur les DVD restaient tout à fait significatives alors que pour le même titre en Blu-ray, le chiffre pouvait devenir ridicule. Et s’il optait pour une édition Combo DVD/Blu-ray, celle-ci n’atteindrait jamais les chiffres de vente du simple DVD. C’est que ne proposer qu’un combo à 20 euros quand la majeure partie de sa clientèle n’est équipée qu’en lecteur DVD pour qui mettre plus de 15 euros (prix généralement constaté chez Tamasa pour une édition DVD) est inenvisageable, relève dès lors du suicide commercial. Pour bien faire, il faudrait donc proposer trois éditions distinctes (DVD / Blu-ray et Combo) mais alors là les coûts s’envolent pour au final n’avoir de satisfaction qu’au niveau des ventes DVD. Vous êtes à la place de Tamasa qui a des coûts incompressibles, du personnel et des échéances à honorer Covid ou pas Covid, et bien la décision est vite vue.
Ce qui ne va pas nous empêcher d’y apporter un bémol. En effet, Tamasa a et continue à faire paraître des titres en Blu-ray (le plus souvent sous la forme de Combos). Les prochains déjà annoncés sont les digipacks Blu-ray et DVD de deux films du cinéaste italien Alberto Lattuada remis à l’honneur cet été dans les salles avec Les Adolescentes (1960) et Guendalina (1956). Deux films marqueurs de l’âge d’or du cinéma italien mais deux films quasi inconnus même de cinéphiles pointus. Alors que bon, L’Attentat d’Yves Boisset avec sa pléiade de vedettes… On est donc là dans le total subjectif. À DC on pense en effet que le potentiel commercial du Boisset est bien plus fort que les deux films de Lattuada réunis. Ou alors il nous manque certains éléments objectifs qui peuvent se nicher par exemple du côté du montant des droits que Tamasa a dû s’acquitter pour pouvoir intégrer ces films à son catalogue. Une rencontre est prévue avec eux et ces sujets seront bien entendu abordés.
En attendant, il faudra donc se contenter du seul DVD qui fait plus que le job. Il suffit de comparer l’image avec le DVD allemand, seul DVD existant jusqu’ici, sorti en 2017 pour s’en convaincre. Et d’ailleurs ça tombe bien on vous a fait quelques captures comparatives ci-dessous. Définition incomparablement plus précise, respect évident de l’étalonnage et du format 1.66 d’origine qui s’ils montrent bien un film voulu à la lisière du documentaire dans la forme n’en démontrent pas moins un précis de mise en scène au cordeau tel que l’affectionnait déjà Boisset. Tant dans le récit que dans sa démonstration visuelle Boisset ne s’embarrassait pas de circonvolutions qui auraient forcément amoindris son propos. La photo peut ainsi sembler peu recherchée pour ne pas dire glauque mais elle participe au climat sans cesse borderline du film. On reste toutefois sur notre faim tant l’aspect cramé de certains plans ou bien trop numériquement lissé auraient certainement gagné en précision et en maturité organique en Blu-ray.
DVD Arthaus Vs DVD Tamasa
L’autre différence avec le DVD allemand se situe au niveau du choix des langues. Allemand (normal), anglais et bien entendu français. Seule la version française demeure sur l’édition Tamasa. Elle est bien entendu amplement suffisante. La version anglaise est toutefois intéressante à visionner ne serait-ce que pour constater que le film dans sa version de 2 heures n’a pas été entièrement doublé. Il n’est en effet pas rare de passer de la VA à la VF jusqu’au sein de la même séquence. Un constat qui laisserait à penser que lors de son exploitation aux États-Unis, L’Attentat a été drastiquement raccourci. Nous n’avons rien trouvé qui puisse confirmer la chose mais ce serait l’explication la plus plausible. Sinon, d’un point de vue purement technique, la VF proposée en DD mono 2.0 chez Tamasa qui doit certainement elle aussi provenir d’un travail de restauration, ne présente aucun défaut notable tout en s’intégrant naturellement à l’image. Elle est, par rapport au DVD allemand, plus présente, plus dense et beaucoup plus immersive. Quant à la BO signée Ennio Morricone, pas la plus connue de son répertoire, la (re)découvrir de cette façon confine à un vrai petit bonheur du quotidien.
Et puis côté bonus, Tamasa propose en plus d’un extrait d’une interview carrière de Boisset datant de 2011 citée un peu plus haut, une intervention très dense sur l’affaire Ben Barka par l’historien Pierre Vermeren. Si les plus érudits sur la question n’apprendront rien, ceux qui découvriraient ou qui n’ont que de lointains souvenirs d’une affaire qui a longtemps défrayée la chronique entre 1965 et 1975, seront aux anges tant les presque 40 minutes abordent un peu tous les angles sans rien omettre ou passer sous silence. Il apporte de surcroît quelques nouveaux éléments en provenance du Maroc confirmant certaines hypothèses ou en en infirmant d’autres. On regrettera juste l’aridité dans la forme où aucune illustration ne vient égayer le propos et un montage qui confine pour le moins à l’amateurisme. Là encore on met cela sur le compte d’une économie restreinte. Un extrait ou deux du film auraient a minima fait la blague comme on dit.
Reste qu’au final, il faut remercier cet éditeur de continuer à explorer ainsi la filmo d’Yves Boisset après une première vague en 2014 où l’on trouvait Allons z’enfants (1981), Le Prix du danger et R.A.S. toujours en DVD certes mais déjà via des copies restaurées (en HD à l’époque). Espérons juste que la suite, si suite il devait y avoir, se fera dorénavant en Blu-ray comme c’est le cas chez StudioCanal via le double programme Canicule (1984) / Folle à tuer (1975) dans la collection Make my day initiée et conduite par Jean-Baptise Thoret ou chez ESC avec Un condé. Deux éditions parues en 2019. Tiens, pour la peine on vous a fait un petit récap ci-dessous de ce qui existe en DVD et/ou en Blu-ray de la filmo d’Yves Boisset avec nos appréciations. Non non ne nous remerciez pas, c’est cadeau.
- Coplan sauve sa peau (1968) : Inédit
- Cran d’arrêt (1970) : Un DVD existe. Il est disponible uniquement au sein d’un coffret intitulé Le cinéma français, c’est de la merde Vol. 3 en vente exclusivement à la Fnac depuis décembre 2019. L’éditeur est sans surprise StudioCanal. Merci à notre lecteur Charles Henri depuis notre page facebook qui nous a alerté sur son existence.
- Un condé (1970) : En Blu-ray et DVD chez ESC depuis le 4 juin 2019 restauré 2K qui remplacent avantageusement une édition DVD parue chez Opening en 2007.
- Le Saut de l’ange (1971) : En DVD chez StudioCanal depuis 2005. Mais si vous pensez le trouver à un prix raisonnable, autant oublier et espérer que le titre ressorte prochainement. Edit juillet 2023 : Disponible dorénavant en Blu-ray chez le même éditeur au sein de la collection Make my Day avec Espion lève-toi.
- L’Attentat (1972) : En DVD chez Tamasa. La suite en scrollant vers le haut. Edit 2021 : Un Blu-ray import US est disponible depuis le 14/09/2021 chez l’éditeur Code Red.
- R.A.S. (1973) : En DVD chez Tamasa depuis 2014. Master HD honorable.
- Folle à tuer (1975) : En Combo DVD/Blu-ray chez StudioCanal au sein de la collection Make my day. Master issu d’une restauration récente en HD.
- Dupont Lajoie (1975) : En DVD chez TF1 Vidéo depuis 2007. Le master est fatigué pour ne pas dire très fatigué.
- Un taxi mauve (1977) : Idem que ci-dessus
- Le Juge Fayard dit Le Shériff (1977) : En DVD chez Jupiter depuis 2015. L’image proposée est indigne du support mais en guise de bonus on trouve une rencontre entre le juge Eric de Mongolfier et Yves Boisset. Un document d’exception.
- La Clé sur la porte (1978) : Inédit
- La Femme flic (1980) : Un coffret DVD dit Polar édité par StudioCanal en 2007 proposait le film avec Canicule et Espion lève-toi. Son prix oscille aujourd’hui entre 340 et 510 euros. Edit 2023 : Un Blu-ray est disponible depuis le 19 septembre 2023 chez Tamasa.
- Allons z’enfants (1981) : En DVD chez Tamasa depuis 2014. Master HD honorable.
- Espion, lève-toi (1982) : Le film a bénéficié de plusieurs éditions DVD qui toutes sont parties du même master d’un autre âge. La dernière en date de 2010 ne déroge pas à ce constat et on espère depuis une restauration doublée d’une belle édition Blu-ray. Edit juillet 2023 : Dorénavant disponible en Blu-ray au sein de la collection Make my Day avec Le Saut de l’ange.
- Le Prix du danger (1983) : En DVD chez Tamasa depuis 2014. Master HD honorable.
- Canicule (1984) : En Combo DVD/Blu-ray chez StudioCanal au sein de la collection Make my day. Image issue d’un master HD ancien plus que limite pour un portage en Blu-ray.
- Bleu comme l’enfer (1986) : Disponible en DVD depuis 2008 chez LCJ Editions. On passe son chemin tant le film et la copie proposés sont indignes.
- La Travestie (1988) : Inédit (et franchement tant mieux)
- Radio Corbeau (1989) : Inédit
- La Tribu (1991) : Inédit
Captures DVD
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L’Attentat (1972) – Édition DVD
Réalisateur : Yves Boisset
Éditeur : Tamasa Diffusion
Sortie le : 22 septembre 2020
Sadiel, un opposant politique réfugié en Suisse, représente une menace pour le colonel Kassar, ministre de l’intérieur d’un pays d’Afrique du Nord. Kassar décide de le supprimer et recourt aux services secrets français. Sadiel est exécuté mais l’affaire s’ébruite…
Spécifications techniques DVD :
- Image : 1.66:1 encodée en MPEG-2
- Langue : Français en DD 2.0 mono
- Sous-titres : Aucun
- Durée : 1h 57min 39s
- 1 DVD-9
Bonus :
- Retour sur l’affaire Ben Barka par Pierre Vermeren (2020 – 38min)
- Gian Maria Volontè par Yves Boisset (2013 – 7min 26s)