Les Enfants terribles - Image une test Blu-ray

Les Enfants terribles en Blu-ray – Édition Coffret Collector 70ème Anniversaire

Les Enfants terribles est-il un film de Melville qui emprunte tout à Cocteau à commencer par son livre ou est-ce un film de Cocteau réalisé par Melville ? Ce qui, à y regarder de plus près, revient au même. En d’autres termes, Les Enfants terribles est-il un docteur Jekyll saupoudré d’un M. Hyde qui en ferait ce film malade, véritable objet de fascination, sur lequel le temps n’a que peu de prise ? Ou est-ce plutôt une œuvre quelque peu désuète, certes souffreteuse de par ses origines, et difficilement visionnable aujourd’hui ? La vérité, si vérité il y a, est certainement entre les deux. Ce que ce Blu-ray paru chez LCJ Éditions s’emploie à démontrer un peu malgré elle mais avec panache.

  • Les Enfants terribles - Jaquette Blu-ray
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Les Enfants terribles - Édition 70ème Anniversaire - Coffret Collector

Éditeur :LCJ Editions & Productions
Sortie le :16 mars 2021  


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Oui parce qu’il nous faut d’abord évacuer cette question qui en soit n’est absolument pas centrale. En tout cas, pas pour apprécier Les Enfants terribles. Savoir en effet si c’est Cocteau qui a appelé Melville après avoir découvert Le Silence de la mer (1947) pour qu’il porte à l’écran son livre ou si c’est Melville qui a supplié Cocteau de lui laisser adapter cette histoire au cinéma, importe peu au final. Que le doute persiste sur les origines de l’affaire n’a pas grande importance tant Les Enfants terribles ne satisfera ni les inconditionnels de Cocteau et encore moins les aficionados du réalisateur du Samouraï (1967). Ce qui est certain par contre c’est que l’influence de ces deux artistes hors normes continue de marquer un film aux antipodes des canons de l’époque à tel point d’ailleurs qu’il trouvera grâce auprès des jeunes critiques des Cahiers du Cinéma et futurs cinéastes de la Nouvelle Vague. Est-ce que pour autant, cela en fait une œuvre visionnable à défaut d’être visionnaire (ou vice versa) ? On a bien trop de respect et d’admiration à l’égard des deux hommes pour vouloir se prononcer.

De toute façon, cette édition propose un excellent petit livret rédigé par l’incontournable critique et journaliste Marc Toullec qui revient en sept points sur la genèse, la production et l’héritage du film. Sept chapitres aux titres évocateurs tels que « Un fauteuil pour deux » ou encore « Un film de Jean Cocteau » … De quoi étancher sa soif quant à savoir si tel plan est de Cocteau, telle direction artistique est de Melville ou encore si telle direction d’acteur est de Pinoteau. Ben oui vu que Claude Pinoteau était assistant réalisateur sur ce film et qu’il fut pour le coup le témoin privilégié de ce tournage « d’aigle à deux têtes ». On pourra d’ailleurs l’entendre en parler au sein d’un doc présent sur la toute première édition DVD du film parue en 2004 chez Opening non repris par LCJ. Et on veut bien croire que c’est lui qui détient le fin mot de l’histoire quand il affirme que ce qui a incité Cocteau à donner le feu vert à Melville pour qu’il porte à l’écran son roman, c’est bien sa double casquette réalisateur / producteur. Débarrassé des contingences financières et du travail harassant de la mise en scène, Cocteau se sentait dès lors libre de toutes contraintes lui permettant de se pointer sur le plateau à sa guise afin de distiller ses conseils et avis quand il ne s’agissait pas de directives appuyées. Ce que Melville confirme lorsque Rui Nogueira lui demande :

Quels ont été vos rapports avec Cocteau ?

Très, très bons, aussi longtemps que je n’ai pas tourné ; très, très mauvais, à partir du moment où j’ai commencé à tourner. Il faut dire que je n’étais pas du tout facile à cette époque-là… J’étais très « entier », sans aucun sens des nuances. J’étais le producteur, le réalisateur, l’adaptateur du film – même si je fais paraître le nom de Cocteau au générique en tant que coadaptateur – et je n’acceptais vraiment à aucun moment d’être contré, dirigé ou contrôlé. Or, Cocteau, qui venait juste de terminer Orphée (1950) et s’ennuyait, venait tous les jours me voir travailler. Le premier jour de tournage, au moment où Dermit jouait une scène, il s’est écrié : « Ah ! Non ! Coupez ! » Le silence glacial qui a envahi le plateau laissait prévoir le pire. Je me souviens encore de l’air effaré de Decaë qui avait quitté la caméra en douceur. Quant à moi, j’ai simplement regardé Cocteau, qui l’air contrit s’est empressé de me dire : « Ah ! Pardon… je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai cru que j’étais encore sur le plateau d’Orphée ! » À partir de ce jour-là, il n’a plus jamais commis la même erreur. Parfois, il a essayé de… me conseiller, disons, alors je le regardais sèchement et je lui disais : « Non ! Jean… » Notre amitié en a souffert. Vous savez, dès le moment où l’affaire a été montée et que la maison Gaumont a donné son à-valoir, Cocteau n’avait plus qu’une seule envie : que je meure pour qu’il puisse faire le film à ma place.

Dans Le Cinéma selon Melville par Rui Nogueira (Editions de l’Etoile – 1996)

Les Enfants terribles - Affiche

Ce qui nous permet de glisser quelques mots sur l’acteur Édouard Dermit choisit, faut-il le rappeler, par Cocteau lui-même qui voyait en lui le futur Jean Marais mais dont la critique de l’époque lui est tombée dessus comme la vérole sur le bas clergé. En fait, car il faut un peu lire entre les lignes, Dermit était le compagnon du moment de Cocteau. Certainement aveuglé par l’amour qu’il lui portait, il l’impose à Melville qui n’ose pas lui dire non alors qu’à l’évidence il ne convenait pas. C’est que voilà en effet un grand gaillard tout en muscle âgé de 25 ans censé jouer le rôle d’un lycéen malingre en proie à une santé fragile qui l’oblige à bien souvent garder la chambre. Édouard Dermit n’a jamais percé en tant qu’acteur mais est devenu par la suite un artiste peintre reconnu. Au-delà d’un physique d’Apollon, il faut bien reconnaître que sa prestation est pour le moins… atypique. Vociférant la plupart du temps son texte ou adoptant un phrasé d’une neutralité confondante, on a en effet bien du mal à ne pas sortir du film quand il est à l’écran. Pour autant, on serait malhonnête en affirmant que cela dessert totalement le propos d’un film déjà pas mal à la marge pour ne pas dire globalement azimuté.

C’est que Les Enfants terribles raconte la relation des plus ambiguës entre un frère et une sœur livrés à eux-mêmes dans un appartement parisien quand leur mère décède (d’une longue maladie). Des rapports d’amour-haine que quelques personnages annexes viennent prolonger ou court-circuiter jusqu’au climax final forcément disruptif. La sœur est jouée par Nicole Stéphane (de son vrai nom Nicole de Rothschild) que Melville avait repérée quelques années plus tôt alors qu’il cherchait son interprète de résistante muette (mais amoureuse) pour Le Silence de la mer. La petite histoire veut qu’elle sauvât le film dont le tournage était sur le point de s’arrêter faute d’argent. Elle présentera en effet Jean Cocteau à Francine Weisweiller, épouse du banquier d’affaire Alec Weisweiller qui était aussi et accessoirement un cousin éloigné. C’est un véritable coup de foudre amical qui s’il sauve le film perdurera jusqu’à la mort en 1955 du poète / dramaturge / cinéaste / peintre… français.

Dans un petit film intitulé Cocteau à la villa Santo Sospir présent en guise de bonus au sein de cette édition, on peut apercevoir Francine Weisweiller. La maîtresse de cette villa tout juste construite située à St Jean Cap Ferrat avait en effet invité Cocteau à venir passer une petite semaine de vacances alors que le film était en plein montage. Mais Cocteau qui ne déteste jamais rien de plus que le désœuvrement lui propose d’en « tatouer » les murs. Le reste qui appartient dorénavant à l’Histoire est à découvrir dans cet extraordinaire petit film que l’on pouvait déjà voir au sein des bonus du DVD Opening. Cette villa est aujourd’hui inscrite à l’inventaire des Monuments Historiques.

Les Enfants terribles - Melville / CocteauExtrait du livret inséré au sein de cette édition

C’est d’ailleurs sa fille, Carole Weisweiller, pas plus haute que 8 pommes à l’époque qui répond avec enthousiasme aux questions du journaliste « ami des stars » Henry-Jean Servat depuis sa maison nichée en plein pays Camargue. Ce qui donne d’ailleurs des images à couper le souffle en guise d’introduction d’un entretien qui au final ne nous apprend pas grand-chose que nous ne sachions déjà sinon qu’elle a racheté les droits du film et que c’est elle qui a financée les conséquents et exemplaires travaux de restauration du film. On y revient plus bas. Précisons en effet à ce stade qu’au sein du premier DVD édité par Opening, elle intervenait déjà en tant que productrice aux côtés de Pinoteau et Jacques Bernard qui joue un copain de classe épris de la sœur. Est-ce la mémoire qui flanche avec le temps ou une volonté de ne finalement plus trop en dire ? Mais force est de constater que sur ce doc de 2003 elle nous donnait bien plus d’éléments explicatifs et de contextualisation alors qu’ici on reste totalement sur notre faim. Ses interventions se cantonnant à nous distiller son amour intact envers un Cocteau qui a profondément impressionné toute son enfance.

On sera bien entendu beaucoup moins dubitatif quant à la restauration de l’image et du son rendue donc possible par l’acquisition des droits du film par Carole Weisweiller. Résultat, une restauration 4K effectuée par le laboratoire VDM à partir du négatif nitrate monté et du négatif son avec un étalonnage en salle sur projecteur 4K. Autant vous dire que le résultat est juste époustouflant. La photo de Decaë retrouve toute sa tessiture et ses contrastes alors que la définition générale ne souffre d’aucun moment de faiblesse. Le master ainsi proposé est immaculé. Certains diront peut-être un peu trop pour être honnête. De notre côté on mettra cela sur le compte de la captation d’origine effectuée, à de très rares exceptions, uniquement en intérieur (on ne dira pas en studio tant le film était fauché et qu’il a utilisé des décors « in situ » comme la scène d’un théâtre pour la chambre du frère et de la sœur ou d’un gigantesque appartement situé dans le 16ème arrondissement de Paris pour la seconde partie du film) obligeant Decaë à composer avec un manque de profondeur de champs qu’il devait recréer artificiellement. Ce qui permet de distinguer les zones de lumière artificielles censées atténuer ce manque de profondeur ou aussi sur certains plans cette absence de dégradé dans les gris trahissant justement le manque de moyens à la lumière. On ne pourra que féliciter cette restauration d’avoir voulu rendre compte ainsi de la captation d’origine sans vouloir améliorer les contrastes ou même accentuer le grain subtilement présent. On remerciera aussi  LCJ d’avoir enfin décidé dorénavant d’encoder ses Blu-ray en 1080/24p pour 24 images par seconde profitant ainsi à plein des possibilités du support qui en fait encore aujourd’hui celui qui peut se targuer de respecter au mieux (avec les Blu-ray UHD)  les intentions originelles d’un auteur / réalisateur.

Le son a lui aussi profité d’une belle restauration. Il suffit de comparer cet encodage DTS-HD MA 2.0 avec le Dolby Digital 2.0 du DVD Opening pour que cela saute aux tympans. Disparu le souffle, disparus les scratchs intempestifs, bonjour la redécouverte d’un mixage mono de qualité qui ne se prive pas d’une certaine amplitude lors des passages musicaux signés Bach ou Vivaldi voulus rappelons-le par Melville au grand dam de Cocteau. On regrettera juste que l’éditeur n’ait pas été jusqu’au bout en intégrant des sous-titres français pour sourds et malentendants.

C’est au demeurant une des très rares fausses notes avec la présence de la bande annonce non restaurée (avec la voix off de Melville) d’une édition exemplaire que le packaging soigné vient confirmer et définitivement ranger au rang d’objet de collection qui ne dépareillerait aucunement au sein de n’importe quelle Blu-raythèque.

Les Enfants terribles - Jaquette Blu-rayLes Enfants terribles (1950) – Édition 70ème Anniversaire – Coffret Collector Blu-ray

Réalisateur : Jean Pierre Melville
Éditeur : LCJ Éditions
Sortie le : 16 mars 2021
Au cinéma : le 22 mars 1950

Après la mort de leur mère, Élisabeth et Paul, frère et sœur liés par une affection exclusive, vivent ensemble, livrés à eux-mêmes, dans leur grand appartement parisien. Ils se sont construit un univers chimérique régi par d’étranges symboles chargés de significations connues d’eux seuls.

Spécifications techniques Blu-ray  :

  • Image : 1.37:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langue : Français en DTS-HD MA 2.0 mono
  • Sous-titres : Français pour sourds et malentendants débrayables
  • Durée : 1h46min 17s
  • 1 BD-50

Captures Blu-ray cliquables au format HD natif 1920×1080

Bonus :

  • Cocteau à la villa Santo Sospir (38min 03s – SD upscalée HD –  1952)
  • Rencontre avec Carole Weisweiller (35min 18s – HD – 2020)
  • Bande-annonce originale (2min 55s – SD – non restaurée)
  • Livret exclusif de 52 pages signé Marc Toullec

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