Les Mains qui tuent - Image une test BR

Les Mains qui tuent en Blu-ray chez Elephant Films

Les Mains qui tuent n’est pas forcément le film noir qui vient immédiatement en tête pour caractériser les débuts d’un genre déjà florissant à Hollywood. En effet rien qu’en cette année 1944 sortent Assurance sur la mort (Double Indemnity) de Billy Wilder / Laura d’Otto Preminger / La Femme au portrait (The Woman in the Window) de Fritz Lang / Adieu, ma belle (Murder, My Sweet) d’Edward Dmytryk, soit autant de chefs-d’œuvre emblématiques d’une période déjà abimée par deux années de conflit mondial (rappelons que les États-Unis ne deviennent un acteur majeur de la seconde guerre mondiale qu’à partir de décembre 1941) et annonciatrices en creux d’une société traumatisée par les années d’après-guerre.

Les Mains qui tuent - Affiche

C’est que Les Mains qui tuent ne réunit pas encore tous les thèmes « méta » du film noir (société corrompue et déviance des mœurs qui s’expriment dans une ville exclusivement filmée depuis ses bas-fonds interlopes) mais ses personnages, sa photo et quelques-uns des ingrédients qui construisent son scénario en font sans aucun doute un marqueur important dans l’histoire du genre mais aussi dans la filmo de son réalisateur Robert Siodmak. Voilà en effet un réalisateur né aux États-Unis de parents juifs polonais revenus s’installer en Europe qui après avoir fui l’Allemagne nazi puis la France sur le point d’être envahi n’arrivait pas à émerger à Hollywood alors qu’il avait déjà derrière lui une formidable carrière de cinéaste.

C’est bien simple, en 1943, quand la productrice en herbe Joan Harrison pense à lui pour réaliser Les Mains qui tuent adapté d’un livre de William Irish (pseudonyme de Cornell Woolrich, auteur qui ne cessera d’être adapté au cinéma – on pense au hasard à Fenêtre sur cour que réalisera Hitchcock ou La Sirène du Mississippi et La Mariée était en noir que mettra en scène Truffaut), Robert Siodmak en était déjà à son septième long métrage en terre yankee sans que pour autant il ait convaincu jusqu’ici Universal, avec qui il était sous contrat, qu’il était l’homme de la situation pour gérer des productions d’envergure. Et de fait, Les Mains qui tuent s’apparente une nouvelle fois à une série B avec son budget d’à peine 350 000 dollars. Mais même là, Joan Harrison dut s’employer pour convaincre le Studio qu’il était l’homme de la situation alors même que de son côté elle s’engageait sur une nouvelle voie professionnelle en devenant de facto dans l’histoire hollywoodienne de cette époque l’une des rares femmes à endosser le costume de productrice.

Les Mains qui tuentJoan Harrison

Rappelons ici pour la petite histoire que Joan Harrison a débuté sa carrière en étant la secrétaire d’Alfred Hitchcock en Angleterre pour devenir ensuite une de ses associées et rédactrices et enfin la scénariste de quelques-uns de ses meilleurs films de la décennie comme La Taverne de la Jamaïque (Jamaica Inn – 1939), Rebecca (1940), Correspondant 17 (Foreign Correspondent – 1940), Soupçons (Suspicion – 1941) ou encore Cinquième Colonne (Saboteur – 1942). À Hollywood où elle s’installa à la suite du cinéaste anglais, elle se confronta très vite au système des Studios jamais tendre avec les scénaristes. Un constat qui lui fit admettre que devenir productrice ne pouvait qu’améliorer le relationnel peu à son avantage jusqu’ici. C’est ainsi que pour Les Mains qui tuent elle fait l’acquisition des droits du bouquin d’Irish, en écrit l’adaptation en vue de produire un film qui sera réalisé au sein du Studio Universal et pour lequel elle sera de toutes les décisions importantes jusqu’au recrutement du réalisateur.

Pour autant Siodmak a déjà pour lui la réputation de terminer ses films dans les temps voire avant l’heure et surtout sans jamais dépasser les budgets alloués. Soit la pierre angulaire pour s’attirer la confiance d’un Studio. De plus, l’homme a quand même derrière lui des films majeurs en Allemagne mais aussi en France comme Pièges (1939), le dernier qu’il réalisera avant son départ pour Hollywood qui rétrospectivement par son histoire et son traitement font échos à Phantom Lady. En l’occurrence la partie où l’héroïne ne croit pas en la culpabilité d’un homme dont elle tombe amoureux et qui va tout faire pour prouver son innocence.

C’est en effet ici le levier scénaristique central des Mains qui tuent qui raconte donc comment la secrétaire d’un ingénieur accusé du meurtre de sa femme va mener son enquête pour tenter de disculper son patron condamné à mort dont elle est secrètement éprise. C’est l’actrice alors presque débutante Ella Raines qui endosse le rôle avec un aplomb, une persuasion et un charme incroyable. Trois autres collaborations avec le réalisateur suivront dans la décennie, preuve que leur entente fut instantanément parfaite. Il faut d’ailleurs souligner ici que ce personnage féminin n’était pas aussi présent dans le livre et que l’on doit cette évolution à l’adaptation qu’en a faite Joan Harrison. Comme le souligne fort judicieusement Eddy Moine dans les bonus, elle a féminisé le film noir qui par la suite prendra le pli de proposer des figures de femmes fortes à même de se frayer un passage dans ce monde d’hommes sans scrupules. Quant à Siodmak, Les Mains qui tuent sera enfin l’occasion de montrer autre chose que ses aptitudes de « yes man ».

Les Mains qui tuentCapture Blu-ray

Les Mains tuentPhoto d’exploitation

La nuit de la sainte famille - RembrandtLa nuit de la sainte famille – Rembrandt

À commencer par ce travail sur la photo signée Elwood Bredell que Siodmak coachera lui-même afin de lui enseigner ce que le grand Eugen Schüfftan (Metropolis) lui avait appris en Allemagne. Eugen Schüfftan qui fut d’abord un peintre influencé par l’impressionnisme, appliqua au cinéma les techniques d’éclairage à la Rembrandt que l’on retrouve ici dans l’atmosphère diurne très tranchée des rues accentuées encore par les ombres portées des objets sur les murs ou des silhouettes sur le pavé, et dans l’expressionnisme des compositions scéniques en intérieur. C’est bluffant et annonce la signature visuelle des films noirs à venir qui viendront donc puiser leur inspiration dans l’expressionnisme des films muets allemands.

On aurait aimé affirmer que l’image de ce Blu-ray rend compte de cette magnifique photo. Ce n’est pas le cas. La faute à un master en aucune façon restaurée comme cela est affirmée au dos de la jaquette. En fait, il s’agit du même master utilisé en 2019 pour l’édition Arrow aux États-Unis (et en Angleterre) qui présentait de nombreuses griffures, tâches, poinçons et autres imperfections difficilement admissibles en Blu-ray. On a ressorti du coup notre DVD du film édité en 2007 par Carlotta pour se rendre compte que si le master présentait lui aussi des imperfections notables, la comparaison avec celui proposé ici ne lui est absolument pas défavorable. Bien au contraire. Attention toutefois de ne pas tomber non plus dans la vindicte gratuite car Elephant ne dégaine pas non plus une image indigne. Celle-ci arrive même à proposer un encodage qui respecte le grain d’origine ainsi que le travail essentiel sur les contrastes. Et puis les plus motivés pourront se (re)plonger dans Les Tueurs (The Killers) que Siodmak réalisera en 1946. Ce fleuron du genre sera en effet l’aboutissement de la collaboration avec Bredell que le Blu-ray édité en 2014 par Carlotta rend là intégralement justice.

Deux comparatifs image avec le DVD Carlotta (Captures cliquables)

Une belle rayure verticale sur l’image Blu-ray absente sur le DVD

Un joli poinçon de de fin de bobine sur l’image Blu-ray absent du DVD Carlotta

En attendant, Phantom lady va rapporter quatre fois sa mise aux États-Unis, attirera plus de 700 000 spectateurs en France en 1946 et lancera enfin Siodmak dans la cour des grands à Hollywood. On notera par ailleurs que ni le DVD Carlotta ni cette édition ne propose de VF. Il faut donc croire que le film ne fut jamais doublé ou que celui-ci a été définitivement perdu. Quoi qu’il en soit le DTS-HD MA 2.0 mono que propose Elephant est d’excellente tenue et de bien meilleure qualité que le DD 2.0 chez Carlotta qui semble bien plus étriqué. Par contre le DVD proposait deux compléments qui n’ont pas perdu de leur pertinence. D’un côté l’intervention d’Hervé Dumont alors directeur de la cinémathèque Suisse qui revenait sur toutes les étapes de la production du film. Ce que font certes Eddy Moine et Stéphane du Mesnildot dans les bonus ici mais en omettant quelques informations essentielles comme celles afférant à Eugen Schüfftan. De l’autre côté une rencontre d’une heure avec Siodmak produite et réalisée pour une chaine de télé allemande au début des années 70. Le réal nous reçoit dans sa maison située au sud de la Suisse et aborde avec le journaliste qui opère depuis une régie située en Allemagne différents aspects de son métier à Hollywood ainsi que l’évolution du cinéma en ce début des années 70. C’est souvent instructif et toujours captivant mais aussi parfois kitch surtout quand il est avec sa femme qui en train d’en griller une sur le canapé du salon alors que la choucroute qui lui sert de coiffure n’arrête pas de nous distraire.

Les Mains qui tuent - Bonus DVD Carlotta

Ceci dit, le mot de la fin revient à Stéphane du Mesnildot qui en fin d’intervention sur cette édition termine par cette phrase pour le coup définitive et tellement vraie : « Le film noir est l’adaptation américaine de l’expressionnisme allemand ».

Les Mains qui tuent - Jaquette Blu-ray 2DJaquette réversible avec l’affiche française d’époque (une belle initiative rare chez les autres éditeurs)

Les Mains qui tuent - Jaquette Blu-ray 3DLes Mains qui tuent (Phantom Lady – 1944) – Édition Combo Blu-ray + DVD

Réalisateur : Robert Siodmak
Éditeur : Elephant Films
Sortie le : 25 mai 2021
Au cinéma : le 23 octobre 1946

Scott Henderson, un ingénieur de 32 ans, quitte le domicile conjugal après une violente dispute avec sa femme. Dans un bar, il fait la connaissance d’une belle et mystérieuse jeune femme. Cette rencontre sonne le début des ennuis pour Scott, pris dans un dangereux engrenage…

Spécifications techniques Blu-ray  :

  • Image : 1.37:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langue : Anglais en DTS-HD MA 2.0 mono
  • Sous-titres : Français
  • Durée : 1h26min 57s
  • 1 BD-50

Captures Blu-ray cliquables au format HD natif 1920×1080

Bonus :

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