À première vue, il est normal que vienne des États-Unis la meilleure édition Blu-ray en date du cultissime New-York 1997. À première vue seulement car si le film de Carpenter est bien une production yankee, il fait partie depuis longtemps du catalogue Studio Canal qui en ventile les droits d’exploitation pour le monde entier. Ce qui donne la situation suivante : Shout Factory, un label indépendant américain, acquiert auprès de MGM détenteur de la licence d’exploitation vidéos et TV outre-atlantique, la possibilité d’éditer un Blu-ray aux efforts en tous points remarquables alors que nous n’avons droit en France qu’à une édition Blu-ray en tous points ignobles.
Un petit historique s’impose
On se souvient que MGM avait sorti en décembre 2003 un DVD zone 1 qui avait fait date, enterrant d’un coup d’un seul l’édition française parue chez Studio Canal en juin de la même année. Outre des suppléments bien plus intéressants, il y avait surtout une déjà très belle correction d’apportée à l’image. Tirant vers un bleu clinique chez nous, elle était plus sombre et assez proche des intentions initiales chez MGM. Depuis lors, Studio Canal n’a jamais rien corrigé et s’est même empressé dès 2008 de nous proposer la même bouillie visuelle en Blu-ray assortie d’aucun supplément cette fois-ci. Les États-Unis n’étaient pas mieux lotis avec une édition MGM Blu-ray datant de 2010 qui ne faisait que « gonfler » en HD le même master utilisé à l’époque pour le DVD. Et là aussi les bonus s’étaient fait la malle.
Le marché mondial de la vidéo physique déclinant année après année, il ne fallait pas s’attendre à ce que de nouvelles éditions voient le jour. En tout cas pas de la part de MGM et encore moins chez Studio Canal. Pour autant, l’histoire ne s’arrête pas là. Devant la désertion des éditeurs historiques à ne plus vouloir upgrader leur catalogue en Blu-ray, de nouveaux labels indépendants mues par leur passion du cinéma, se sont créés pour prendre d’une certaine façon le relais. Un phénomène encore peu développé en France (et qui risque de le rester) mais qui en Allemagne, Angleterre et aux États-Unis est devenu une réalité bienfaitrice. Shout Factory via sa collection Scream factory en fait bien évidemment parti. Lui qui a déjà édité de par le passé The Fog, Assault on Precint 13, They Live, Prince of darkness… n’en est donc pas à son coup d’essai avec Carpenter. On peut même parler ici de coup de maître.
Un Blu-ray au modèle économique impossible en France
À commencer par l’image qui a bénéficié d’une restauration 2K effectuée à partir d’un inter-positif issu du négatif original. En fait certainement un travail de restauration effectué par MGM pour une précédente diffusion TV que Shout a récupéré pour cette édition. Aprèss on pourra tout de même se demander pourquoi / comment un « petit éditeur » se donne les moyens pour avoir accès à un tel matériel quand Studio Canal ne fait rien pour améliorer sa propre édition. Ou alors c’est qu’entreprendre des frais de restauration pour ressortir le film en Blu-ray avec des bonus dignes de ce nom restent beaucoup moins avantageux économiquement parlant que de balancer l’édition existante foireuse dans des opérations « 2 Blu-ray achetés, le 3ème offert », comme c’est le cas actuellement. Et tant pis pour le consommateur qui se sera fait flouer.
D’autant que Studio Canal ne lâche pas sa poule aux œufs d’or. Nous avons en effet appelé l’éditeur pour savoir s’il serait envisageable d’échafauder un deal à la Scream Factory en France. En gros, permettre à un éditeur indépendant français (au hasard qui s’appellerait Digital Ciné) de se débrouiller pour récupérer la version restaurée du film et de s’engager façon Twilight Time à la commercialiser en France. Avec dans l’idée d’en faire de même avec les trois autres titres signés Carpenter que possèdent Studio Canal (They Live qui au passage, nous a-t-on appris, va sortir en cette fin d’année. The Fog sorti en même temps que Escape… et tout aussi bâclé, et Prince of darkness dont on présume du coup une sortie Blu-ray en 2016) tous édités par Shout Factory comme on le précisait plus haut. Il nous a été répondu que la chose ne pouvait être envisagée en l’état actuel de l’exploitation de ces titres ou de leur future édition en Blu-ray par Studio Canal.
Dans l’absolu, c’est quelque part plutôt bon signe car on ne semble pas vouloir abandonner encore en France la parution de titres de catalogue en Blu-ray. Cela malgré des mises en place de plus en plus faibles. Par contre, il est dommage de constater que quelles que soient les années qui passent, les erreurs initiales perdurent. Par manque d’argent, de savoir faire, d’envie ou pire de culture cinématographique.
Une édition certes (toujours) perfectible mais hautement jouissive
Tout le contraire donc de ce Blu-ray zoné A qui a été travaillé avec amour. L’image justement. Puisqu’il s’agit du nerf de la guerre ici. Et bien on n’en croit pas ses yeux. On est frappé d’abord par le respect de la photo assez sombre mais qui sait jouer avec les moindres sources de lumière à sa dispo. On pense par exemple à la descente de Snake / Russel dans les dédales du théâtre en ruine uniquement éclairée par des torches. Ce qui surprend aussi est la tessiture de l’ensemble qui ne va pas chercher à aller au-delà des limites des optiques de l’époque. Ainsi, lors du combat sur le ring, les contours du cadre sont flous. Chose que l’on ne percevait pas vraiment avant et preuve que la restauration n’a pas cherché à magnifier l’image d’origine. Juste d’en rapporter toutes les qualités mais aussi les défauts de prise de vue d’époque. Pour autant la définition fait plaisir à voir. Les contrastes ne sont pas poussés artificiellement et les arrières-plans sont superbes avec des noirs qui ne sont jamais bouchés. Bien entendu tout n’est pas parfait. Il y a des pétouilles à droite à gauche. La plus importante se situant lors de la seule séquence de jour où trois hélicoptères survolent Central Park.
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD 1280×720
Mais on rappelle qu’Escape From New York est un film à petit budget (moins de 7M de dollars) datant de 1981 avec ce que cela implique derrière. On peut même se dire que si la chose n’était pas devenue culte, peu ou pas de matériels auraient traversé les décennies. Il y a de quoi satisfaire ici tous les aficionados acharnés du film avec cette perspective réjouissante de le faire découvrir à une nouvelle génération sans passer pour un vieux c*** un peu réac et amoureux d’images d’un autre temps. Pour terminer sur la question, on vous propose ci-dessous à un petit comparatif DVD MGM et Blu-ray qui vaut ce qu’il vaut et on vous invite surtout à aller jeter un coup d’œil à notre galerie de captures (une trentaine choisies avec amour) en fin d’article.
Côté son c’est plus que parfait avec l’option qui nous est donnée entre un DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0 stéréo. Notre préférence est allée au 5.1 car la musique de Carpenter et d’Alan Howarth y est plus présente sans pour autant voiler l’intelligibilité des dialogues ou des bruits d’ambiance. Bien entendu on n’a droit qu’à la VO avec des sous-titres anglais. Le disque s’adresse au marché américain et surtout un éditeur comme Shout Factory va préférer mettre de l’argent sur de nouveaux bonus plutôt que de le dépenser en pistes audios ou sous-titres. Ceci dit, qui ne connaît pas les dialogues du film par cœur 😉 ?
Les bonus justement. Scream reprend tous ceux présents sur l’édition spéciale MGM de 2003 que nous mentionnions plus haut à savoir l’excellent making of d’époque qui faisait réagir nombre d’intervenants importants, de Carpenter bien entendu à Dean Cundey le directeur de la photo en passant par Adrienne Barbeau, Kurt Russel et Debrah Hill, la productrice. Mais aussi la fameuse séquence d’intro du casse de la banque supprimée lors du montage. À ce titre l’on s’étonnera que l’éditeur ait repris in extenso le document d’époque d’une grande pauvreté visuelle alors que des extraits de cette même séquence illustrent avec une toute autre qualité d’image l’interview de l’acteur Joe Unger qui jouait Taylor, ami de Snake depuis l’armée et complice d’infortune du braquage.
Il s’agit d’ailleurs là d’un des nouveaux bonus exclusifs produits pour ce Blu-ray. Outre cette interview peut informative dans le fond (l’acteur n’a finalement pas fait partie de l’aventure) mais qui permet de rendre quelque peu justice au travail d’un acteur dont on ne retrouve aucune trace dans le montage final, Shout Factory a aussi réuni les frères Skotak qui sont à l’origine des effets visuels du film (Matte Painting, maquettes, prises de vue 70MM…) toujours aussi convaincants, le tout accompagné d’extraordinaires photos de plateau peu diffusées. Autre point fort est la rencontre avec Alan Howarth qui est co-crédité avec Carpenter sur la musique du film. Pour les collectionneurs, il revient entre autre sur les différentes parutions du score sans oublier l’ultra collector ressortit il y a peu en vinyle 180g dont le tirage fut épuisé quasiment dans l’heure qui a suivi sa commercialisation. Deux autres modules vidéos viennent compléter cette interactivité déjà riche. Une intervention de David DeCoteau qui était alors assistant de production à 18 ans pour Venice Studios (la boîte de Corman). Il y raconte comment il a vu débouler une équipe réduite du film pour mettre en boîte quelques plans d’inserts avec effets spéciaux en une nuit seulement alors que le film devait sortir deux semaines plus tard. Enfin, un entretien avec la photographe de plateau Kim Gottlieb-Walker qui traîna ses guêtres sur les tournages des premiers Carpenter (Halloween, The Fog, Escape, Christine…). En résulte de formidables clichés qui depuis ont été consignés dans un beau livre intitulé On Set with John Carpenter sorti en octobre 2014 chez l’éditeur anglais Titan Books.
Le directeur de la photo Dean Cundey
Un certain James Cameron qui travaillait alors pour la société New World / Venice dont le boss n’était autre que Roger Corman
À gauche, le cascadeur Dick Warlock qui fut aussi Michael Myers dans Halloween II
On précisera que sur le premier disque figure trois commentaires audio tous en VO sans sous-titres il va sans dire. Le premier n’est autre que celui qui réunit Russell et Carpenter remontant au Laserdisc édité en 1994. Il n’a rien perdu de son intérêt et c’est toujours un plaisir de les entendre se fendre la poire sur les scènes d’action. John Carpenter : « Ah ben dis donc mon Kurt, tu étais en forme à l’époque, pas comme aujourd’hui… ». Kurt Russel : «Je me souviens comment le gars dans le ring prenait son combat à cœur. Il ne voulait pas perdre et j’ai vraiment morflé ». Le deuxième est celui qui fut produit pour l’édition DVD MGM de 2003 et qui rassemblait cette fois-ci la productrice Debra Hill (malheureusement plus de ce monde depuis 2005) et le chef décorateur Joe Alves dont l’intérêt reste toujours aussi pauvre qu’à l’époque puisqu’assez redondant avec les propos de Carpenter quant aux problèmes de production rencontrés lors du tournage. Et puis le troisième commentaire est inédit. Produit par Shout, il associe l’actrice Adrienne Barbeau et le directeur de la photographie Dean Cundey. On reste un peu sur sa faim car on y apprendra pas grand chose de plus (surtout pour les fans). Et puis les deux protagonistes avouent n’avoir pas vu le film depuis longtemps occasionnant des blancs bien compréhensibles, surtout au début.
On terminera en mentionnant les deux galeries proposées en fin d’interactivité. L’une reprend quelques dizaines de photos de plateau pour la plupart déjà vus dans l’édition DVD MGM (mais cette fois-ci en 1080i) et le second, plus passionnant, nous révèlent des photos d’exploitation (lobby cards en anglais), des affiches américaines, italiennes ou françaises dont certaines proviennent de la collection personnelle de Jérôme Wybon (réalisateur de bonus et fondateur de l’excellent site Forgotten Silver où l’on y apprend d’ailleurs au passage qu’il existerait une featurette d’époque contenant des images jamais vues du tournage). Outre ce magnifique spécimen ci-dessous, on vous laisse en découvrir un florilège dans l’ours technique en fin de ce papier.
Un film culte. Oui, mais encore…
Les plus durs trouveront certainement à redire de cette édition. Il est vrai que l’on aurait aimé par exemple découvrir un vrai doc de plus d’une heure qui compilerait toutes les infos de tournage, les origines du script, la réception du film (certainement le plus rentable dans la carrière de Carpenter)… Bref, un document qui permettrait de juger et de comprendre la portée d’un film sans juste balancer son statut de culte à la figure. Il est évident que New York 1997 aura marqué toute une génération de futures cinéastes dont certains s’en réclament plus que jamais aujourd’hui. Il est même quelque peu visionnaire voire prophétique. Revoir le crash en image de synthèse de Air Force One sur un building new-yorkais n’est pas sans rappeler la tragédie du 11 septembre.
Kurt Russel y a trouvé le souffle d’une deuxième carrière après celle passée dans le giron de Disney. Et l’on reste toujours autant ébahi devant les prouesses techniques et visuelles d’une production au budget si serré. New York 1997 n’est certainement pas le meilleur film du cinéaste. Prince of Darkness est par exemple beaucoup plus abouti et matiné d’une noirceur abyssale qui reflète sans artifice l’âme tourmentée de son auteur. Mais Escape From NY, auquel lui répondra quelques années plus tard avec la même désinvolture critique They Live, a pour lui la patine du temps qui lui sied à ravir, l’inaltérabilité d’un esprit comics avant l’heure, une rage de filmer intacte et une horde de fans qui en ont fait depuis longtemps leur film de chevet.
Image : 3,5/5
Son : 4/5
Bonus : 4/5
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD 1280×720
Escape From New York – Blu-ray (Zone A) – Collector’s Edition
Éditeur : Scream Factory
Date de sortie : 21 avril 2015
Spécifications techniques :
– Image : 2.35:1 encodée en AVC 1080/24p
– Langues : Anglais DTS-HD MA 5.1 et 2.0 stéréo
– Sous-titres : Anglais
– Durée : 1h39
– 1 BD-50
Bonus :
Disque 1 (VO sans sous-titres)
– Commentaire audio inédit avec l’actrice Adrienne Barbeau et le directeur de la photographie Dean Cundey
– Commentaire audio de John Carpenter et Kurt Russell
– Commentaire audio de la productrice Debra Hill et du chef décorateur Joe Alves
Disque 2 (VO sans sous-titres)
– Big Challenges in Little Manhattan : Les effets visuels du film avec les frères Skotak (HD, 14min27s)
– Scoring the Escape : Discussion avec le compositeur Alan Howarth (HD, 18min56s)
– On Set with John Carpenter : Les photos de tournage du film signées Kim Gottlieb-Walker (HD, 10min50s)
– I Am Taylor : Interview de l’acteur Joe Unger qui joue dans la scène coupée du casse de la banque (HD, 8min49s)
– My Night on Set : Interview du cinéaste David DeCoteau qui était assistant de production âgé de 18 ans à l’époque (HD, 5min02s)
– La séquence du casse de la banque avec commentaire audio de Carpenter en option (HD, 10min46s)
– Return to Escape from New York : making-of réalisée en 2003 (1080i, 23min)
– 2 Bandes-annonce (HD, 2min46s)
– Galeries de photos (1080i, 12min02s)
– Affiches de films et photos d’exploitation (1080i, 4min12s)
Quelques remarques :
– le matériel est géré aux USA par MGM. C’est avec eux qu’ont dealé Shout/Scream. SC n’ont pas les droits monde du film en vidéo.
– l’interpositif utilisé est très certainement le même que celui utilisé à l’époque par MGM eux mêmes.
– le modèle économique est tout à fait possible en France. Il s’agit ni plus ni moins d’une licence MGM achetée par Shout. Carlotta a des deals du même type avec FOX par exemple (La valse des pantins, typiquement) ou MGM (Dressed to kill). C’est aussi le cas de Wild Side.
– clairement, SC ne semble pas comprendre le potentiel de ventes du film et ne veut pas investir dans une vraie restauration. Invraisemblable.
– Oui je ne dis rien d’autre dans mon papier Tenia. Ou alors je me suis loupé et je ne suis pas assez précis sur ce point.
– J’ai pour info demandé une confirmation à Shout il y a une semaine. Peine perdue il me semble car j’attends toujours un retour
– Oui c’est bien pour cela que j’ai fait une proposition très sérieuse et argumentée en ce sens à SC. Mais j’ai donc eu une fin de non recevoir. Pour eux ils ont plus à y perdre qu’à y gagner. En ce sens que vendre l’édition actuelle est plus rentable que de se fendre d’une nouvelle édition, voire d’en laisser l’exploitation, un temps donné, à un tiers.
Sur MGM/SC, c’est de lire ça qui me parait perturbant « On ne saura dire si ce négatif est « français » et donc conservé physiquement par Studio Canal. » et « Studio Canal est, on le rappelle, le détenteur des droits monde du film. » Ca donne l’impression que SC a possiblement été dans la boucle a un moment donné pour cette édition alors que c’est très clairement pas le cas.
Oui d’autant que j’ai appris entre-temps que SC considère que son master est le bon par rapport à celui de MGM
Je corrige
SC pensent que leur upscale est bon ? Eh bah.