Contes cruels de la jeunesse - Image une test BR

Contes cruels de la jeunesse (1960) en Blu-ray chez Carlotta

Contes cruels de la jeunesse (Seishun zankoku monogatari – 1960) de Nagisa Ōshima (1932-2013) est le second film de sa « trilogie sociale » ou sa « trilogie de la jeunesse » : il se situe dans sa filmo entre Une ville d’amour et d’espoir / Le Garçon qui vendit la colombe (Ai to kibo no machi – 1959) et L’Enterrement du soleil / La Tombe du soleil (Taiyo no hakaba – 1960). Chacun est autonome sur le plan du scénario mais leur lien thématique est la marginalité de la jeunesse dans la société japonaise. Il y a une dynamique dans cette trilogie qui commence par un néo-réalisme assez sage pour s’élever progressivement vers une description baroque à la violence graphique de plus en plus insistante.

Contes cruels de la jeunesse

Éditeur :Carlotta Films
Sortie le :25 août 2021  


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Alors que le titre de 1959 était filmé en Scope 2.35 et N&B, les producteurs de la Shochiku accordent à Ōshima — qui avait débuté comme assistant dans cette firme en 1954 (il travailla notamment pour le cinéaste Masaki Kobayashi jusqu’en 1959) — le passage au 2.35 couleurs pour les deux titres de 1960. Ils investissent en confiance car le crime, sujet apprécié traditionnellement pour son rapport commercial dans le cinéma d’exploitation y compris japonais, était aussi le thème qui passionnait le réalisateur, au point qu’il le considéra parfois comme le thème central de son œuvre. Il y ajoutait une dimension évidente de critique sociale qu’il en estimait inséparable. En 1960, ce second volet Contes cruels de la jeunesse désigna Ōshima comme l’un des chefs de file de la « nouvelle vague japonaise », aux côtés de cinéastes aussi divers que Masaki Kobayashi, Yasuzo Masumura, Hiroshi Teshigahara, Koji Wakamatsu, Norifumi Suzuki, Seijun Suzuki, Kinji Fukasaku et bien d’autres, sans oublier deux jeunes cinéastes qui travaillaient alors tout comme Ōshima pour la Shochiku : Masahiro Shinoda et Yoshihige (Kiju) Yoshida.

Contes cruels de la jeunesse - Affiche française

Dénonciation d’une certaine mentalité murée dans ses traditions et hostile aux libertés individuelles, regard lucide sur la délinquance juvénile, lyrisme romantique d’une double mort qui n’est plus un double suicide classique mais s’y apparente presque : à partir du thème — déjà exploités depuis les années 1950 par le cinéma mondial : la Shochiku ne faisait, de son point de vue de productrice-distributrice, que reprendre un filon exploité avec succès en Amérique (du Nord comme du Sud) et en Europe — d’une jeunesse rebelle, amorale, parfois cruelle, parfois désespérée, toujours vouée à la mort violente, Contes cruels de la jeunesse se distingue pourtant d’emblée, assez nettement, par son ambition plastique très concertée d’une part (certains effets précis de cadrage : la moitié du visage volontairement filmée de Makoto marchant la nuit, au bord droit de l’écran Scope), par quelques allusions politiques d’autre part. Sa recherche d’une écriture originale (plan-séquence du dressage de Makoto dans le lac aux arbres abattus, muni d’une musique insolite et angoissante signée Riichiro Manabe), sa direction précise d’acteurs, ses quelques cadrages fragmentés en très gros plans, ses clairs-obscurs vont dans le sens d’un hyperréalisme parfois stylisé mais souvent inquiétant. Sur le plan strict de l’histoire de l’érotisme au cinéma, la scène de l’étreinte sur la plage présente un problème intéressant : elle est à la croisée des chemins, à la fois un souvenir de l’esthétique hollywoodienne classique du Tant qu’il y aura des hommes (From Here to Eternity – 1953) de Fred Zinnemann et une annonce des étreintes plus torrides de la Nouvelle vague française, par exemple celles de Le Cri de la chair/ L’Éternité pour nous (1961-1963) de José Benazeraf.

Contes cruels de la jeunesse - Affiche japonaise

Pourtant, assez curieusement, des trois titres composant cette trilogie, Contes cruels de la jeunesse semble aujourd’hui le plus démodé (son scénario tourne parfois franchement à la parodie grinçante du roman-photos : difficile par exemple de croire au chassé-croisé familial dans la clinique privée du médecin avorteur), le plus formaliste (son générique d’ouverture recourt à des coupures de presse japonaise filmée : procédé classique dont usent aussi les films noirs yakuza-eiga de Kinji Fukasaku) et le moins sincère des trois. Particulièrement agaçante apparaît la séquence N&B (stock-shots rapportés à la continuité en couleurs) de la manifestation communiste de 1960 à Séoul en Corée du Sud : depuis 1953, il était pourtant déjà vraiment très difficile d’éprouver de la sympathie pour le régime communiste qui dominait la Corée du Nord. Ces provocations sont celles qui ont le plus mal vieilli : elles sont donc, logiquement, les premières rattrapées par le temps. Sans doute faut-il, cependant, lutter contre cette impression rétrospective, même en ce qui les concerne, pour restituer au film sa fraîcheur native et totale : si on y réussit en le comparant historiquement et esthétiquement aux films noirs japonais contemporains — qu’on songe par exemple à certains aspects du Rivière noire (Kuroi kawa – 1957) de Masaki Kobayashi ou du Entre le ciel et l’enfer (Tengoku to jigoku – 1963) de Akira Kurosawa — alors Contes cruels de la jeunesse échappe au vieillissement : il maintient une originalité et une virulence, morales comme plastiques, intactes. Tourné dans la foulée, le troisième volet (et, à mon sens, le meilleur) de cette trilogie,  L’Enterrement du soleil / La Tombe du soleil, sera d’un pessimisme plus sombre, d’une ampleur plastique plus riche et d’une violence graphique supérieure à celle des deux premiers, confirmant le rattachement d’Ōshima au mouvement « Taiyozoku » traduisible par « Mouvement de la jeunesse rebelle et violente ».

Contes cruels de la jeunesse - Capture menu Blu-ray

Carlotta propose une image restituée à partir d’une excellente restauration japonaise 4K effectuée par la Shochiku ainsi que l’indique un avertissement technique anglo-japonais juste avant le générique original d’ouverture : couleurs acidulées et vives, netteté des lignes, très bonne définition des scènes nocturnes. Nous n’avons repéré aucun défaut argentique ni numérique. Quant à la photo signée Takashi Kawamata, elle est impeccablement restituée.

La VO, encodée en DTS-HD Master Audio 1.0 mono laisse entendre un très bel équilibre musique-dialogues-effets sonores. Ce titre avait été présenté en Europe pour la première fois au Festival de Pessaro vers 1970 et ne fut, par la suite, exploité en France qu’en VOSTF dans les salles de cinéma Art et Essais. Aucune VF d’époque à regretter, donc. C’est d’ailleurs le cas de presque toute la filmographie de Ōshima, à l’exception notamment du célèbre diptyque L’Empire des sens (Ai no corrida – 1976) et L’Empire de la passion (Ai no borei – 1978) qui avaient été co-produits par la France et furent donc exploités dans les deux circuits de salles (arts et essais en VOSTF uniquement et commerciales normales en VF et VOSTF si la salle commerciale était située dans un quartier touristique fréquenté par des anglophones : salles des Champs-Élysées, par exemple). Musique, parfois un peu dodécaphonique (scène du dressage de Makoto) signée Riichiro Wanabe : dans les bars, les jeunes écoutent une obsédante guitare électrique en musique d’ambiance dont on n’abuse pas, ce qui la rend d’autant plus efficace, parfois même un peu inquiétante.

Contes cruels de la jeunesse - Donald Richie

L’Entretien avec Donald Richie est à la fois passionnant et décevant. Passionnant car Richie, historien du cinéma japonais, a personnellement fréquenté Ōshima et a été sur ses tournages : il livre donc des anecdotes de première main. Décevant parce qu’il n’en tire qu’une série de banalités sans grand intérêt, banalités qu’il répète à plus d’une reprise, qui plus est. Que Nuit et brouillard au Japon (Nihon no yoru to kiri – 1960) de Ōshima soit considéré par Richie comme son film majeur sur la période 1960-1965 est un signe qui ne trompe pas : ce manifeste politique, formaliste et théâtral apparaît aujourd’hui très pénible à visionner. Il est très inférieur, à tous points de vue, aux deux titres antérieurs et très inférieur aussi au savoureux Les Plaisirs de la chair (Etsuraku – 1965). Autre aspect gênant lorsqu’on veut jouer à l’oracle informé : être ignorant. Richie cite Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et représentation (1818-1859) mais il commet un  sévère contresens à propos de sa signification philosophique. Ce n’est, en effet, pas du tout la volonté qu’exalte Schopenhauer mais, tout au contraire, l’idée que l’art et la religion sont les seuls libérateurs de ce vouloir-vivre tyrannique. Quelques illustrations N&B (photos de plateau, photos de tournage) et quelques extraits couleurs de divers films d’Ōshima mais les 25 minutes passent lentement tout de même. Il y a un cas Donald Richie dans l’historiographie du cinéma japonais. Pendant les années 1960, le livre de Richie et Anderson sur le cinéma japonais était mythique : tous les historiens français du cinéma le citaient dans leurs bibliographies mais presque personne ne l’avait lu. Et puis, au fil des rééditions augmentées et d’une traduction longtemps attendue, il arriva avec beaucoup de retard chez nous, en version augmentée et mise à jour, en 2005, et on fut assez surpris : c’était un simple précis d’histoire du cinéma particulièrement sélectif et assez incomplet. Autant les connaissances de Richie sur la période muette des origines à 1930 étaient absolument remarquables, autant on ne pouvait qu’être relativement déçu par son aperçu de la période parlante 1955-2005 : le cinéma populaire de genre y était pratiquement ignoré ou alors connu mais profondément méprisé et passé sous silence ; un cinéaste aussi important que Nobuo Nakagawa (1905-1984) n’y était même pas cité, preuve s’il en était d’une vision parcellaire. Je cite cet exemple à dessein et d’autant plus volontiers que Ōshima s’honorait, dit-on, d’être l’ami de Nakagawa.

Quant aux extraits des Carnets de note de Ōshima, il s’agit en fait d’un montage non-stop de plans et de séquences (y compris du film qu’on vient de voir mais aussi emprunté aux deux autres titres de la trilogie) sur lesquels une voix française off lit des extraits de notes thématiques et esthétiques écrites par Ōshima. Ce montage concocté par Allerton Films était déjà très pénible sur l’édition DVD de 2008. Il l’est plus encore à sa seconde vision. Il aurait peut-être été préférable que l’on photographiât sur une ou deux pages les notes en question afin qu’elles fussent lisibles.

Enfin, la bande annonce originale présente l’intérêt de montrer la manière dont la Shochiku vendait Contes cruels de la jeunesse aux spectateurs des cinémas d’exploitation. À certains moments, on dirait presque que l’on visionne la bande-annonce d’un film de Kinji Fukasaku : plans de bagarre violente et slogans conviendraient aussi bien à l’un qu’à l’autre ! Très bon état argentique et numérique, format original respecté, couleurs vives.

Contes cruels de la jeunesse (1960) – Édition Blu-ray

Réalisateur : Nagisa Ōshima
Éditeur : Carlotta Films
Sortie le : 25 août 2021
Au cinéma : le 5 mars 1986

Makoto, étudiante issue d’une famille modeste mais à la recherche d’expériences nouvelles et de sensations fortes, se fait parfois raccompagner chez elle en voiture par des hommes âgés. Un soir, l’un d’eux tente de la violer : elle est secourue par Kyoshi, étudiant qui fréquente le milieu des contestataires. Makoto quitte sa famille pour vivre avec lui mais elle découvre vite qu’il fréquente le milieu dangereux de la nuit, notamment un gang de proxénètes.

Spécifications techniques Blu-ray  :

  • Image : 2.35.1 encodée en AVC 1080/23.98p
  • Langue : Japonais en DTS-HD MA 1.0 mono
  • Sous-titres : Français
  • Durée : 1h36min 46s
  • 1 BD-50

Bonus :

  • Le Japon sous tension : entretien avec l’historien du cinéma Donald Richie (25min 27s – HD – 2008)
  • Extraits des carnets de notes d’Ōshima (15min 17s – HD – 2008)
  • Bande annonce originale (1min 44s – HD)

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