Autant l’avouer d’entrée de chronique, c’est certainement la première fois que nous allons aborder un film en ayant remisé au placard le « mode expert » qui caractérise si bien notre ligne éditoriale (ah ! première nouvelle nous diront certains). C’est que si le nom de Tsui Hark nous parle forcément, disons humblement que nous n’avons vu qu’une toute petite partie de sa filmo. Et encore certainement pas ce qu’il a fait de mieux (au hasard Double Team ou encore Piège à Hong Kong qu’il réalise à la fin des années 90 au sein des Studios US). Comment de fait prétendre parler de L’Enfer des armes, film qui a identifié Tsui Hark sur la carte cinématographique mondiale, alors que des fleurons subséquents reconnus ainsi par les exégètes du cinéaste hongkongais (né au Viêt Nam) tels que la saga Il était une fois en Chine / The Blade / The Master etc n’ont jamais trouvé le chemin jusqu’à nos rétines ? Et bien on va se lancer quand même. Et disons que ceux pour qui le film n’a aucun secret, ils n’ont qu’à se rendre directement en fin de cette chronique pour se faire juste une idée de la qualité de cette édition. Les autres (on sait, ils sont peu nombreux), on les emmène à la découverte d’un film intrinsèquement passionnant à visionner plus de 40 ans après sa réalisation tant l’énergie proche du désespoir qui irrigue chacun de ses plans nous a scotchés lui prodiguant indéniablement une vitalité en forme de cure de jouvence perpétuelle. Précisons en guise de conclusion de cette introduction (oui on a l’esprit tordu on sait) que l’éditeur Spectrum nous le propose dans sa version dite internationale mais aussi pour une première en Blu-ray, dans une version Director’s Cut un peu plus longue qui a longtemps été un fantasme pour les admirateurs du film.
Affiche pour la sortie du film en version restaurée 2K le 7 février 2024 par Splendor Films
Rappelons en effet pour les moins aguerris que L’Enfer des armes a dans sa première version souffert d’une censure locale qui n’appréciait pas que le troisième long de Tsui Hark revienne à sa façon sur une série de faits-divers survenus au milieu des années 70 où une bande d’ados aux casiers vierges « s’amusaient » à poser des bombes dans les cinémas provoquant une véritable onde de choc dans la ville. Le pire c’est qu’une fois mis sous les verrous, on ne connut jamais leurs motivations ce qui interrogeait sur une société de plus en plus instable qu’une jeunesse habituellement sans histoire venait accentuer. Pour Tsui Hark, choisir ce fil rouge était une forme de cri de rage et de colère lui qui avait acquis une certaine notoriété avec une série télé mais que ses deux premières œuvres de cinéma n’avaient convaincu personne à commencer par le public. L’Enfer des armes peut même s’apparenter à une forme de suicide avant un possible retour dans le giron de la télé tant le sujet ne pouvait que susciter l’attention de la censure qui n’allait à coup sûr rien laisser passer. Il suffit d’ailleurs de synthétiser l’histoire pour comprendre les motivations du cinéaste : trois garçons et une fille qui veulent tout faire péter avant de mourir le majeur bien brandi à la face de la ville.
C’est cette version qui sera présentée au bureau de la censure et c’est cette version qui est devenue mythique. C’est qu’en fait elle sera purement et simplement interdite de diffusion par l’administration britannique qui gérait alors la ville obligeant les producteurs (au bord de la faillite et qui ne pouvaient donc pas se permettre de laisser les bobines du film sur une étagère) et Tsui Hark à revoir leur copie. En fait il s’agit d’une véritable opération de reconstruction puisqu’en dix jours il va retourner un bon tiers du film tout en remontant l’ensemble pour plus en faire ce polar promis initialement centré autour d’un trafic d’armes organisé par des anciens soldats yankees qui ont fait la guerre du Vietnam devenus depuis des mercenaires. C’est cette version qui est connue de tous. C’est celle qui a fait la renommée de Tsui Hark à l’internationale à commencer par la France où il est découvert au Marché du film cannois en mai 1981 pour être ensuite projeté quelques mois plus tard au Festival du Film Fantastique de Paris avant de sortir en VHS chez Scherzo sous la houlette d’un certain Christophe Gans lui permettant de convoler quasi instantanément vers son statut d’œuvre culte.
Tsui Hark et sa barbichette font un caméo
À Hong Kong par contre, L’Enfer des armes ne rencontre pas vraiment son public. Le final qui se déroule dans un cimetière et qui n’a quasiment pas bougé depuis la version originelle finit de classer Tsui Hark dans la catégorie des fous furieux. D’après Arnaud Lanuque, spécialiste du cinéma hongkongais présent dans les bonus du disque proposant la version internationale, le film ne fut pourtant pas un échec commercial. Mais on n’en saura pas beaucoup plus. Est-ce dû à la notoriété acquise par le film à l’international ou au final des entrées qui permirent au film d’au moins rentrer dans ses frais ? Quoi qu’il en soit, Tsui Hark a semble-t-il pensé à s’exiler devant les chiffres médiocres au box-office hongkongais. Mais on va lui proposer de tourner une comédie dans la foulée qui va remporter le prix du meilleur réalisateur à Taïwan et finir 5ème au box-office local en 1981. Sa carrière était dès lors lancée.
Mais quid de la copie originelle de L’Enfer des armes ? Et bien elle a longtemps été considérée comme perdue. Tsui Hark affirmant même qu’elle avait été détruite. C’est que à Hong Kong en ces années-là, si une copie ne pouvait servir à l’exploitation, inutile de la conserver. Mais en 1996 une VHS est retrouvée miraculeusement lors d’un voyage de Laurent Courtiaud et Julien Carbon (qui ont travaillé avec Tsui Hark lui vendant par exemple un de leurs scénarios). C’est grâce à cette VHS proposée pour la première fois avec l’achat d’un numéro du feu magazine HK en 1999 que les fans ont pu découvrir cette version (au passage beaucoup des informations que vous pourrez lire ici sur le film sont reprises de ce numéro devenu culte). C’est en partant de ces images d’un autre temps que la version dite Director’s Cut de ce Blu-ray existe aujourd’hui. En fait Spectrum a fait l’audacieux pari de proposer le montage originel en mélangeant les séquences de la version internationale qui a été restaurée en 2K avec les images issues de la VHS. Du coup il n’est pas bien compliqué de repérer où se situent les ajouts tant la différence de qualité entre les deux images est indécente. Mais au moins on a la « chance » de découvrir la version originelle en Blu-ray et selon un confort visuel qui n’est pas anodin puisque les « ajouts » ne représentent que 3 minutes de métrage en plus au sein donc d’un montage qui change, et de beaucoup, l’ADN de L’Enfer des armes.
Exemple de l’image issue du « master VHS ». On précise que ces passages sont bien sous-titrés en français.
Oui car la différence fondamentale entre les deux versions se situe bien au niveau des motivations des adolescents. Dans la version internationale, les trois garçons sont « manipulés » par une jeune fille (et sœur d’un inspecteur de police) afin de commettre des délits. Elle devient même l’instigatrice de leur plongée dans le chaos sans retour. Dans la version originelle, les trois jeunes gens sont plus moteurs avec à leur tête un ado issu d’une bourgeoisie décrite comme détestable fabriquant la première bombe qu’ils font exploser dans le cinéma. Mais dans les deux versions, la jeune fille se cherche des amis, ne veut plus de sa vie de solitude et de cette société qui semble la rejeter. Précisons ici que nous avons pu découvrir L’Enfer des armes dans sa version dite internationale restaurée 2K lors de sa projection sur le grand écran du Max Linder de Paris en décembre 2023 dans le cadre du PIFFF. Une version qui nous a donc totalement scié surtout lors de son final incroyable où le nihilisme du propos n’est balayé que par la radicalité de la mise en scène qui s’autorise tous les excès, toutes les outrances. On pourrait alors se dire que l’on n’est pas loin des effets de manche où la gratuité de l’acte et de l’action n’en sont que trop évidents. Que nenni tant Tsui Hark arrive toujours au bout du bout de chacun de ses plans, de ses cadres, de ses séquences à signifier sa mise en scène pour envoyer son film vers une dimension politique et sociétale et ce, quelle que soit la version.
Cette double édition Blu-ray, outre la proposition donc des deux versions, dispose d’un nombre conséquent de bonus qui vont de l’anecdotique comme l’entretien avec l’un des scénaristes Sze To Chuek-hon qui ne comprend toujours pas comment il a pu obtenir un prix du scénario vu que quand il est arrivé sur le film le script était déjà écrit n’y apportant que de toutes petites modifs (la légendaire humilité asiatique ?) au passionnant avec la belle contextualisation géopolitique apportée par Arnaud Lanuque qui s’est mis en scène dans le même cimetière de la séquence finale de L’Enfer des armes. On a aussi droit sur la version internationale à un commentaire audio de Podcast on Fire. En fait une émission anglo-saxonne spécialisée dans le cinéma asiatique. Même si cela ne suit absolument pas ce qui se passe à l’écran et que cela s’arrête au bout d’un peu plus d’une heure de film, cela reste très informatif puisque revenant en détail sur les différences entre les deux versions tout en précisant qu’au-delà des reshoots opérés à l’époque par Tsui Hark, il y a eu aussi des doublages qui ont été refaits pour changer des dialogues tout en gardant les mêmes plans.
Dans tout cela on aurait bien aimé trouver une intervention de Christophe Gans qui a littéralement fait découvrir le film en France mais par manque de temps (selon l’éditeur) cela n’a pas pu se faire et en lieu et place on a droit à une présentation de quelques minutes du film déjà présente sur le DVD HK (on présume) en voix off. Mais pour les connaisseurs il ne s’agit pas de la voix de Christophe Gans mais celle du journaliste Léonard Haddad. Du coup, on présume que c’est (au moins) un texte de Gans. Ceci étant dit, en à peine 3min 45s tout est décrypté.
Un mot enfin sur l’aspect technique de ce double Blu-ray. À commencer par l’image qui bénéficie donc de la très belle restauration 2K. Très belle car le grain originel reste bien présent permettant une définition d’ensemble plutôt convaincante. Bien entendu certains passages manquent de précision mais il faut chercher cette faiblesse du côté de la captation originelle. Un bémol cependant avec la présence quasi permanente en haut à gauche de l’image d’une sorte d’altération qui prend la forme d’un voile strié (comme si on y avait passé un peigne) qui est surtout visible lors des séquences de jour ou claires. Exemple capture ci-dessous. Sur la version Director’s Cut, inutile bien entendu de revenir sur les passages issus de la vieille VHS et contentons-nous de nous dire que cela a le mérite d’exister en l’état.
Quant au son, il s’agit bien entendu dans tous les cas d’un mono encodé en DTS-HD 2.0 proposé uniquement en VO sur la Director’s Cut et accompagné de la VF originelle pour la Version Internationale. La VO a certainement été un peu trafiquée dans les réverbs pour lui donner cette impression surround qui ne nous déplaît pas et qui met en valeur cette bande originale faite exclusivement d’emprunts divers et variés de musiques déjà existantes où les ayants droit et autres auteurs n’étaient bien souvent même pas au courant. On adore ainsi entendre lors de la séquence finale la musique de Goblin qui avait été spécialement composée pour le Zombie de Romero. À noter que sur la version Director’s Cut les passages repris du « master VHS » ne sont forcément pas du même niveau mais cela passe aisément le cut en se doutant que l’éditeur a dû travailler à mort pour essayer de trouver un équilibre satisfaisant. Concernant la VF, celle-ci est nettement plus « mat » et resserrée ce qui là aussi n’est pas désagréable et en tout cas ne nuit pas au film.
Au final, inutile de préciser que cette édition a à l’évidence été conçue avec amour et passion. Un axe de « travail » qui forcément nous sied à ravir.
Ps : une inversion des sérigraphies des disques par le presseur Sony a pour conséquence que le disque indiquant Director’s Cut est en fait le disque de la Version Internationale et inversement. Spectrum Films a choisi de laisser en l’état pour ne pas retarder les envois tout en prévenant de ce petit problème sur X.
L’Enfer des armes (Dangerous Encounters of the First Kind -1980) – Édition 2 Blu-ray
Réalisateur : Tsui Hark
Éditeur : Spectrum Films
Sortie le : 4 juillet 2024
Un groupe de jeunes garçons décident de commettre des actions terroristes sans motivation apparente. Inspiré d’un fait divers, ce film fut censuré à Hong Kong à sa sortie.
Spécifications techniques Blu-ray :
- Image : 2.35.1 encodée en AVC 1080/24p (DC et VI)
- Langue(s) : Cantonnais DTS-HD MA 2.0 mono (DC) / Cantonnais DTS-HD MA 2.0 mono et Français DTS-HD MA 2.0 mono (VI)
- Sous-titre(s) : Français
- Durée : 1h39min 18s (Version Director’s Cut) / 1h36min 17s (Version Internationale)
- 2 BD-50
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080
Bonus sur la Version Director’s Cut (en HD) :
- Présentation du film par Christophe Gans (2004 – 3min 54s – SD)
- Présentation de Panos Kotzhatanasis (2024 – 6min 41s – VOST)
- Interviews :
- Tsui Hark (2024 – 25min16s – VOST)
- Kristof Van Den Troost (2024 – 30min 48s – VOST)
- Sze To Chuek-hon – Scénariste (2024 – 7min 27s – VOST)
Bonus sur la Version Internationale (en HD) :
- Commentaire audio de Podcast on Fire (VOST)
- Présentation d’Arnaud Lanuque (2024 – 14min 48s)
- Bande annonce (2023 – 1min 32s – HD – VOST)
- Interviews :
- Albert Au (2024 – 44min 49s – VOST)
- Paul Che (2024 – 26min 48s – VOST)
- O Sing Pui (2024 – 23min 09s – VOST)