Stay Hungry - Image une test BD

Stay Hungry (1976) en Blu-ray chez Bubbel Pop’ Édition

Cela faisait cinq ans que la filmo de Bob Rafelson n’avait pas eu les honneurs d’une sortie en Blu-ray. Encore que l’on parle de La Veuve noire (1987), pas le film le plus abouti de son auteur et surtout de BQHL, pas l’éditeur le plus fiable sur le marché français. Mais bon, vu que jusqu’ici le seul film du réalisateur disponible sur le support était l’excellent Le Facteur sonne toujours deux fois (1981) édité par Warner en 2014, il fallait s’en contenter. Même en DVD, Bob Rafelson n’avait été que très peu mis en valeur puisque à part The King of Marvin Gardens (1972) chez WildSide au sein de feu sa collection « Les Introuvables », on ne peut pas dire que l’un des cinéastes les plus emblématiques du Nouvel Hollywood ait été choyé de par chez nous sinon via quelques DVD sans intérêt. Tout ça pour dire que l’arrivée de Stay Hungry, pas le film le plus connu de l’auteur, via une édition dite collector, ne pouvait que nous submerger de contentement d’autant que nous avons affaire à un tout nouvel éditeur, Bubbel Pop’ Édition, qui en profite pour faire une entrée fracassante sur le marché de la vidéo physique.

Stay Hungry - Édition Collector - Blu-ray + DVD + Livre

Éditeur :Bubbel Pop' Édition
Sortie :15 novembre 2024  

Au cinéma le : 5 avril 1978

Résumé :  Craig Blake est un jeune homme du Sud, né dans une famille aisée, mais laissé seul et oisif après la mort de ses parents dans un accident d’avion. Il passe son temps à pêcher, chasser et bricoler dans sa grande maison familiale à Birmingham, en Alabama, habitée uniquement par lui-même et un majordome. Blake est employé dans une entreprise d’investissement douteuse dirigée par un escroc rusé nommé Jabo. On lui demande de s’occuper de l’achat d’une petite salle de sport que la société achète pour faire place à un immeuble de bureaux. Il rencontre Joe Santo qui prépare son entraînement pour le titre de Mister Univers…

Stay Hungry - Affiche US

Stay Hungry est considéré comme la dernière mouture d’une trilogie pas du tout imaginée comme telle initialement où l’on trouve Cinq Pièces faciles (Five Easy Pieces – 1970) et The King of Marvin Gardens (1972). Trois films iconiques du Nouvel Hollywood dont Bob Rafelson était sans aucun doute le représentant le plus avant-gardiste si l’on se fie à ce que nous dit Jean-Baptiste Thoret parmi l’un des bonus proposés au sein de cette édition. Trois films qui se caractérisent essentiellement par des études de caractère immergées dans une société américaine en pleine crise de valeurs. Et dans Stay Hungry (comme dans Cinq Pièces faciles au demeurant) le personnage central interprété par Jeff Bridges est un rejeton issu de la haute société du sud des États-Unis qui se cherche. Le voici donc en quête d’une identité en propre et d’une forme d’intégration qui ne seraient pas déterminées par ses origines sociales. Et pour cela Bob Rafelson n’use pas des ficelles classiques du storytelling. Ce n’est en effet pas l’histoire qui porte le « héro » mais bien celui-ci qui brinqueballe l’histoire. Le déroulé du film n’obéit ainsi qu’à peu des codes en usage dans le Hollywood de l’âge d’or des studios. En ce sens que d’une séquence à l’autre on peut tâter du drame pour ensuite basculer dans de la comédie d’action. Un changement de ton qui peut aussi se faire sentir au sein de la même séquence. Comme celle se situant quasi à la toute fin où dans la salle de gym un des protagonistes passe de l’érotomane graveleux mais débonnaire et adepte de partouzes tarifées à un prédateur sexuel fondant sur sa proie pour la violer.

Stay Hungry - Capture bonus Blu-ray - Bob RafelsonBob Rafelson

Ces ruptures de ton sont l’une des marques de fabrique du Nouvel Hollywood. Comme s’il fallait sans cesse impliquer le spectateur, pour ne pas dire l’immerger, au plus près de la psychologie du personnage central dans le seul but de nous faire ressentir de l’intérieur ses certitudes, ses doutes, ses envies, ses dégouts, bref son cheminement à la fois psychologique et sociologique. Et forcément tout ça n’est pas linéaire avec des hauts et des bas qui à l’écran passent donc par une forme d’ascenseur émotionnel souvent radical et au final extrêmement bien vu. Ce que Jean-Baptiste Thoret ne manque pas là aussi de souligner au sein d’une intervention comme souvent passionnante avec lui où d’ailleurs il ne fait pas qu’analyser le film. Il en retrace aussi la production au sein de ce Nouvel Hollywood dont il est devenu le spécialiste en France. Il en profite aussi pour faire un focus sur les acteurs en faisant remarquer qu’aucun d’eux n’avait encore cette renommée qu’ils acquerront dans les années 80. À commencer bien entendu par un certain Arnold Schwarzenegger pour lequel Stay Hungry est véritablement son baptême du feu au cinéma après un Hercule à New-York calamiteux en 1970 dont il a d’ailleurs tenté en vain de racheter plus tard le négatif afin d’éradiquer le film de la surface de la Terre.

Le générique de fin qui liste en image l’intégralité du casting et où on pourra repérer un certain Robert « Freddy Krueger » Englund ou encore Roger E. Mosley (Magnum)

Il y joue le rôle d’un bodybuilder qui veut conserver son titre de Mister Univers. Pour cela il s’entraine dans une salle de sport que des entrepreneurs un peu mafieux veulent racheter afin de finaliser le projet d’un building d’affaires dans le quartier. Ils envoient pour cela le personnage joué par Jeff Bridges qui leur sert de caution morale avec son nom de famille que tout le monde respecte à Birmingham, cette ville du sud des États-Unis dont la prospérité industrielle basée sur l’acier commence à vaciller. Mais problème, Craig Blake (Jeff Bridges donc) tombe sous le charme de ce sport, se lie d’amitié avec Monsieur Univers et tombe amoureux de sa petite copine interprétée par Sally Field. C’est donc peu de dire que les enjeux dramatiques sont minces mais pour Bob Rafelson qui adapte ici pour la première fois un roman, ceux-ci sont ailleurs. Dans cette propension à raconter une trajectoire qui sera contrariée par des événements extérieurs mais aussi intérieurs avec pour ambition de dresser un portrait peu amène d’une Amérique vacillant sur ses croyances et fondations.

Stay Hungry se fait du coup aujourd’hui le témoin d’une époque qui fascine plus que jamais dans sa propension justement à toucher du doigt une Amérique peu disposée à accepter les nécessaires évolutions que lui imposent la crise économique et cette contre-culture envahissante ad nauseum d’une jeune génération qui se cherche. Stay Hungry symbolise cet entre-deux d’une décennie qui va bientôt basculer vers ces années 80 portées par un Ronald Reagan qui rejette ces remises en question pour faire du Trump avant l’heure où l’Amérique doit continuer à préserver son leadership en s’appuyant sur des valeurs qui en ont construit les fondations. Ce que Arnold Schwarzenegger symbolisera à lui presque tout seul et jusqu’à l’outrance. Quant à Bob Rafelson, Stay Hungry sera son chant du cygne en matière de film estampillé Nouvel Hollywood. La suite de sa carrière oscillera entre films inintéressants et quelques pépites qui mériteraient urgemment des redécouvertes en Blu-ray (sinon en 4K) à commencer par Aux sources du Nil qu’il réalise en 1990 et qui reste sa dernière très grande et ambitieuse réalisation.

Pour aller plus loin dans la compréhension du film, de sa place dans le cinéma ricain des années 70, pour en savoir plus sur l’auteur du roman qui est lui-même originaire de la ville de Birmingham en Alabama, des dessous du casting, de la réception critique et publique du film, on ne saurait trop vous conseiller de vous plonger dans le livre écrit par Christophe Chavdia dont nous avions déjà pu découvrir la plume sur le livret proposé au sein de l’édition Blu-ray Marché de brutes (1948) chez Rimini. C’est bien simple, cela faisait longtemps que l’on n’avait pas lu quelque chose d’aussi fouillé et complet autour d’un film. C’est selon nous du même acabit qu’un Philippe Garnier quand celui-ci nous pondait des fabuleux textes que l’on pouvait trouver sur les éditions Blu-ray + livre chez Wild Side. Un éditeur qui disons-le bien a été le précurseur sinon l’inventeur de ce genre  d’éditions en France. À tel point d’ailleurs que la conversation avec Thoret nous semble quelque peu redondante jusqu’à être pris en flagrant délit de nous donner des infos inexactes. Thoret dit par exemple que l’auteur Charles Gaines a appelé Rafelson pour lui proposer d’adapter son roman alors que Chavda écrit page 37 que « C’est alors qu’un ami lui envoie Stay Hungry. Rafelson apprécie cet ouvrage au point de contacter Gaines avec l’idée d’écrire un scénario entièrement original, sans lien avec le roman ». Des différences de la sorte ne sont pas légion mais on en a quand même repéré quelques autres.

Stay Hungry - Jaquette combo ouvert

Stay Hungry - Cover MediabookCover Mediabook

Quant à l’apport de Samuel Blumenfeld au sein d’un autre bonus consacré exclusivement à Schwarzenegger, et bien on reste là sur sa faim tant la partie consacrée justement à Schwarzy par Chavdia est bien plus fournie, précise et encore une fois (on ne le dira jamais assez) formidablement écrite. On a en effet connu Blumenfeld bien plus inspiré et érudit. À croire qu’ici il n’avait pas pris la peine de préparer grand-chose pour cette intervention. Et puis l’éditeur s’est fendu d’un voyage (on présume aux États-Unis) pour rencontrer l’actrice Joanna Cassidy qui a un tout petit rôle dans Stay Hungry.

On vous avoue bien volontiers que de prime abord on ne voyait plus trop le personnage qu’elle interprétait dans le film et on n’envisageait encore moins ce qu’elle avait bien pu faire avant ou par la suite. Bubbel Pop’ Édition propose deux segments avec elle et le second revient en particulier sur un des personnages iconiques qu’elle a interprétés dans… Blade Runner. Et là on tombe littéralement à la renverse puisque bien entendu, elle y joue Zhora, la réplicante prostituée qui meurt en traversant de multiples baies vitrées sous les balles d’Harison « inspecteur Deckard » Ford. Autant vous dire que si sa prestation dans Stay Hungry ne nous avait pas marqué (elle y joue une amie de Jeff Bridges issue de sa caste sociale), l’interview qu’elle donne a du coup retenu toute notre attention d’autant que l’on y apprend à mot à peine couvert que Sally Field en avait bavé sur ce film.  Ni une ni deux nous avons retrouvé son autobiographie toujours pas sortie chez nous intitulée In Pieces (‎Simon & Schuster Ltd – 2018) où dans le chapitre consacré à Stay Hungry elle décrit ce qui serait considéré aujourd’hui comme une relation plutôt toxique puisque à sens unique, agrémentée de multiples vexations et où la soumission était induite. C’est ainsi que depuis le casting et jusqu’au clap final, elle a subi l’emprise d’un réalisateur plutôt vache avec elle devant toute l’équipe alors que cet homme dont la femme l’accompagnait sur ses tournages et père de famille entretenait une liaison à l’abris des regards. Ce qui est remarquable c’est qu’avec le recul elle ne tient pas régler ses comptes. Elle veut juste en parler tout en reconnaissant à ce film de lui avoir permis de franchir une étape importante dans sa carrière.

In Pieces - Cover du livre autobiographique de Sally Field

Joanna Cassidy vient d’avoir 80 ans. Son phrasé et son discours sont assurés. On devine un caractère à la fois entier mais aussi ouvert. Et surtout elle donne l’impression d’être en phase avec son temps. Ce sont là des ressentis qui nous ont étreints en l’écoutant où au final elle ne parle qu’assez peu du film où de toute façon son rôle ne lui a pas permis d’être là tout le temps. On y apprend tout de même que pour elle le tournage fut léger mais aussi sérieux et qu’elle regrette ce temps où les acteurs communiquaient entre eux pas comme aujourd’hui où chacun est derrière son portable. Le reste de ses propos, on vous laisse les découvrir avec encore une fois cette impression que nous avons affaire là à une grande dame capable de nous parler du rôle des femmes dans le cinéma d’action, tout en se disant heureuse de la place qu’elle occupe au sein de cette industrie.

Côté technique Bubbel Pop’ a récupéré pour cette édition un master différent de celui utilisé par l’éditeur allemand FilmConfect Home Entertainment qui avait sorti le film en Blu-ray en 2018. On en parle parce qu’il proposait Stay Hungry avec des sous-titres français ce qui nous avait permis à l’époque de découvrir le film. Dans les deux cas on reste en présence d’un master HD qui semble un peu plus marqué par des scories et autres points blancs chez nous que chez nos amis allemands. Pour autant, on ratifie sans l’ombre d’un doute le travail effectué ici sur l’image où l’encodage permet au film de recouvrer un grain qui avait totalement disparu sur l’édition allemande. Stay Hungry (re)devient dès lors ce film organique bien plus proche des attentes que l’on peut avoir pour métrage tourné sur pellicule dans les années 70. On aime ici les contrastes, le rendu sur la lumière et les zones d’ombre et au final cet aspect tellement plus vivant avec une définition dont on aime les quelques imperfections repérées de temps à autre. Une restauration ne serait pas du luxe mais pas certain qu’avec les velléités actuelles de tout accentuer en 4K (les couleurs, les lumières, la définition etc…) que Stay Hungry n’y perdrait pas un peu de cette âme un peu « roots » entrevue ici. Pour la forme on vous a mis deux/trois captures comparatives ci-dessous des plus cliquables…

Stay Hungry n’est enfin proposé qu’en VO alors que le film a bien été exploité dans les cinémas français. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’une VF existe vu que le film est sorti dans une combinaison assez faible de salles pour n’engranger d’ailleurs que 37 041 entrées (source Chavdia) confirmant au demeurant la plantade du film au box-office ricain. La VO encodée en DTS-HD Master Audio 2.0 mono ne prête le flanc à aucune critique. La balance voix / ambiance y est en effet travaillée aux petits oignons.

Au sujet du box-office catastrophique, Rafelson qui était un réalisateur totalement en phase avec son temps avait senti que le vent tournait durant le tournage de Stay Hungry. Cette impression s’est confirmée pour lui quand il a emmené sa troupe d’acteurs au cinéma pour découvrir Les Dents de la mer. Une projection à l’issue de quoi il a déclaré « Ce film va nous enterrer ». Bien vu et Thoret + Chavdia de nous apprendre que l’une des dernières séquences du film où une bande de culturistes habillée en slip envahit les rues de la ville à la surprise générale des piétons et des conducteurs, a été écrite et donc tournée à l’issue de cette projection du film de Steven Spielberg devenu un phénomène de société. Ceci afin de donner un ton un peu plus léger à un film qui en manquait jusqu’ici quelque peu. Rafelson voyant donc que le cinéma fait de transgression, de critiques et de remises en question profondes n’aurait bientôt plus les faveurs du public. La suite lui donnera amplement raison.

Et on espère que vous vous précipiterez sur cette édition afin que l’avenir donne aussi raison à ce nouvel éditeur qui a, selon nous, tout compris dans sa façon d’exprimer son amour de cinéma en s’appuyant de la plus belle des manières sur le support physique afin de donner à un film le meilleur des écrins possibles. Bon vent à lui.

Spécifications techniques Blu-ray :

  • Image : 1.85.1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langue(s) : Anglais DTS-HD MA 2.0 mono
  • Sous-titre(s) : Français
  • Durée : 1h42min 40s
  • 1 BD-50

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Bonus (en HD et VOST sauf mention contraire) :

  • Joanna Cassidy se souvient de Stay Hungry (14min 52s – 2024)
  • La Femme Alpha (5min 41s – 2024)
  • Arnold devient Schwarzy par Samuel Blumenfeld (16min 10s – 2024)
  • La Fin du nouvel Hollywood par Jean-Baptiste Thoret (41min 41s – 2024)
  • Bande annonce originale (2min 53s – VO)
  • Le livre Vivre dangereusement par Christophe Chavdia (100 pages)

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