Pépé le Moko est sans aucun doute avec Le Quai des brumes (1938), Hôtel du Nord (1939) de Marcel Carné et quelques autres titres de Julien Duvivier et Jean Renoir, l’un des films les plus connus et emblématiques de ce cinéma français d’avant-guerre que l’on a rangé dans la case « réalisme poétique ». Par cette terminologie on entend ces films qui racontent une histoire au dénouement teinté de tragédie portés par des personnages dont le destin se confond avec l’histoire. C’est le côté poétique qui s’attarde au demeurant à mettre principalement en valeur des êtres issus de couches sociales populaires tels que des ouvriers, des soldats, des prostituées ou des malfrats. Ça c’est pour l’aspect réalisme accentué par le choix de filmer avec moult détails une géographie privilégiant des villes tentaculaires où le sentiment d’étouffement et d’irrémédiabilité des destins s’y déploie à dessin. Pépé le Moko emprunte à tous ces codes pour mieux les magnifier encore au sein d’une édition Blu-ray techniquement parfaite mais décevante sur son versant éditorial.
Pépé le Moko - Combo Blu-ray + DVD
Au cinéma le : 29 janvier 1937
Résumé : Réfugié dans la Casbah d’Alger, Pépé le Moko chef d’une bande de malfaiteurs, est émerveillé par la beauté d’une jeune femme, Gaby, dont il tombe amoureux. Hélas, leur idylle est de courte durée car Slimane, un inspecteur de police, tend un piège à Pépé pour le faire quitter son repaire…
Pépé le Moko raconte l’histoire d’un gangster venu se réfugier avec sa bande dans la Casbah à Alger après avoir dévalisé d’une manière sanglante une banque à Toulon deux ans auparavant. Ville dans la ville avec ses ruelles labyrinthiques et sa population majoritairement indigène, il y règne dorénavant en maître jusqu’à la police qui n’ose plus s’y aventurer sinon en très grand nombre et sans jamais avoir l’assurance de ne pas y perdre un des leurs. Pépé c’est Jean Gabin et le « moko » c’est l’appellation qui désignait les marins travaillant à Toulon. Ce qui incidemment permet de connaître les origines sociales du personnage. Mais Pépé se languit de Paris où il y a aussi trainé ses guêtres, ses bals musettes, son métro et surtout ses belles pépés. La Casbah le protège et lui assure comme une retraite dorée mais c’est aussi comme une prison à ciel ouvert où vouloir s’en extraire est quasi impossible. Il vit avec Inès, une « locale » interprétée par Line Noro (actrice un peu oubliée mais dont on rappellera qu’elle fut pensionnaire de la Comédie française de 1945 à 1966) pour laquelle il s’est lassé. Et puis surgit la belle Gaby, une parisienne qui visite la Casbah en quête de frissons touristico-exotiques. Le coup de foudre est immédiat et réciproque. Commence dès lors les ennuis pour le Moko.
Après La Belle équipe l’année précédente, Pépé le Moko est un nouveau coup de maître réalisé par le grand Julien Duvivier. Deux films qui au demeurant symbolisent on ne peut mieux ces années « Front populaire » où les « petites gens » sont filmées avec un romantisme et un naturalisme exacerbé. Un mariage peu évident de prime abord mais que les talents de scénaristes / dialoguistes tels que Charles Spaak, Jacques Prévert ou comme ici Henri Jeanson ont réussi à rendre évident film après film. Ainsi, quand Gabin s’adresse à l’inspecteur Slimane (immense Lucas Gridoux) en lui sortant cette réplique « Avoir l’air d’un faux-jeton à ce point-là c’est vraiment de la franchise », tout y est résumé. La rudesse de la confrontation en question associée à la beauté romanesque du verbe. Sans oublier de préciser qu’ici Jeanson est l’un des premiers à insérer des mots d’argot dans ses dialogues. Ce que Michel Audiard n’oubliera pas quelques années plus tard.
Il y a aussi ces gueules cassées qui font office de seconds couteaux/rôles qui sont tous caractérisés par un tic ou une manie permettant d’épurer encore et encore les situations ou les mises en place. Outre la bande de gangsters qui entoure Pépé, on pense aux traitres, aux informateurs mais aussi à cette chanteuse de cabaret interprétée par Fréhel (de son vrai blaze Marguerite Boulc’h). Lors d’un plan séquence, elle entonne, en étant accompagné d’un phonographe, un air autrefois à la mode sur les planches parisiennes. Une sublime, longue et émouvante séquence qui débute sur un cliché punaisé au mur du temps de sa gloire et de sa jeunesse pour se terminer sur son visage embué de larmes. Un exemple parmi d’autres sur cette façon d’exprimer en un mouvement de caméra d’une fluidité quasi miraculeuse ce réalisme tragique et poétique magnifiquement mis en valeur par le Duvivier d’alors. Et que dire de Mireille Balin qui endosse les habits de cette parisienne entretenue par un homme riche et influent de 30 ans son ainé qui va tomber sous le charme du Moko ?
Là aussi Julien Duvivier sait capter l’embrasement de sentiments qui ne sont en fait que la réplique de ce qui se passait à la ville. Gabin filant en effet le parfait amour avec Mireille Balin qui se prolongera jusqu’à l’année suivante avec Gueule d’amour de Jean Grémillon où ils partageront l’affiche une nouvelle fois. Mireille Balin, autre actrice quelque peu oubliée aujourd’hui qui à l’époque était une énorme vedette et qui mourut en 1968 dans l’anonymat le plus complet après avoir été rejeté par l’industrie du cinéma pour avoir osé être tombé amoureuse d’un officier allemand pendant les années d’occupation. Un « écart » qu’elle paya de sa personne à la libération en subissant un viol en réunion perpétré par des résistants de la onzième heure tous condamnés à de la prison. Un destin aussi tragique que celui du moko en quelque sorte.
Extrait du livre L’étoile sombre de Philippe Durant (La manufacture du livre)
Pour ceux qui voudraient en savoir plus, on vous conseille L’étoile sombre, l’excellent livre de Philippe Durant paru chez La manufacture du livre. Philippe Durant à qui l’on doit aussi l’indispensable biographie consacrée à Bernard Nathan (cet entrepreneur juif à la tête de Pathé au début des années 30 qui subira une cabale publique sur fond d’antisémitisme le conduisant à son emprisonnement en 1939 pour finir par être déporté en 1942 et mourir dans le camp d’Auschwitz) et que l’on retrouve au sein de l’unique bonus de ce combo Blu-ray + DVD. Soit un doc de presque une heure consacré à Jean Gabin où intervient aussi le réalisateur Patrice Leconte qui clame son amour pour le film, l’historien Benjamin Stora qui contextualise l’époque tout en précisant qu’un film comme Pépé le Moko servait aussi d’outil de propagande pour inciter à venir s’installer en Algérie, Mathias Moncorgé qui partage quelques souvenirs intimes de son paternel, le biographe Eric Bonnefille qui en trois courtes séquences prises sur un autre bonus nous rappelle comment Duvivier pouvait être dictatorial sur un tournage et le réalisateur Jean-Charles Tacchella qui nous a quitté en août 2024 et qui partage ici ses connaissances de cinéphile averti sur Duvivier et Jeanson. Jean-Charles Tacchella qui, rappelons-le, fut d’abord un journaliste critique émérite et le co-fondateur en 1948 du ciné-club « Objectif 49 », berceau de la Nouvelle Vague dont le président n’était autre que Jean Cocteau.
Un magnifique casting donc mais qui au final n’accouche que d’un doc à l’intérêt extrêmement limité. Alors oui chacun y va de son admiration pour Pépé le Moko, on y apprend quelques infos utiles sur Gabin, Duvivier et Mireille Balin (grâce à Philippe Durant), mais franchement on aurait aimé en savoir un peu plus sur la production du film, sur le roman d’origine d’Henri La Barthe uniquement mentionné ici sous le nom de Détective Ashelbé, sur les conditions de tournage au studio de Joinville et sur les décors de Jacques Krauss à peine mentionnés ici etc… Des infos distillées en leur temps par le regretté Jean-Jacques Bernard sur le DVD de Pépé le Moko paru en 2001 chez StudioCanal. Jean-Jacques Bernard qui officiait alors sur la chaîne Ciné Classics et dont la précieuse présentation n’a donc pas été reprise et c’est bien dommage.
Rien à dire par contre sur la signature technique du Blu-ray avec une image issue d’une restauration 4K effectuée depuis le négatif original 35mm. Ce qui donne un master en tout point incroyable où le grain originel est parfaitement mis en valeur et où les contrastes sont superbement travaillés magnifiant la très belle photo N&B toute en clair-obscur qui retrouve ici son éclat d’antan. Ce que l’on apprécie aussi c’est cette volonté à ne pas gommer les « imperfections » d’origine comme ces plans moins nets, plus vaporeux, accentuant cette tessiture romantico-naturaliste du film. Jusqu’aux gros plans sur les visages qui retrouvent ainsi ce déterminisme photographique voulu par Duvivier et par l’époque.
Même constat pour le son dont on nous précise qu’il s’agit d’une restauration effectuée depuis le négatif son là aussi original et stocké aux « Archives françaises du film ». La piste est encodée dans un DTS-HD MA 2.0 mono formidablement ciselé, clair et donc parfaitement intelligible. Rien ne vient perturber le très bon travail effectué sur l’équilibre dialogues / ambiances. On est franchement autant immergé que possible pour un film de cette période.
Il va donc sans dire que rien que pour cet écrin technique des plus aboutis l’achat de ce classique de notre cinéma est incontournable. Jusqu’à une hypothétique ressortie en Blu-ray 4K accompagné cette fois-ci de suppléments à la hauteur de ce fleuron de notre cinéma…
Spécifications techniques Blu-ray :
- Image : 1.37.1 encodée en AVC 1080/24p
- Langue(s) : Français DTS-HD MA 2.0 mono
- Sous-titre(s) : Français
- Durée : 1h34min 33s
- 1 BD-50
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080
Bonus (en HD et VOST sauf mention contraire) :
- De Niro avant De Niro, un certain Jean Gabin par Dominique Maillet (56min – 2024)