Mortelle randonnée - Image une test Blu-ray

Mortelle randonnée (1983) en Édition 2 Blu-ray chez Rimini

On pourrait porter un jugement définitif sur Mortelle randonnée. Et quand cela arrive ce n’est jamais très bon signe car cela induit bien souvent que celui-ci est loin d’être favorable au film. Et pour être honnête, c’était notre sentiment quand nous l’avions découvert en 2016 via le Blu-ray édité par TF1 vidéo. Nous nous faisions alors la réflexion que l’on était quand même assez loin des sommets himalayens que Claude Miller atteignait avec Garde à vue, son précédent film qu’il réalisait deux ans auparavant. Et puis Rimini nous a envoyé cette nouvelle édition composée de deux disques Blu-ray nous donnant envie de nous replonger dans cette histoire en apparence policière mais qui parle essentiellement de deuil. De celui d’un père envers sa fille, de celui d’un père qui ne peut vivre avec cette absence et qui va tout faire pour la combler. De celui de Michel Audiard qui venait de perdre un fils et de celui de Michel Serrault dont l’une des filles venait de mourir dans un accident de voiture. On s’est alors surpris à reconsidérer Mortelle randonnée. Non que ses nombreux défauts de rythme, de réalisation et de scénario aient disparu à nos yeux, mais avec un peu plus de bouteille on comprend plus aisément les motivations formelles et on perçoit moins difficilement les enjeux de fond. Un changement de perception bien aidé aussi par la richesse éditoriale de cette réédition qui complète à merveille ce que la version de TF1 apportait déjà sans toutefois rivaliser avec celle-ci sur le versant technique. Bien au contraire.

Mortelle randonnée

Éditeur :Rimini Editions
Sortie :03 décembre 2024  

Au cinéma le : 8 mars 1983

Résumé :  L’Œil, surnommé ainsi pour ses talents de fin limier, travaille pour l’agence de détectives de Madame Schmitt-Boulanger. Divorcé, il est hanté par le souvenir de sa fille Marie qu’il n’a plus revue depuis sa petite enfance, et cherche désespérément à savoir où elle se trouve sur la seule image qu’il possède d’elle, une photo de classe lorsqu’elle avait huit ans…

Mortelle randonnée - Affiche

Avec Mortelle randonnée Claude Miller retrouve donc Michel Serrault qu’il avait dirigé dans Garde à vue où il endossait le costume d’un notaire renommé de Cherbourg soupçonné d’être un pédocriminel. Rôle pour lequel il a obtenu son deuxième César (sur trois) du meilleur acteur. Il sera nommé aussi ici dans la même catégorie pour ce personnage de détective privé lancé à la suite d’une Isabelle Adjani qui occis à qui mieux mieux amants, amantes et pour ainsi dire, tous ceux qui veulent entraver sa course criminelle. Comme pour Garde à vue c’est Audiard père et fils qui sont au scénario/dialogue. Une adaptation ici du roman au titre éponyme (publié en 1981 chez Gallimard dans la collection « Série noire ») de Marc Behm quand pour Garde à vue c’était le roman Brainwash (À table ! publié aussi dans la collection « Série noire » chez Gallimard en 1980) de John Wainwright qui était à l’origine du film.

Mais la comparaison s’arrête là tant les deux histoires et les deux films sont de nature diamétralement opposée. Dans la forme déjà où le premier est un huis-clos étouffant quand Mortelle randonnée nous propose un tour d’Europe qui part de la Suisse, passe par l’Allemagne et l’Italie pour se terminer dans le Nord de la France des hauts fourneaux déjà fossilisés. Un film à la cartographie coûteuse qui en a fait reculer plus d’un jusqu’à ce que le projet arrive sur la table du jeune Charles Gassot qui ne s’est pas posé de questions, lui qui voulait se lancer dans la production après s’être imposé dans l’univers de la pub. Bien (mal) lui en a pris tant Mortelle randonnée s’est révélé être un gouffre financier mais dont il ne regrette rien comme il le précise dans un des bonus de cette édition. Le film a été selon lui, son passeport d’entrée dans la profession où il a enquillé par la suite un nombre incalculable de succès dont certains sont devenus des classiques. On peut ainsi citer La vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatiliez (1988) / Tatie Danielle d’encore Étienne Chatiliez (1990) / La Cité de la peur d’Alain Berbérian (1994) / Un air de famille de Cédric Klapisch (1996) / Le Goût des autres d’Agnès Jaoui (2000) / Tanguy d’une nouvelle fois Étienne Chatiliez (2001) …

Mais pour revenir à Mortelle randonnée Charles Gassot admet aussi que par manque d’expérience le tournage fut chaotique dans la coulisse entre délais non tenus obligeant par exemple l’équipe à revenir deux fois sur les mêmes lieux à plusieurs semaines d’intervalle avec les coûts supplémentaires que cela peut entraîner et les exigences formelles de Miller qui réclamait sans cesse auprès de Pierre Lhomme une photo proche des standards très clinquants de la pub de l’époque obligeant à des mises en places toujours plus chronophages alors que sur le plateau les relations étaient idylliques entre les techniciens et les acteurs. Il y a là comme une fuite perpétuelle en avant appuyée donc par la mise en scène et l’imagerie véhiculée en filigrane qui donne ce film décousu, sans véritable colonne vertébrale sinon cette relation « père-fille » entre Serrault et Adjani qui malheureusement a quand même bien du mal à nous tenir en haleine tout du long.

Pour autant, ce lien de plus en plus distendu avec le public au fur et à mesure que le film avance donne aussi à cette Mortelle randonnée tout son charme cinématographique. Avec cette photo où la saturation des couleurs rappelle le technicolor de Vertigo (1958) d’Hitchcock, avec ces cadres surannés et ces personnages d’un autre temps qui font de l’œil à des classiques hollywoodiens tels que La Comtesse aux pieds nus (1954) de Joseph L. Mankiewicz, Pandora (1951) de Albert Lewin ou plus prosaïquement à Fedora (1978) de Billy Wilder, Mortelle randonnée apparaît dès lors comme une sorte d’objet filmique ultra identifiée se jouant des codes du film noir pour aller naviguer du côté de la tragédie onirique. Ce qui donne ce deuil impossible à surmonter autrement qu’en le reportant et en le personnifiant sur une réalité qui n’est autre que la projection de ses propres désirs. Mortelle randonnée peut ainsi avoir plusieurs strates de lecture. Elles ne sont pas toutes passionnantes à décrypter, elles ne sont pas toutes cohérentes mais elles donnent in fine au film une épaisseur qui en font autre chose que cette œuvre à peine mineure qu’on lui colle au train depuis toujours jusqu’à son réalisateur qui a fini par ne plus en vouloir en parler sur la fin de sa vie.

Ce qu’il fait encore pourtant avec pas mal d’énergie et de conviction dans les deux principaux bonus datant de 2007 et 2016 présents au sein des deux Blu-ray. Précisons que sur le premier est présent le film dans version cinéma ou aussi dite longue et que sur le second on a droit à la version courte. Version remontée ainsi pour sa diffusion télé. Miller précisant d’ailleurs que c’est cette version qu’il préfère car le montage de la version cinéma n’était pour lui qu’une sorte de montage de travail qu’il a été obligé de rendre en l’état pour respecter la date de sortie du film au cinéma. Elle a cependant nos faveurs car celle-ci prend le temps d’étirer certaines situations sans que pour autant cela explicite quoi que ce soit de plus. Au contraire cette version permet au film de détricoter sa pelote à son rythme. Celui du cauchemar éveillé dont on n’a pourtant pas envi de sortir. Une sorte de cocon horrifique peuplée de fantômes qui viennent vous susurrer à l’oreille que tout ce que vous voyez, ressentez, entendez ne sont que lointain souvenir d’une vie définitivement enterrée.

Un sentiment d’ailleurs prolongé à la découverte des deux docs sus-cités. Des compléments comme on en fait plus aujourd’hui où interviennent quasi toutes les personnes qui ont comptées à la fabrication du film (à l’exception de Serrault et d’Adjani). Surtout celui de 2007 produit par Allerton films, société jumelle de Carlotta (elles ont le même gérant) qui du temps du DVD lui fournissait la plupart de ses bonus. Mais pas que puisqu’ici le document intitulé Et il entra dans la photo…  avait été réalisé pour le DVD édité par TF1 en 2007. Il réunissait Claude Miller, Jacques Audiard, Charles Gassot, Pierre Lhomme et l’auteur du livre Marc Behm. Il est ici présent sur le Blu-ray proposant le film dans sa version courte et reste juste passionnant à (re)découvrir. On peut même affirmer qu’il se suffit à lui-même. Pour autant celui produit par TF1 pour son Blu-ray édité en 2016 n’est pas en reste puisque si l’on retrouve presque 10 ans plus tard Claude Miller, Jacques Audiard, Charles Gassot et Pierre Lhomme, le doc intitulé Sacrée randonnée : l’épopée d’un film culte et présent sur le Blu-ray proposant la version cinéma fait aussi intervenir Thierry Chabert (1er assistant réalisateur), Nadine Muse (monteuse son), Luc Béraud (collaborateur et ami) et Alain Jomy (compositeur de la musique de beaucoup de films de Claude Miller dont L’Effrontée ou La Petite voleuse). À eux deux ils brossent sans jamais être vraiment redondants les coulisses d’une production peu commune pour ces années-là au sein du cinéma français.

Mais ce n’est pas tout vu que Rimini a retrouvé grâce à Jérôme Wybon une interview de Claude Miller donnée en 1983 à la chaîne belge RTBF et surtout a produit deux docs de son cru faisant intervenir pour l’un Frédéric Mercier, critique cinéma à Positif et pour l’autre Olivier Desbrosses, journaliste à Total Trax. Le premier partageant son ressenti et ses connaissances sur l’œuvre de l’écrivain Marc Behm lui permettant d’apporter quelques clés d’analyse sur le film plutôt bien vues. Le second s’intéressant plus spécifiquement à la musique de Carla Bley, une des figures du jazz étasunien d’alors, qui hante le métrage d’une manière quasi obsessionnelle. C’est Bertrand Tavernier qui lui fit découvrir sa musique. Claude Miller le raconte dans un court bonus se trouvant sur le disque proposant la version courte du film. Il raconte aussi qu’il est allé au Festival de Jazz de Juan les Pins au début des années 80 où elle était invitée pour lui demander s’il pouvait reprendre quelques-unes de ses créations musicales pour Mortelle randonnée. Ce qu’elle a accepté à la seule condition qu’elle puisse les réarranger devenant de facto celle qui a composé la musique du film. Anecdote passionnante mais qu’apparemment Olivier Desbrosses ne connaissait pas lui qui commence son intervention en affirmant que l’origine de cette collaboration reste floue. Pour un spécialiste de la chose, on a vu/connu mieux.

Même constat au demeurant sur la partie image de cette édition. Si le master utilisé et restauré 2K est le même que celui de TF1 vidéo, le rendu proposé est on ne peut plus différent. Chez TF1 on a une image magnifiquement balancée reproduisant la photo de Pierre Lhomme avec beaucoup de subtilité et d’à-propos. Sans parler du grain assez présent qui accentue une définition idyllique. Non vraiment on était en présence d’un must qui en huit ans n’a pas pris une ride. D’autant plus à la découverte de l’encodage proposé par Rimini. Adieu le grain. Place à une image lissée où les visages sont limite momifiés. L’étalonnage n’a par contre pas bougé mais la définition générale en pâti. Et c’est franchement plus que dommageable. Du côté de la version courte pas de comparaison vraiment possible vu que sur l’édition TF1 elle était proposée sur une galette DVD ce qui en soit ici est donc un upgrade plus que bienvenu. On remarquera toutefois que si celle-ci retrouve son grain d’origine, elle propose des contrastes bien plus appuyés à la limite d’obstruer quelque peu les arrière-plans lors de séquences sombres ou de nuit. On ne sait pas si c’était originellement voulu ainsi mais en tout cas c’est patent. Vous trouverez ci-dessous une comparaison qui devrait vous confirmer nos propos :

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Rien à dire par contre du côté son où la VF encodée en DTS-HD MA 2.0 mono dispose des mêmes caractéristiques déjà entendues sur le Blu-ray TF1 à savoir une très belle dynamique qui met superbement en valeur la musique de Carla Bley et un équilibre d’ensemble entre dialogues et ambiances jamais pris en défaut.

Au final, voici une édition qui a ses qualités (éditorialisation passionnante) et un défaut majeur (l’image proposée sur la version cinéma). Si vous avez l’édition Blu-ray TF1, gardez-là et inutile d’acquérir celle-ci. Si vous avez l’édition DVD TF1, sautez le pas. Si vous ne connaissez pas le film et que vous appréciez le standard numérique des images actuelles, cette édition est faite pour vous.

Spécifications techniques Blu-ray version cinéma (Rimini) :

  • Image : 1.66.1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langue(s) : Français DTS-HD MA 2.0 mono et en audiodescription
  • Sous-titre(s) : Français pour sourds et malentendants
  • Durée : 2h00min 59s
  • 1 BD-50

Bonus (en HD) :

  • Marc Behm par Frédéric Mercier, critique cinéma à Positif (32min 24s – 2024)
  • La Musique de Carla Bley par Olivier Desbrosses, journaliste à Total Trax (19min 04s – 2024)
  • Sacrée randonnée: l’épopée d’un film culte avec Anne Miller, Nathan Miller, Jacques Audiard, Charles Gassot, Pierre Lhomme, Thierry Chabert (1er assistant réalisateur), Nadine Muse (monteuse son), Luc Béraud (collaborateur et ami) et Alain Jomy (33min 04s – 2016)
  • Mortelle Randonnée, une fascination hypnotique : le regard de Philippe Le Guay (7min 12s – 2016)
  • Interview Claude Miller – Extrait de l’émission Le monde du cinéma par Sélim Sasson diffusé le 14/03/1983 sur la chaine RTBF (6min 08s)
  • Bande annonce d’époque (3min 11s)

Spécifications techniques Blu-ray version courte (Rimini) :

  • Image : 1.66.1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langue(s) : Français DTS-HD MA 2.0 mono
  • Sous-titre(s) : Aucun
  • Durée : 1h40min 08s
  • 1 BD-50

Bonus (en SD) :

  • Et il entra dans la photo…  avec Claude Miller, Jacques Audiard, Charles Gassot, Pierre Lhomme, Marc Behm (32min 13s – 2007)
  •  La Musique de Carla Bley par Claude Miller (3min 04s – 2007)

 

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *