Une femme à sa fenêtre n’est pas ce que Pierre Granier-Deferre a réalisé de mieux dans sa carrière. Il suffit juste de jeter un coup d’œil au formidable Adieu poulet qu’il commettait l’année précédente et récemment édité par Rimini dans un plus que convaincant combo Blu-ray + UHD pour confirmer ce ressenti. Cette romance tendance mélo dans la Grèce chaotique des années 30 entre Victor Lanoux et Romy Schneider avait pourtant sur le papier des qualités à faire valoir. Un casting quatre étoiles puisque, outre les deux acteurs sus cités, on peut y ajouter Philippe Noiret et des « seconds couteaux » éprouvés à commencer par Gastone Moschin qui a trainé sa sale tronche de rital mal embouché dans un nombre incalculable de (bons) films. L’adaptation du très beau roman au titre éponyme du sulfureux Pierre Drieu la Rochelle par l’écrivain communiste Jorge Semprún à qui l’on devait des chefs-d’œuvre de scénarii tels que Z (1969) et L’Aveu (1970) de Costa-Gavras. Et puis enfin la reformation du couple de cinéma Noiret – Schneider qui avait embrasé la France quelques mois auparavant avec Le Vieux fusil de Robert Enrico. À l’arrivée, s’il n’y a pas grand-chose qui marche, on a tout de même affaire à une édition Blu-ray qui tient plus que bien la route entre des bonus passionnants et une signature technique de haute volée.
Une femme à sa fenêtre
Au cinéma le : 10 novembre 1976
Résumé : Grèce, 1936. Margot Santorini, une jeune femme belle et riche, est mariée à Rico, un diplomate désargenté. Leur couple est désuni et Margot attend le grand amour. Une nuit, de sa fenêtre, elle assiste à une chasse à l’homme et accueille le fugitif dans sa chambre. Il s’agit de Michel Boutros, un militant politique hostile au pouvoir en place. Elle partage bientôt son idéalisme t connaît avec lui une grande passion. Elle parvient à le cacher avant de disparaître avec lui. En 1967, une jeune femme, la fille de Michel et de Margot, revient en Grèce sur les lieux où ses parents se sont connus et aimés…
Nous voici donc transportés dans la Grèce de 1936, année charnière pour ce pays d’où émerge le général Ioannis Metaxas qui va être nommé par le roi Georges II à la tête d’un nouveau gouvernement. Metaxas qui fait face à un pays en proie au chaos social et politique du fait de la crise économique mondiale va alors très vite copier ce qui se faisait en Allemagne et en Italie à savoir imposer un régime dictatorial d’inspiration fasciste. Il va pour cela museler toutes oppositions politiques et mouvements sociaux tandis que dans le même temps la censure de la presse se met en place. C’est dans ce contexte hautement inflammable que débute Une femme à sa fenêtre sans que pour autant le film ne se répande en développements géopolitiques. Cela n’intéresse pas Granier-Deferre comme c’est le cas dans tous ses films. La femme en question n’est autre que Romy Schneider, une grande bourgeoise fortunée qui est mariée à un diplomate d’origine aristocratique désargenté. Entre les deux, l’amour s’est envolé depuis longtemps. Son monde est celui de la haute société grecque où elle s’y abime derrière une frivolité cynique qui masque l’envie désespérée d’une existence épique et romanesque. Et celle-ci va se matérialiser un soir d’été étouffant où depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel située au rez-de-chaussée, elle croise le regard d’un homme pourchassé par la police. Cet homme, joué par Victor Lanoux, est un militant communiste recherché par le nouveau pouvoir en place. En se réfugiant dans sa chambre, l’histoire peut commencer.
Mais en fait non. Le film imaginé par Deferre débute en effet plus loin dans le temps. Quand la relation amoureuse entre les deux est déjà établie et qu’ils s’échappent d’Athènes en voiture avec la complicité de son mari qui a demandé de l’aide à son ami industriel français joué par Philippe Noiret. Un Noiret contrarié par cette idylle pourfendant les classes sociales lui qui est de plus frontalement amoureux de la belle Schneider. Nous voici alors au sein de paysages de carte postale magnifiés par la magistrale photo signée Aldo Tonti qui a travaillé avec des pointures tels que Rossellini (Europe 51 – 1952), Fellini (Les Nuits de Cabiria – 1957), Huston (Reflets dans un œil d’or – 1967) ou encore Terence Young (Cosa Nostra – 1972). Le temps pour Granier-Deferre d’installer ce faux triangle amoureux et le voilà opérant un flash-back de 15 jours avec la mise en place décrite au paragraphe précédent.
Tout ça pour faire remarquer que d’une histoire somme toute rectiligne et qui va ne ménager que peu de suspense ou soubresauts, Granier-Deferre va s’employer à artificiellement la complexifier par un montage ayant par ailleurs été récompensé d’un César (comme quoi) et une réalisation certes peu ostentatoire et certainement voulue comme telle mais in fine quelque peu alambiquée. Ce qui tend à prouver qu’il était plus que conscient de la faiblesse de son intrigue. Ajouter à cela Victor Lanoux en Don Juan communiste aux gros bras et vous aurez compris que la romance tragique prend une tournure pour le moins peu crédible. Non que l’acteur qui sortait alors du succès mérité de Cousin Cousine de Jean-Charles Tacchella et qui allait enchaîner avec son personnage de Bouly devenu culte dans Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert soit mauvais, mais disons qu’il tente de composer avec un rôle dont il n’arrive jamais à véritablement endosser le costume. À l’inverse d’une Romy Schneider qui nage elle comme un poisson dans l’eau. Elle n’a en effet aucun problème pour incarner cette femme en quête du grand amour et à se lover avec une lascive tendresse dans les (gros) bras de cet amant recherché par toutes les polices du pays (avec à sa tête son chef joué par notre Gastone Moschin incroyable de sadisme surjoué) lui donnant de fait la possibilité de vivre la grande aventure qu’elle appelait tant de ses vœux. À tel point d’ailleurs qu’elle en sera récompensée par le César de la meilleure actrice.
Quant à nous on baille un peu mais on se laisse porter par la grâce de sa prestation qui oscille entre pudeur enamouré et passion exacerbée. Oui on est sous le charme comme le sont les personnages de Lanoux et Noiret. Et puis il y a cette dernière partie assez courte. On est en 1945. La Grèce est libérée du joug nazi (Metaxas est mort en 1941 et le pays a dû subir l’invasion italo-allemande) et Noiret retrouve l’ex-mari de Schneider. Ensemble ils essayent de retracer les dernières années de sa vie laissant derrière elle une petite fille. Là intervient une rencontre avec Pierre Drieu la Rochelle joué par l’acteur Jean Martin. Cette séquence d’à peine une minute est passionnante. Sous couvert de raconter la fin du couple balayé par les soubresauts du second conflit mondial, on a là une mise en abyme de la parole même de cet écrivain qui a cru en la philosophie marxiste dans les années 20, en la collaboration avec les nazis durant l’occupation et qui s’est suicidé en mars 1945. Précisons que son livre Une femme à sa fenêtre se déroulait bien en Grèce mais en 1926 où les enjeux politiques étaient autres mais où les communistes étaient déjà persona non grata. Voilà un vertige intellectuel que l’on aurait en fait aimé retrouver tout du long, ce qui aurait certainement permis à cette histoire de gagner en profondeur sur bien des tableaux et de rendre compte du très beau texte de Drieu la Rochelle qui s’interrogeait sur le déterminisme politique et social battus en brèche par les aléas de l’Histoire. Au lieu de quoi il faudra se contenter d’un film monocorde, monochrome, quelque peu vaporeux et au final sans attache avec son spectateur.
Ce que ne sont pas les propos du cinéaste que l’on retrouve en bonus de cette édition. Enregistrés en 2005 pour la sortie du premier DVD déjà édité par StudioCanal, Pierre Granier-Deferre revient en effet sur les origines du film. Sa rencontre avec la productrice Albina du Boisrouvray (fille d’ascendance noble et mère de François-Xavier Bagnoud, le pilote de l’hélicoptère qui s’est crashé avec Daniel Balavoine lors du Paris-Dakar 1986) qui avait acquis les droits du livre de Pierre Drieu la Rochelle. Le choix de Victor Lanoux qu’on lui a imposé et le fait qu’il a failli être remplacé en cours de tournage par Gérard Depardieu à cause d’un accident survenu lors d’une prise (le saut d’une palissade pour rejoindre Schneider dans sa chambre d’hôtel) obligeant Lanoux à porter un plâtre au pied pendant plusieurs semaines. Ses relations avec Romy Schneider toujours en demande sur et en dehors du tournage et le fait que c’est à partir du moment où elle a accepté le rôle que le film a pu se monter. C’est comme toujours passionnant avec Pierre Granier-Deferre qui, comme le précise Jérôme Wybon (le responsable de cette collection « Nos Années 70 ») en guise de présentation du film, est un formidable conteur.
Victor Lanoux sur le plateau de l’émission Cinéscope
Ce qu’est aussi mais d’une manière plus abrupte, Victor Lanoux au sein de l’épatant document retrouvé par Jérôme dans les archives de la télévision belge RTBF. Nous sommes le 23 février 1978 et Victor Lanoux vient faire en Belgique la promo d’Un moment d’égarement réalisé par Claude Berri en 1977. Film qui pour la petite histoire a été remaké en 2015 par Jean-François Richet. L’entretien qui dure plus de 40 minutes permet au journaliste Sélim Sasson de retracer les débuts et la alors jeune carrière de l’acteur. C’est assez passionnant car on y apprend quelques faits de jeunesse qui sont certes connus mais qui énoncés par l’acteur lui-même deviennent précieux : caché pendant la guerre par des paysans car fils de juif tunisien (c’est là qu’on lui attribue le nom de Lanoux en lieu et place de Nataf), ouvrier spécialisé, engagé volontaire dans l’armée en tant que parachutiste en Algérie, prendra des cours par correspondance pour devenir acteur après avoir participé en tant que machino au tournage de Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy (son père connaissait le chef-machino)… La suite c’est le cabaret avec Pierre Richard pendant cinq années qui lui permettra d’accéder à une reconnaissance d’abord télévisuelle pour lui ouvrir ensuite les portes du cinéma. Sur Une femme à sa fenêtre il se souvient d’une expérience pas très agréable étant entendu qu’il a tourné la majeure partie avec une jambe dans le plâtre. Au final un vrai moment de grâce qui peut à lui tout seul justifier l’achat de ce Blu-ray.
Sans compter que celui-ci propose une image issue d’une restauration 4K effectuée par le célèbre laboratoire Immagine Ritrovata sans que pour autant nous puissions vous préciser depuis quelles sources. Certains tiqueront devant l’étalonnage ultra chaud de l’ensemble qu’ils attribueront sans aucun doute à l’ADN reconnu ou non du laboratoire. De notre côté nous avons opté pour un rendu fidèle de l’étalonnage d’origine étant entendu que l’image DVD de 2005 ne peut en aucun cas servir de mètre étalon en la matière. À l’écran cela donne une image scope (format assez rare pour l’époque dans le cinéma français comme le rappelle Jérôme Wybon) ciselée et parée d’un grain certes peu visible mais qui permet tout de même aux plans larges (touristiques) d’accentuer la déjà très belle définition. On sera plus réservé sur les gros plans de visage (par exemple) qui peuvent de temps à autre réserver une sensation de momification certes fugace mais répétitive. Dans l’ensemble on serait toutefois de bien mauvaise foi de ne pas admettre que nous sommes en face d’une image qui caressera dans le sens du cil toutes les rétines, même les plus blasées. Pour en avoir un aperçu, on vous invite à jeter les deux yeux sur notre galerie de captures un peu plus bas.
Idem côté son où l’encodage DTS-HD MA 2.0 mono n’est jamais pris au dépourvu pour rendre compte des moments intimes comme des quelques séquences d’action où le mixage d’origine permet une qualité d’immersion étonnante.
Spécifications techniques :
- Image : 2.35.1 encodée en AVC 1080/24p
- Langue(s) : Français en DTS-HD MA 2.0 mono
- Sous-titre(s) : Français pour sourds et malentendants
- Durée : 1h49min 51s
- 1 BD-50
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080
Bonus (en HD sauf mention contraire) :
- Préface de Jérôme Wybon (4min 05s – 2024)
- Interview de Pierre Granier-Deferre (19min 15s – 2005 – SD)
- Interview par Sélim Sasson de Victor Lanoux, émission « Cinéscope » (42min 52s – 23 février 1978 – SD)
- Bande-annonce (3min 44s)