Si le nom de Toshiharu Ikeda ne vous dit rien, on vous rassure, à nous non plus. Et on serait certainement passé à côté de La Vengeance de la sirène si son éditeur Carlotta ne nous avait pas sensibilisé à cette sortie. Genre en faisant appel à nos plus bas instincts de cinéphage jamais repu : « Mais comment ? Tu ne connais pas ce petit bijou made in Japan ? Un film idolâtré par Tarantino (encore un ceci dit), une histoire de vengeance au féminin avec en sous-main un message écolo pour une fois pas en toc alors que nous ne sommes même pas au mitan des années 80… ». Bon bon n’en jetez plus Monsieur Carlotta, notre curiosité est à son max. Vous vous doutez du coup que si chronique il y a, c’est pas pour dire que le film nous a laissé de marbre d’autant que celui-ci est proposé au sein d’une édition Blu-ray plus que recommandable.
La Vengeance de la sirène
Au cinéma le : 5 février 2025
Résumé : La douce et mystique Migiwa Saeki et son grand buveur de mari, Keisuke, travaillent en couple comme pêcheurs dans un petit village de bord de mer. S’opposant avec virulence à un projet immobilier des plus inquiétants et nuisibles, le bouillonnant Keisuke se fera bientôt assassiner pour son insoumission. Laissée pour morte par les tueurs, Migiwa trouve alors refuge parmi les prostituées de l’île de Wakatano, avant d’entamer une terrible vengeance…
La Vengeance de la sirène c’est donc l’histoire d’une pêcheuse d’ormeaux dit aussi le caviar de la mer, qui tente avec son mari de joindre les deux bouts. Elle plonge en apnée, lui reste sur un frêle esquif pas très loin du rivage à guetter son signal via la corde qui les relie afin de la remonter au plus vite pour ne pas qu’elle meurt noyée. C’est une vie plutôt rude avec la perspective d’un avenir peu reluisant. Alors lui s’abime dans l’alcool tous les soirs en solitaire ou au karaoké du coin avec d’autres pêcheurs. Un soir, alors qu’il écluse sur son rafiot, il est le témoin d’un sabotage. Un hors-bord déboule pour balancer une grenade sur un bateau de pêche et se casse dare dare. Le lendemain, quand il raconte cette histoire, tout le monde pense que la boisson lui a joué des tours et qu’il s’agit d’un feu accidentel. Mais il faut déjà repartir au boulot et rebelote madame plonge et monsieur se fait engueuler parce qu’il n’est pas assez rapide pour la remonter. Jusqu’au moment où elle a beau tirer sur la corde rien ne se passe. En tentant du coup de rejoindre désespérément la surface à la force des jambes et des bras, elle croise son mari qui tout en coulant l’entraine avec elle par le fond du fait de la corde qui les unit.
La mort n’est cependant pas encore au programme de son agenda et la suite, vous l’aurez certainement deviné, est une lente mais inexorable transformation de cette sirène en ange de la mort. D’autant que la police, persuadée qu’elle y est pour quelque chose dans le décès de son mari, la recherche activement. Pour lui échapper, elle se réfugie sur une petite île où les insulaires la regardent de travers et où l’ami qui lui a trouvé une planque au sein d’un bordel profite de sa détresse pour la violer. Puis vient le temps de la reconstruction où les questions trouvent des débuts de réponses personnifiées par ces yakuzas du coin qui en décidant de faire main-basse sur les terrains proches du littoral en vue de permettre la construction d’une centrale nucléaire, ne s’embarrassent d’aucune règle et surtout d’aucun témoin gênant. Le tableau ainsi planté et développé avec une certaine efficacité, reste alors à lui donner une fin. Celle-ci s’étire sur une trentaine de minutes en une succession de d’épisodes déchainées qui marquent les rétines. C’est à ce moment-là que l’on veut bien comprendre la fascination de Tarantino dont les gerbes de sang si graphiques qui caviardaient la majeure partie des combats dans Kill Bill trouvent certainement leurs échos dans celles qui éclaboussent avec force et constance la pellicule de La Vengeance de la sirène.
Toshiharu Ikeda oublie dès lors toute idée de vraisemblance, voire même de résolution de l’histoire pour donner libre cours à des séquences à la violence proche d’un esthétisme pop (on n’a pas trouvé mieux pour décrire la sauvagerie qui étreint l’écran) sans que pour autant on ne trouve ce choix jamais déplacé. Il y a là comme une volonté de nous scotcher certes sans que pour autant il y ait un adoubement de la violence. On le constate ne serait-ce qu’au visage de plus en plus déformé par la douleur (physique mais surtout psychologique) de l’héroïne (jouée par Mari Shirato dont on découvre les talents d’actrice ici). C’est bien entendu son personnage qui impulse l’arc narratif d’un film dont le propos plus qu’ambitieux lui permet de s’affranchir immédiatement du pedigree de film d’exploitation à la japonaise qui faisait alors florès.
À ce titre, La Vengeance de la sirène est certainement une sorte d’OVNI. Entre volonté d’utiliser des codes du cinéma « Pink » au service d’une réflexion sans ambiguïté sur le peu de place accordée à la femme au sein de toutes les strates de la société japonaise, sur l’importance de protéger la nature contre l’avidité des hommes… Le tout en usant d’une mise en image qui ne laisse que peu de place à l’impro avec ses mouvements d’appareil audacieux, son découpage détonnant et ses cadrages toujours bien vus et surtout justifiés, pour ne pas dire toujours au service de l’histoire par ailleurs sans temps mort. La Vengeance de la sirène est bien cette pépite que l’éditeur nous avait promis dont on espère maintenant vous avoir donné aussi l’envie de le découvrir.
D’autant que cette édition Blu-ray s’accompagne de deux suppléments qui nous permettent d’en savoir un peu plus sur le film et le contexte cinématographique japonais de l’époque. D’un côté une interview avec le scénariste Takuya Nishioka dont on vous avoue bien volontiers ne pas être familier avec son travail mais dont les propos permettent d’appréhender les coulisses du film et surtout de « The Directors Company ». Il s’agit de la société derrière le film qui n’était composée que de jeunes réalisateurs et qui en ce début des années 80 avait pour ambition de s’imposer à la façon des jeunes turcs de la Nouvelle vague en France. L’idée était de surfer sur la popularité des films « roman porno » ou « Pinku eiga » sans oublier le marché de la pub où l’argent coulait à flot pour pouvoir développer des projets plus personnels. Ce que La Vengeance de la sirène se proposait d’être et qui n’a malheureusement pas du tout rencontré son public. On y apprend aussi que le réalisateur Toshiharu Ikeda avait réalisé ce film comme si c’était son dernier considérant sa carrière de cinéaste dans l’impasse et voulant par la suite rentrer dans sa région natale pour reprendre l’activité familiale de pêche. On précisera à toutes fins utiles que ce ne fut pas le cas et que par ailleurs Scent of a Spell, son film suivant qui semble s’inscrire dans la même mouvance, vient de sortir en Blu-ray en Angleterre chez Third Window Films. À quand chez nous ?
L’autre bonus s’attache à nous décrire la carrière prolifique de Toshiyuki Honda qui a composé ici la musique du film. Il s’agit d’un nom avec lequel nous sommes plus familier vu qu’il est l’auteur de nombreuses partitions dont la plus connue est celle de Metropolis, l’animé de Rintarō. Ce bonus est conduit et narré en voix off par un certain James Balmont qui très clairement en connait un bout sur la carrière du bonhomme et le partage avec une passion très geek (photo de ses achats de vinyles devenus rares etc etc) mais ultra chaleureuse.
La bande annonce que nous avons remontée sur notre chaîne et que vous pouvez visionner ci-dessous conclue l’interactivité dont on précise qu’elle a été produite par et pour l’éditeur anglais Third Window Films dont le Blu-ray a été édité ce 17 février 2025.
Quelques mots enfin sur l’aspect technique de cette édition Blu-ray avec une image annoncée comme issue d’une restauration 2K qui n’appelle à aucune critique négative. Nous est en effet proposé un ensemble cohérent où les scènes de jour bénéficient d’un équilibre harmonieux au niveau des contrastes et de la définition générale que les scènes de nuit prolongent sans jamais fléchir. Les dialogues sont quant à eux très bien retranscris au sein d’un encodage en DTS-HD MA 1.0 mono jamais pris en défaut. Et bien entendu pas de VF vu que le film n’a pas eu les honneurs d’une sortie ciné à l’époque. Et si Carlotta a sorti le film au cinéma en février 2025, il ne s’agissait que de quelques copies censées attirer le cinéphile hard boiled. Pas de quoi justifier en tout cas le coût d’un doublage VF.
Spécifications techniques :
- Image : 1.37.1 encodée en AVC 1080/24p
- Langue(s) : Japonais en DTS-HD MA 1.0 mono
- Sous-titre(s) : Français
- Durée : 1h49min 30s
- 1 BD-50
Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080
Bonus (en HD) :
- Entretien avec Takuya Nishioka (29min 49s – VOST – 2024)
- Introduction à la musique de Toshiyuki Honda par James Balmont, spécialiste de cinéma et de pop culture asiatique (19min 39s – VOST – 2024)
- Bande-annonce originale (1min 48s – VOST)
il me semble que : « où les insulaires la regarde de travers » regarde devait s’écrire regardent, ce sont les insulaires qui regardent…
Merci c’est corrigé