L’Homme irrationnel : Woody le robot

On s’était un peu vite résigné avec Magic in the moonlight sur le cas Woody Allen. C’est que l’on pensait le réalisateur de retour sur des bons rails avec Blue Jasmine qui fut un uppercut salvateur au sein d’une filmographie d’où n’émergeait plus grand chose de notable depuis Match Point (2005) et dans une moindre mesure Whatever Works (2009). Quand on sait que le réalisateur enquille un film par an depuis des lustres, cela fait beaucoup de croix à biffer dans la case « à oublier » quand cela n’est pas « indigne de la part du cinéaste qui nous a donné Manhattan ». Pour autant, Magic in the moonlight n’était à ranger dans aucune de ces deux colonnes sans que toutefois l’on ne puisse en penser autre chose qu’une friandise sans autre ambition que de profiter du doux climat de l’arrière pays niçois. Une pré-retraite bien méritée en quelque sorte…

L'Homme irrationnel - Affiche Emma Stone

Et puis voilà L’Homme irrationnel qui remet un peu l’Église au centre du village en faisant exploser en vol nos certitudes que l’on pensait érudites. Pourtant, Woody Allen se frotte à une histoire qui rappelle dans ses thématiques et sa mise en abyme celles de Match Point où il était essentiellement question du hasard et du destin. Pourtant, la réalisation tourne de plus en plus à l’obsession clinique de la rationalité. Rien ne dépasse, tout s’imbrique (trop ?) à merveille. Point de hasard ici. On est donc à l’évidence dans du « déjà-vu » un brin condescendant. Oui mais voilà, cela marche. Et plus que jamais encore.

En cause, un sens du « storytelling » toujours aussi acéré. Autant on peut légitiment grincer des dents devant une mise en scène sans plus aucune prise de risque, autant le scénario type Lego où chaque pièce à sa finalité est d’une saveur toujours aussi surprenante. D’autant que Woody Allen reste un incomparable maestro quand il s’agit de diriger ses comédiens et de leur faire dire ses tunnels de dialogues qui plus que jamais sonnent justes. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser que cette solide architecture d’ensemble mainte fois éprouvée passe ici par sa nouvelle muse Emma Stone qui en étudiante WASP à la recherche d’une vie romanesque s’intègre parfaitement dans le moule. Elle est, comme souvent chez Woody Allen, mais bien plus que dans Magic in the Moonlight, l’élément déclencheur et le fil très rouge d’une histoire qui mènera son personnage à prendre conscience de la vacuité de son existence et des chimères qui vont avec.

En face, il y a le caméléon Joaquin Phoenix qui en prof de philo dépressif assume avec beaucoup de tact un rôle limite sur mesure. Ce qui plaît énormément aussi c’est que Woody Allen ne tombe jamais dans les poncifs d’une idylle que l’on voit bien entendu venir dès le début. Là n’est point l’essentiel pour lui. Et c’est tant mieux. Non, ce qu’il faut raconter c’est comment sortir de la dépression. Et le remède de cheval, quand on y repense, est juste hilarant et rassure quant à l’humour corrosif et noir toujours intact de l’homme qui un jour a joué le rôle d’un spermatozoïde.

Woody est certes un robot. Avec son abattage d’un film par an, on peut, on doit dorénavant s’attendre à du déchet. Mais ne plus jamais douter que l’homme derrière la caméra est irrationnel et en a encore sous la semelle. Pourvu que ça dure le plus longtemps possible…

L’Homme irrationnel de Woody Allen – 14 octobre 2015 (Mars Distribution)

Sélection Officielle Hors Compétition au Festival de Cannes 2015

RésuméLa relation tumultueuse entre un professeur de philosophie en pleine crise existentielle et sa jeune étudiante, dans une université de campagne. 

Note : 3,5/5

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