Le Conformiste - Domique Sanda

Le Conformiste : Dernier Tango en terre fasciste

Quand on (re)voit Le Conformiste, impossible de ne pas penser à Lacombe Lucien de Louis Malle. Bien que chez Bertolucci, le cadre historique de l’Italie fasciste ne soit pas l’acteur principal du film, il n’en demeure pas moins le rouage incontournable d’une histoire qui voit son personnage central s’y fondre à la recherche obsessionnelle d’une normalité qui en devient maladive. Ce que quelque part et certainement inconsciemment au début, le paysan Lacombe créé par Louis Malle tentait d’atteindre. Une forme d’intégration sociale par le haut mais au mauvais moment de l’Histoire.

Le Conformiste - Affiche 2015

Ici, Bertolucci adapte un roman de Moravia dont Godard avait déjà transposé une autre de ses œuvres une dizaine d’années plus tôt avec Le Mépris. Il faut lire Alberto Moravia, écrivain italien du XXème siècle très engagé à gauche (il sera même élu député communiste européen), pour avoir une idée de ce que pouvait être une critique acerbe de la bourgeoisie qu’il considérait comme puritaine, fasciste et déliquescente. Dans Le Mépris, c’était via le prisme du couple. Dans Le Conformiste, elle prend la forme de cette société fasciste qui engendre des monstres sous couvert de ce que Hannah Arendt qualifiait de banalité du mal.

Encore que chez Moravia et donc chez Bertolucci, elle reste motivée par une enfance perturbée par la tentative d’un viol suivie par son corollaire vengeur du meurtre. À partir de là, le jeune Marcello Clerici joué par un Trintignant glaçant et dont c’est certainement ici l’un des plus beaux rôles, ne va plus chercher qu’à se fondre dans une société aux valeurs perverties dans le but d’effacer ses traumas. Il répudie sa famille issue de cette grande bourgeoisie désargentée et putride, il va se marier avec une jolie fille représentative elle de la petite-bourgeoisie arriviste et adhérer au parti fasciste pour mieux le servir. Il rentre dès lors dans la police secrète qui voulant profiter de son voyage de noces, lui assigne pour première mission de rentrer en contact avec son ancien professeur de philosophie devenu le symbole en exil de l’antifascisme. À la différence de Moravia qui suit une logique linéaire et chronologique, Bertolucci s’essaye plutôt à un montage fait de flashbacks qui font mouches en ce sens qu’ils donnent une épaisseur encore plus dérangeante au personnage qui ne répond finalement à aucun dogmatisme sociétal sinon encore une fois celui de se fondre dans la masse.

À Paris, il renoue dès lors avec son professeur sans se cacher de ses penchants fascisants mais en tombant aussi littéralement sous le charme de sa femme jouée par une Dominique Sanda incandescente qui venait tout juste d’attirer l’attention avec Une femme douce de Robert Bresson. Quant à Bertolucci, dont c’était ici le premier film au budget d’envergure, il peaufine son style qui fait la part belle à une photo ultra stylisée et à une mise en scène très chorégraphiée. Les premières images d’un Trintignant assis sur son lit d’hôtel parisien baigné par intermittence d’une lumière rouge d’un néon extérieur l’illustrent ainsi parfaitement. Bertolucci y montre déjà toute la dualité de son anti-héros partagé entre l’amour dorénavant fou qu’il porte à Anna (Dominique Sanda donc) et l’obligation de se soumettre à l’ordre reçue de sa hiérarchie d’assassiner son mari de professeur.

Et puis pour accentuer encore les choses, Bertolucci adopte comme décors les grandes architectures dont pouvaient raffoler le régime de Mussolini. La démonstration en devient froide et implacable. Mais en apparence seulement. Autre dualité géniale de ce Conformiste qui parvient à toujours maintenir son spectateur dans un sentiment de malaise latent avec en prime ce petit goût de vomi acidulé au fond de la gorge. La séquence la plus forte en ce sens est celle du tango (déjà oui) dans une petite guinguette située sur les bords de Marne. On abandonne le marbre et le stuc pour le bois et les baies vitrées de bleu. S’y déroule une fête typique des lieux où tous les protagonistes du film sont réunis. Anna drague la femme de Marcello qui lui-même apprend qu’il faut dorénavant assassiner le professeur. On est saisi par la maestria de la mise en scène ainsi que par l’agencement de la tragédie qui se noue définitivement sous nos yeux. Du grand art.

Plus de quarante ans après sa première exploitation en France, Le Conformiste se doit d’être vu et revu ne serait-ce que pour oublier ce que Bertolucci symbolise aujourd’hui sur la fin de sa carrière. La caricature même de ce qu’il dénonçait alors dans ce qui reste un film magistrale, profondément pervers, invariablement beau et toujours aussi juste dans son propos.

PS : Le Conformiste ressort dans une version restaurée 2K dont l’étalonnage a été supervisé par son célèbre directeur de la photo Vittorio Storaro. Il est pour info disponible en Blu-ray via ce master dans plusieurs pays comme en Angleterre chez Arrow dans une édition de toute beauté. Quid de la France ?

Capture cliquable en 1920×1080 effectuée depuis le Blu-ray Arrow UK (Italien STA)

Le Conformiste - Trintignant

Le Conformiste de Bernardo Bertolucci – 4 novembre 2015 (Les Acacias / Rep. 2015). Première exploitation française le 17 février 1971

RésuméLes interrogations et les actes d’un jeune fasciste en 1935 alors qu’il est envoyé en mission en France pour supprimer un professeur de philosophie qui lutte au sein des activites antifascistes.

Note : 4/5

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