Terrore nello spazio [La Planète des vampires] (Ital.-USA-Esp. 1965) est le seul film de science-fiction signé Mario Bava mais pas le seul auquel il contribua puisqu’il avait signé la photo et les effets spéciaux du beau Caltiki le monstre immortel (Ital. 1959) de Riccardo Freda. On considère également que Bava a très probablement, sans en être crédité, co-réalisé voire même réalisé intégralement Le Danger vient de l’espace [La Morte viene dallo spazio] (Ital. 1959) de Paolo Heusch.
Une affiche 2016 à l’accroche un tantinet erronée
Dans la filmographie sélective fantastique de Bava, La Planète des vampires se situe entre Six femmes pour l’assassin (Ital. 1964) et Duel au couteau [I Coltelli del vendicatore] (Ital. 1966). La Planète des vampires fut distribué par A.I.P. aux USA et exploité là-bas sous de nombreux titres (à commencer par celui de Planet of the Vampires) mais demeura invisible en France de 1965 à 1992, longue période durant laquelle seule la photo de l’actrice Evi Marandi en couverture du Midi-Minuit Fantastique n°13 et quelques affiches, photos de production ou d’exploitation italiennes, espagnoles, américaines, purent donner une idée du film. (1)
La Planète des vampires fut l’une des sources d’inspiration (avec It ! The Terror From Beyond Space (USA 1958) de Edward L. Cahn) du Alien [Le 8ème passager] (USA 1979) de Ridley Scott : conception plastique d’une planète sur laquelle souffle un vent constant, noyée dans une pénombre à peine lunaire, sur laquelle une forme de vie parasite attend sa proie dans une sorte de vaisseau-cathédrale aux matériaux inconnus et colossaux, mais aussi par cette idée d’un équipage où, progressivement, tous doivent se méfier les uns des autres. On peut aussi, inversement puisque l’histoire du cinéma donne la possibilité d’examiner le temps dans deux directions (avant ou après le film de référence), considérer son scénario comme la préquelle de celui du Not of This Earth (USA 1956) de Roger Corman. L’A.I.P. aurait pu les présenter en un beau double-programme mais c’est avec le contemporain Die Monster Die ! / House At the End of the World [inédit au cinéma en France, titre d’exploitation en Belgique : Le Messager du diable] (USA 1965) de Daniel Haller qu’elle décida d’exploiter La Planète des vampires.
Du point de vue de la filmographie de Bava lui-même, certains éléments de décor qu’on aperçoit autour de la fusée, proviennent du magnifique Ercole all centro della terra [Hercule contre les vampires] (Ital. 1961) tourné par Bava quatre ans plus tôt. Le passage au-dessus d’une rivière de lave rouge à flanc de montagne, l’idée de montrer les créatures sortant de la terre au ralenti qui ouvrent elles-mêmes leurs cercueils, sont toutes deux réalisées d’une manière qui rappelle plastiquement certains plans de ce titre de 1961. Au cinéma, surtout au cinéma-bis italien de 1960-1970, rien ne se créé, rien ne se perd, tout se transforme ! Bava n’échappe pas à cette règle d’airain autant stylistique qu’économique mais, à la différence de nombre de ses confrères, il renouvelle une idée lorsqu’il la reprend et sait lui conférer une nouvelle originalité. Et même lorsqu’il se conforme à une tradition, il la renouvelle. Par exemple, il filme d’une manière intelligente, en les intégrant constamment au suspense, les boutons des panneaux de commande électronique du vaisseau Argos. C’est à ce genre de détails qu’on reconnaît aussi un grand cinéaste. Les trucages (notamment les miniatures sur verre combinées avec des acteurs) de Bava et ses effets spéciaux servent admirablement un scénario qui joue intelligemment de l’unité de temps, de lieu et d’action.
Dans l’histoire du cinéma de science-fiction, La Planète des vampires hérite d’un thème classique habilement inversé. On voyait déjà des créatures extraterrestres venir sur Terre prendre le contrôle de l’esprit humain dans des films aussi différents que Le Météore de la nuit [It Came From Outer Space] (USA 1953) de Jack Arnold ou que L’Invasion des profanateurs de sépulture [Invasion of the Body Snatchers] (USA 1955) de Don Siegel. Bava et le cinéaste américain Ib Melchior inversent la proposition dans leur scénario auquel Alberto Bevilacqua prêta main forte (comme il l’avait fait aussi sur Les Trois visages de la peur (Ital. 1963) de Bava) adapté d’une nouvelle italienne de Renato Pestriniero, Une nuit de 21 heures. On sait que Bava, au demeurant, supervisa constamment l’écriture de l’adaptation qui voyagea assez souvent entre l’Italie et les USA au gré des nombreuses corrections et réécritures qu’il y apporta. La fin pessimiste, à l’ironie noire, est classique dans le genre mais typique de la noirceur de l’inspiration de Bava. Ce n’est pas tant, d’ailleurs, par des créatures vampires que par la mort elle-même que cette planète est, stylistiquement comme thématiquement, habitée : le squelette monstrueux (construit par Carlo Rambaldi) en est une sorte de symbole oppressant et les panoramiques, les zooms brutaux, les travellings latéraux dévoilant des cadavres sanglants jonchant le sol métallique du vaisseau Galliot, confirment l’obsession nécrophile qui demeure le ressort obsédant de toute la filmographie fantastique du maître. Et dans le vaisseau spatial, un curieux plan révèle une machine à la plaie ouverte, saignante… à partir de laquelle la caméra révèle encore un cadavre.
La Planète des vampires est symboliquement riche, d’un point de vue philosophique comme d’un point de vue freudien. La scène la plus étonnante est celle du magnétophone enclenché inopinément, permettant d’écouter un mystérieux message délivré dans une langue à peine structurée, langue qui fut, sans doute, celle du squelette monstrueux. Et langue qui enclenche un mécanisme d’incarcération sophistiqué, pouvant à son tour entraîner la mort par asphyxie. Certains plans d’ensemble évoquent presque la peinture surréaliste de Giorgio de Chirico ou celle de Salvador Dali : ces trois curieuses stèles de métal découpées sur la brume, par exemple.
Signalons enfin, sur le plan technique, une belle musique électronique (en dépit d’un sifflement parfois désagréable employé à plusieurs reprises comme effet sonore) inspirée par celle du Planète interdite (USA 1955) de Fred McLeod Wilcox et la présence, au casting, de l’acteur américain Barry Sullivan (Quarante tueurs [Forty Guns] (USA 1957) de Samuel Fuller, SOS Jaguar : opération casseurs [Napoli violenta] (Ital. 1976) d’Umberto Lenzi) en vedette masculine, celle de l’actrice brésilienne Norma Bengell (La Plage du désir [Os Cafajestes] (Brés. 1962) de Ruy Guerra) en vedette féminine.
Note sur l’exploitation française tardive de Terrore nello spazio
(1) Il fallut donc attendre 27 ans et Canal + pour découvrir enfin chez nous, le mercredi 10 juin 1992, La Planète des vampires. Sa VF (qui modifie à plusieurs reprises les dialogues italiens : au lieu, par exemple, de « l’un de nous doit monter la garde pendant que les autres dorment », elle fait dire « j’exige que vous soyez tous vigilants », ce qui n’est pas tout à fait la même chose) fabriquée à l’occasion de cette télédiffusion, date donc de 1992. Le titre fut télédiffusé à trois reprises par l’émission « Cinéma de quartier » présentée par Jean-Pierre Dionnet qui avait débuté sa programmation de cinéma-bis en 1989. La Planète des vampires fut édité en vidéo en 2001 dans la collection homonyme DVD chez StudioCanal. Entre 1992 (diffusion TV) et 2001 (sortie DVD), plus précisément entre 1992 et 1995, La Planète des vampires sortit également en VHS Secam éditée par Polygram, puis par Initial Vidéo sous le titre de Space Mutants. La jaquette Initial Vidéo était illustrée au recto par une image hideuse du film Creepozoïd (USA 1987) mais son verso mentionnait le générique exact et le résumé fidèle du scénario du film de Bava.
La récente réédition vidéo française de La Planète des vampires en 2014 par Artus Films est, encore, en DVD mais un DVD fabriqué à partir d’un master HD à l’image somptueuse, obtenue d’après une copie chimique elle-même parfaitement restaurée, assortie de suppléments remarquables par la présence de nombreux documents d’histoire du cinéma. Elle constitue une nouvelle étape de la vie du film en France, lui restituant plus exactement sa valeur esthétique, filmographique et historique.
Cette sortie en salle précédée d’une présentation à Cannes Classics en juin dernier provient d’une nouvelle restauration 4K à partir du négatif original 35mm Eastman Kodak Color par Italian International Film. L’étalonnage a été corrigé par comparaison avec la colorimétrie d’un positif 35 mm prêté par Cineteca Nazionale sous la supervision de son fils Lamberto Bava qui était sur ce film assistant-réalisateur. Le scan, la restauration numérique et le Digital Intermediate 4K sur pellicule positive 35 mm polyester Kodak et le tirage des copies 35 mm ont été effectués par Fotocinema Rome en 2015. On attend à présent une édition Blu-ray prévue pour la fin d’année chez la Rabbia obligeant d’ailleurs Artus films à interrompre la commercialisation de son DVD ayant eu la mauvaise surprise d’apprendre qu’il avait acheté les droits du film auprès des mauvaises personnes.
La Planète des vampires (1965) de Mario Bava – 1h28 (The Jokers / La Rabbia) – 6 juillet 2016
Résumé : Des astronautes du vaisseau spatial Argos reçoivent des appels de détresse émanant du vaisseau Galliot, venu lui-même étudier d’étranges signaux émis par la planète Aura. Ils découvrent un monde hostile et ténébreux, leurs camarades tous morts – mais le sont-ils vraiment tous ? – y compris le propre frère du commandant. La planète Aura est, en réalité, habitée par une race monstrueuse mais intelligente et dominatrice, capable de prendre le contrôle de l’esprit humain durant son sommeil. Une course contre la montre s’engage alors entre elle et l’équipage de l’Argos, dont l’enjeu est rien moins que la domination de la Terre.
Note : 4/5