Pour ceux qui s’en souviennent, David Mackenzie a commencé à réellement faire parler de lui en 2009 avec Toy Boy où Ashton Kutcher jouait le rôle d’un gigolo qui tombait amoureux d’une serveuse au même pedigree social que lui. De cette comédie romantique un tantinet grinçante, le réalisateur britannique se fait ensuite une nouvelle fois remarquer avec Perfect Sense, sorte de fable SF intrigante à tendance là encore romantique (Ewan McGregor et Eva Green à l’affiche) où il est question d’un monde dont l’humanité perd peu à peu ses cinq sens. Mais c’est surtout avec Les Poings contre les murs, film de prison d’une sécheresse et dureté incroyable avec en prime la révélation Jack O’Connell, qui va définitivement installer son nom sur l’appli GPS Cinéma. C’est d’ailleurs en découvrant ce film que les producteurs de Comancheria ont eu l’idée de lui en proposer la réalisation.
Pour autant, Comancheria ne ressemble en rien aux Poings contre les murs même si à l’évidence on peut y trouver des thématiques communes comme la famille, la loyauté et la virilité. Il y a aussi cette volonté de ne jamais tomber dans une certaine forme de manichéisme. Un sentiment qui passe encore une fois par des personnages toujours en mutation et dont le maître mot ici sera de franchir la ligne rouge de la légalité pour des raisons légitimes. Ils sont quatre. 2 + 2. D’un côté les deux braqueurs de banque, de l’autre deux Rangers à leur basque avec comme décor le Texas des années 2010 où même les banques ferment.
Le film respire au demeurant ainsi, en passant d’un binôme à l’autre avec une métronomie infaillible mais sans jamais tomber dans une routine forcément ennuyeuse. La « faute » à une mise en scène qui se renouvelle au détour de chaque plan. Ne serait-ce que dans l’approche de chacun des braquages. Le premier use du plan-séquence, le deuxième d’axes caméras classiques mais à l’efficacité éprouvée, le troisième celui d’un montage languissant pour un suspense de malade. Que dire aussi du duo de Rangers Jeff Bridges dont c’est la dernière enquête avant la quille et Gil Birmingham au sang mêlé moitié comanche, moitié mexicain ? Leurs dialogues fleuris où les vannes et autres saillies racistes sont monnaies courantes sont un régal des yeux et des esgourdes. Mackenzie usant alors de plans simples aux cadrages classiques mais d’où ressort une science du timing imparable.
Pour Chris Pine et Ben Foster, la signature visuelle est plus âpre et encore plus virile. Elle est au demeurant à la limite paroxystique quand il s’agit de traduire la folie de vie et surtout de mort du personnage interprété avec gourmandise par Ben Foster. Les deux frères sont traités à l’écran le plus souvent au sein du même plan. Mais à chaque fois que Ben Foster est seul, l’histoire avance à très grandes enjambées comme s’il n’y avait que lui à pouvoir insuffler au film ces rares moments où la métronomie évoquée plus haut se détraque et se transforme en furieuse tachycardie. Au demeurant, tous sont dépeints selon une dichotomie empathie / révulsion (et vice versa) qui en font des protagonistes au manichéisme totalement absent forçant sans cesse le spectateur à ne jamais s’installer dans une hypothétique zone de confort.
Et puis il y a ces grands espaces de l’ouest du Texas (le film a été en fait tourné au Nouveau Mexique voisin) où sous un ciel plombé de soleil se côtoient pauvreté, criminalité, banques, exploitations pétrolières florissantes, ranchs laminés par la crise… Un spectacle de western de fin du monde où on devine les clins d’œil cinématographiques de classiques comme The Last Pictures Show (le premier braquage se passe à Archer City, lieu de tournage du film de Bogdanovitch). On pense aussi à la sécheresse compulsive d’un John Huston et son Fat City avec déjà Jeff Bridges ou encore à l’onirisme désenchanté d’un Hal Hasby. Des cinéastes qui ont forgés ou traversés ce que l’on appelle aujourd’hui le Nouvel Hollywood et dont Mackenzie l’européen, bien aidé par Taylor Sheridan, le scénariste de Sicario, s’inspire pour donner sa version de l’Ouest américain entre naturalisme forcené et fantasme inhérent pour celui qui n’est pas un « native ».
La photo accentue d’ailleurs ce sentiment mutant en usant d’abord d’un scope très « fordien » où le ressenti de la chaleur écrasante est prégnante mais filmé depuis des caméras numériques HD donnant à l’image un réalisme très éloigné des canons westerniens auxquels le film se réclame en même temps que le thriller, la comédie et le road movie. David Mackenzie est ainsi à la frontière des genres et des codes ad hoc sans pour autant les violenter. C’est peut-être le seul reproche que l’on pourrait faire à ce Macadam Cowboy des années 2010. Et encore, en les caressant ainsi dans le sens du poil, ne met-il point ainsi à nu un monde et un mode de vie qui, après l’extermination des amérindiens, s’éteignent à leur tour inexorablement ? Tel un juste retour des choses ?
Comancheria de David Mackenzie – 1h42 (Wild Bunch) – 7 septembre 2016
Résumé : Après la mort de leur mère, deux frères organisent une série de braquages, visant uniquement les agences d’une même banque. Ils n’ont que quelques jours pour éviter la saisie de leur propriété familiale, et comptent rembourser la banque avec son propre argent. À leurs trousses, un ranger bientôt à la retraite et son adjoint, bien décidés à les arrêter.
Note : 3,5/5