Monument du cinéma mondial couronné par onze oscars dont celui de meilleur film, meilleure mise en scène, meilleure interprétation masculine pour Charlton Heston, Ben-Hur n’en finit pas, génération après génération, de susciter étonnement et admiration. C’est que ce film d’aventure, comme semble vouloir le « ranger » Patrick Brion dans son livre du même nom, est tout bonnement inclassable tant la multiplicité des thèmes et des genres qu’il aborde, s’il pourrait relever ailleurs d’un foisonnement suicidaire, en fait ici une œuvre cinématographique véritablement unique et passionnante. L’autre facteur qui contribue à faire de Ben-Hur un spectacle hors norme est ce simple constat : chaque nouvelle vision n’entrave jamais un plaisir qui non content de demeurer intact se double d’une bonification temporelle indéniable.
Un sentiment et une conviction qui trouvent paradoxalement leur source au sein même des nombreux écueils inhérents à une telle production « titanesque ». À commencer par le nombre sidérant d’assistants réalisateurs et responsables deuxièmes équipes (dont Sergio Leone ou encore Richard Thorpe responsable des scènes maritimes) venus épauler efficacement un William Wyler peu réputé pour ses prises de risque en matière de mise en scène. De fait, la fameuse séquence de la course de chars fut entièrement préparée, filmée, dirigée et montée par Andrew Marton (co-réalisateur des Mines du roi Salomon et responsable deuxième équipe ou assistant réalisateur d’une flopée de « grands » films tel que Cléopâtre, Les 55 jours de Pékin, La Chute de l’empire romain ). Point d’orgue du film, elle se pare encore aujourd’hui d’une audace et d’une énergie communicative qui en font ce climax étourdissant rarement égalé depuis au cinéma.
L’autre réussite tient tout aussi paradoxalement à la déficience du montage qui alterne maladroitement scènes fortes et scènes dialoguées souvent marquées du sceau de la platitude : le « meilleur » étant le manque évident de crédibilité dans l’histoire d’amour entre Judah Ben-Hur (Charlton Heston) et Esther (Haya Harareet) qui met incidemment en valeur la relation homosexuelle entre ce même Ben-Hur et Messala (Stephen Boyd). On sait en effet maintenant que pour la scène des retrouvailles entre Messala et Ben-Hur, Gore Vidal (un des scénaristes qui suivit une partie du tournage) souffla à l’oreille de Stephen Boyd (après accord sur le bout des lèvres de Wyler) que celle-ci devait plus s’apparenter à une joute amoureuse qu’à un affrontement politique : « La séquence fonctionne très bien parce que Boyd regarde Heston comme quelqu’un d’affamé devant un plat. Et Heston qui était aussi stupide dans son jeu de comédien que dans ses prises de position politiques, n’est pas conscient de la passion de l’autre ». (1)
Ben-Hur foisonne ainsi d’exemples montrant que si le plan de travail initial avait été respecté à la lettre, celui-ci n’aurait pas eu l’impact transgénérationnel et atemporel qu’il a aujourd’hui. C’est donc bien d’un miracle dont il s’agit ici, un peu comme si le film avait bénéficié de l’aura de son histoire dont le fil rouge et « l’intrigue secondaire » ne sont autre que la vie de Jésus (sa naissance, sa reconnaissance en tant que tel, sa crucifixion et sa résurrection) qui interagira à plusieurs moments clés avec celle de Judas Ben-Hur (admirez le patronyme) jusqu’au fameux miracle final. Film biblique, péplum, film d’action et d’aventures, film gay, Ben-Hur est donc un peu tout cela à la fois : une sorte de malentendu initial que la diversité de lectures possibles voulue ou non en fait ce spectacle tout à fait jouissif qui perdure pour notre plus grand plaisir.
(1) In Le cinéma d’aventure de Patrick Brion (Éditions de la Martinière) qui le reprend de Une soirée avec Gore Vidal de Michel Ciment et Lorenzo Codelli (Positif).
Ben-Hur (1959) de William Wyler – 3h42 (MGM) – 7 octobre 1960
Résumé : Judas Ben-Hur, prince de Judée, retrouve son ami d’enfance Messala, venu prendre la tête de la garnison de Jérusalem. Mais leur amitié ne peut résister à leurs caractères différents.
Alors qu’une pierre tombe du balcon de la maison familiale de Ben-Hur, manquant de tuer le gouverneur qui paradait plus bas, Messala trahit son ami qu’il sait innocent en l’envoyant aux galères et en jetant en prison sa mère et sa sœur. Ben-Hur jure alors de reconquérir sa liberté et prépare sa vengeance.
Note : 4,5/5