Grave - Image une critique

Grave (de chez grave)

V’la donc un film qui arrive avec ses gros sabots depuis sa première projection cannoise où il fit sensation et ses spectateurs évanouis lors d’une séance de Minuit au Festival de Toronto en septembre 2016. Une assertion largement diffusée faut-il le rappeler, par le responsable du marketing du film sur place. De là à questionner tout ce buzz savamment orchestré à chaque nouvelle apparition du film (Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, Sitges, Le PIFFF, Gérardmer), il y a un pas que nous franchirons mais qu’à moitié. Car pour le coup, Grave est fidèle à la réputation qu’on a bien voulue lui octroyer mais certainement au grand dam de sa réalisatrice dont c’est ici le premier long. Mais quel long putain ! (oui des fois être grossier permet d’expectorer le véritable malaise ressenti à la vision de ce film totalement à part dans le paysage cinématographique français).

Grave - Affiche

Julia Ducournau, c’est le nom de la réal, le clame en effet haut et fort à qui veut l’entendre. Grave ne doit pas être rangé dans le film de genre. Elle en revendique d’ailleurs le caractère protéiforme. Et on serait bien mal avisé de la contredire tant Grave est en effet à prendre avec des pincettes. Et franchement, tant mieux. En France, on est jamais aussi fort que quand on prend des chemins de traverses. On se dit alors que la meilleure des façons pour rendre hommage à Grave c’est de faire référence à Franju et à ses Yeux sans visage. Film considéré comme fantastique mais qui va bien au-delà de cette case repoussoir pour les uns, adulée pour d’autres. Pour reprendre un terme marketing, Grave est un film transversal ou mieux transgenre qui devrait, comme chez Franju, marquer durablement le cinéma français.

Ne serait-ce que par la rareté de ce qu’il propose. On est très clairement ici dans quelque chose de très peu voire jamais vu chez nous avec de surcroît un traitement pour le moins radical tant dans la photo (image glauque, lumière frontale) que dans la mise en scène qui ne se dérobe jamais sans pour autant placer le spectateur dans une forme de voyeurisme forcément malsain. Pour autant, le malaise est plus que prégnant et s’invite dès les premières images quand on assiste à un accident de voiture sur une départementale déserte apparemment provoqué par le passage intempestif d’un piéton venu de nulle part. Un plan plus loin, on découvre de dos la voiture fracassée sur un platane, son conducteur et son passager ensanglantés et inconscients (à l’article de la mort ?). Précisons ici que le ou la piéton(ne) s’est entre-temps relevé(e) sans une égratignure tout en se dirigeant vers la voiture. Cut.

Grave raconte l’histoire d’une ado de 16 ans surdouée (la découverte Garance Marillier qui suit la réalisatrice depuis Junior, un court-métrage traitant lui aussi de la métamorphose physique) qui intègre une école vétérinaire. Là, forcément, il faut en passer par la case bizutage et ses quelques excès qui peuvent révéler une personnalité. Ou plus. C’est un peu la trame alibi de Grave car ce qui intéresse en fait Julia Ducournau c’est tout le process de transformation à la fois physique et psychologique de son héroïne. Elle s’appuie pour cela sur l’environnement animalier qui n’est pas anodin et rappelle encore une nouvelle fois Franju et son formidable court-métrage Le Sang des bêtes. Le miroir sur l’humain est bien entendu évident mais pas prépondérant. Il sert en fait de défouloir visuel permettant de montrer des choses qui ne passeraient pas sinon (encore que même là c’est parfois magnifiquement choquant) ou qui ferait sortir définitivement le spectateur du film.

Car la formidable qualité de Grave c’est de tenir en haleine tout du long avec toutes les 15 minutes un climax qui foudroie le spectateur l’enfonçant encore un peu plus dans son fauteuil de moins en moins confortable. Grave c’est ça quelque part, nous astreindre à sortir de notre zone de confort sans que pour autant à l’écran cela soit un déferlement de gore ou d’images insoutenables. Julia Ducournau distille, ventile et éparpille façon puzzle nos certitudes de cinéma sans jamais prendre la peine de vouloir reconstruire quoi que ce soit. Non qu’elle nous emmène sur une voie de garage, disons plutôt qu’elle nous enferme dans sa démonstration qui ne souffre d’aucun échappatoire. On peut s’y sentir à l’étroit ou même étouffer, nous on y voit un souffle frais, une promesse à elle toute seule d’un cinéma qui ose, qui bouffe à pleine dent ses maigres références pour mieux les régurgiter avec fureur, originalité et un appétit féroce qui force le respect car expérimentant des territoires tout simplement inédits.

Grave (2016) de Julia Ducournau – 1h38 (Wild Bunch) – 15 mars 2017

Résumé : Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur aînée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.

Note : 4/5

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