Pentagon Papers - Image une critique

Pentagon Papers : The Front Page

On appelle ça un retour aux affaires. Et par la grande porte s’il vous plaît. Mais ne nous méprenons pas pour autant. Steven Spielberg n’avait jamais véritablement tiré sa révérence. Il est cependant vrai qu’après la vison du gloubi-boulga BCG ou de l’amistadien Cheval de guerre, certes entrecoupés d’un maîtrisé mais ascétique Lincoln ou d’un convaincant mais sans souffle Pont des espions, on pouvait s’interroger quant à la capacité du papa de Duel à se lancer des défis suffisamment forts pour accoucher de films à la hauteur de son talent. Car l’homme reste à n’en pas douter un bourreau de travail à la motivation intacte. Des denrées plutôt rares quand tout un chacun aspire à prendre une retraite bien méritée. D’autant plus quand on est un cinéaste emblématique comme Spielberg qui franchement n’a plus rien à démontrer à qui que ce soit depuis des plombes. À l’exception peut-être du spectateur qu’il a toujours mis sur un piédestal pour ne pas dire au centre de tous ses films. Pentagon Papers ne change pas cette donnée fondamentale à la précision toutefois que le père fondateur du cinéma moderne étasunien semble se sentir enfin d’attaque à poser un regard aiguisé sur une décennie, celle qui l’a vu naître professionnellement parlant, dont les soubresauts sociétaux et politiques se font plus que jamais sentir aujourd’hui.

Pentagon Papers - Affiche

« Les papiers du Pentagone » est devenu avec le temps une expression populaire. De celle qui indique que l’on a affaire à une entourloupe d’État. À l’origine ce sont des documents « Secret Défense » à propos de l’implication politique et militaire des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam exfiltrés par des lanceurs d’alerte et publiés au début des années 70 par le NY Times puis le Washington Post. Le film de Spielberg narre ce moment crucial où la rédaction du Post se procure une bonne partie des 7 000 pages sachant qu’en les publiant elle peut se retrouver sous les feux de l’administration Nixon qui n’hésitera pas à les traîner en justice avec prison à la clef et fermeture du journal pour divulgation d’informations pouvant mettre à mal la sécurité du pays.

À la tête du Post d’alors, il y a Katharine Graham. Une femme arrivée là parce que son mari s’est suicidé quelques années plus tôt. Une femme entourée uniquement d’hommes qui l’a élu à ce poste car elle devait assurer la transition en attendant que son fils puisse en reprendre les rênes. Elle est jouée par une Meryl Streep dont on imagine sans mal ce qui l’a motivé à embrasser ce personnage devenu emblématique dans l’histoire des institutions de son pays. Spielberg n’en fait pas pour autant une icône féministe et son film n’a pas cette connotation non plus. L’homme et le cinéaste sont bien plus subtiles. Mais en se reposant l’un sur l’autre, ces deux monstres hollywoodiens dressent avec pudeur et finesse le portrait d’une personne qui peu à peu s’impose dans un monde de requins envoyant des signaux clairs quant à la position encore précaire de la femme dans nos sociétés actuelles. À l’heure du #BalanceTonPorc cela prend d’ailleurs une résonance encore plus forte bien que certainement involontaire.

L’autre clignotant rouge vif envoyé par Spielberg est cette fameuse liberté de la presse dont l’Amérique se fait, à juste titre, le chantre bien adossé derrière le fameux Premier amendement. Une « protection » érigée aujourd’hui en un dogme qui si elle aura permis de par le passé la destitution d’un Président, semble être de plus en plus mise à mal ces derniers temps. Pour autant Spielberg est là encore plus que fin car il n’oppose jamais les deux époques. En tout cas pas d’une manière binaire ou frontale. Si aujourd’hui l’indépendance de la presse est au centre de bien des débats (légitimes) à commencer de par chez nous où les accointances avec les « puissants » ne sont plus à démontrer et ce sans tomber dans la psychose de la théorie du complot permanent, Spielberg prend bien le soin de montrer dans Pentagon Papers que si Katharine Graham a pris la bonne décision, elle ne l’a pas fait sans mal. Elle qui recevait dans sa vaste demeure parmi tant d’autres convives de marque un certain Robert McNamara, ami de la famille de longue date, alors en poste au titre de secrétaire à la Défense et commanditaire des « Pentagon papers ».

Le réalisateur ne se cache pas non plus derrière son petit doigt de Démocrate post barackobamabien quand il montre avec une certaine fermeté que le rédacteur en chef Benjamin Bradlee (recruté par Katharine Graham) interprété par le toujours aussi impeccable Tom Hanks, entretenait des relations indéfectibles d’amitié avec J.F. Kennedy himself. À tel point d’ailleurs que le film ne lève pas tous les doutes quant à ses motivations premières qui finiront avec le scandale du Watergate par faire tomber l’administration Nixon qui était d’obédience Républicaine faut-il le rappeler. Et ce même si Spielberg, via une scène bien sentie, n’oblitère pas la responsabilité de Kennedy dans l’engrenage vietnamien. Au final, l’homme derrière la caméra semble éviter pas mal d’écueils sans pour autant délivrer une « prestation » mièvre ou bien pensante.

Son Pentagon Papers n’a peut-être pas la niaque d’un, au hasard, Les Hommes du président qui avait pour lui la fougue de l’Histoire immédiate et celui d’un Nouvel Hollywood qui ne portait pas encore son titre, mais le classicisme emprunt de maestria de sa réalisation (on pense à la formidable séquence de la conversation téléphonique à quatre) associé à une direction d’acteurs où les seconds rôles ne sont absolument pas oubliés, finissent de porter le film en des cimes insoupçonnables d’assurance quant à la démonstration assénée. D’autant que, cerise sur le gâteau, l’émotion affleure sans cesse avec une dernière bobine étouffante à souhait nous rappelant si besoin était que Spielberg est plus que jamais le dernier des géants.

Pentagon Papers (2017) de Steven Spielberg – 1h55 (Universal Pictures International France) – 24 janvier 2018

Résumé : Première femme directrice de la publication d’un grand journal américain, le Washington Post, Katharine Graham s’associe à son rédacteur en chef Ben Bradlee pour dévoiler un scandale d’État monumental et combler son retard par rapport au New York Times qui mène ses propres investigations. Ces révélations concernent les manœuvres de quatre présidents américains, sur une trentaine d’années, destinées à étouffer des affaires très sensibles… Au péril de leur carrière et de leur liberté, Katharine et Ben vont devoir surmonter tout ce qui les sépare pour révéler au grand jour des secrets longtemps enfouis…

Note : 4/5

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