The Intruder - Image une Critique

The Intruder (1961) : BlacKkKlansman

The Intruder de Roger Corman est un titre unique dans sa filmographie à plus d’un titre. Précisons d’abord qu’il date de 1961 et non pas de 1962, contrairement à certaines mentions qu’on trouve encore sur Internet ou dans diverses filmographies. C’est celui dont Corman demeure le plus fier mais le seul qui perdit de l’argent – si on l’en croit – dans sa prolifique carrière de producteur-réalisateur. Tourné entre Pit and the Pendulum [La Chambre des tortures] (USA 1961) et Premature Burial [L’Enterré vivant] (USA 1962), il ne fut pas distribué commercialement chez nous. Dans la mesure où il était signé Corman, ce film noir était davantage connu, entre 1960 et 1970, des spécialistes du cinéma fantastique que des critiques français généralistes. En 1965 par exemple, Georges Sadoul savait que Corman avait adapté des contes d’Edgar Poe mais il ignorait jusqu’à l’existence de The Intruder qui l’aurait pourtant enthousiasmé.

The Intruder - Affiche

C’est Henri Langlois qui le révéla en France à la Cinémathèque française. Il fut par la suite reprogrammé à l’Escurial le 24 août 1986 puis assez régulièrement à la Cinémathèque, notamment vers 1990 au cours d’une mémorable « Nuit Roger Corman » en sa présence. En vidéo, il fut édité chez nous recadré plein cadre 1.37 par Bach films alors que c’est un écran large d’origine. Sur Youtube, la seule copie intégrale visible actuellement est anamorphosée en VO sans sous-titres français. Autant dire que pour l’instant, la projection cinéma demeure donc l’unique moyen de le découvrir dans une version de surcroît restaurée. Il faut toutefois souhaiter que Carlotta l’édite un jour en Blu-ray.

Produit et réalisé par Roger Corman (son frère Gene Corman était simplement producteur exécutif), il fut tourné au Missouri dans des conditions dangereuses car sur des lieux qui avaient été témoins de faits similaires voire même pires que ceux imaginés par le scénario de Charles Beaumont. Ce dernier adapta son propre roman et tint aussi, à l’écran, le rôle du proviseur de l’école. Ce fut un échec financier dont Corman avait, à un moment, injustement rendu responsable l’acteur William Shatner bien que son interprétation fût admirable d’un bout à l’autre : c’est même un de ses rôles les plus étonnants dans une filmographie pourtant riche. The Intruder ressortit ensuite sous divers titres alternatifs dans l’espoir de le rentabiliser, notamment sous celui de I Hate your Guts et sous celui de Shame qui était à l’origine le titre d’exploitation américain traduisant littéralement celui du Skammen [La Honte] (Suède 1968) d’Ingmar Bergman… dont Corman avait acheté les droits pour les U.S.A. !

Ce n’est certes nullement le premier titre, dans l’histoire du cinéma, à avoir évoqué le Ku-Klux-Klan qui était déjà le sujet du Naissance d’une nation (USA 1915) de D.W. Griffith et déjà celui de ce classique du film noir qu’est Storm Warning (USA 1951) de Stuart Heisler avec Ronald Reagan et Ginger Rogers. Mais The Intruder est doté d’une progression dramatique à l’intelligence particulière dans la mesure où, une fois la première demi-heure écoulée et les motivations de Cramer clairement établies, le « suspense » rebondit vers un approfondissement assez psychanalytique du personnage d’une part, vers une amplitude grandissante de peur panique à mesure que la haine et la violence augmentent leurs ravages collectifs d’heures en heures. Encore aujourd’hui, son générique d’ouverture demeure un modèle d’instauration filmique : la neutralité des images (l’arrivée de Cramer en autobus dans une petite ville) y dialogue avec une musique paroxystique, l’ensemble formant un alliage impressionnant.

Remarquable interprétation (notamment pour les actrices Jeanne Cooper et Beverly Lundsford ainsi que pour les acteurs Frank Maxwell, Robert Emhardt, Leo Gordon, Charles Barnes), mise en scène n’hésitant pas à mélanger des effets classiques (fondu, superposition d’images) avec d’autres plus novateurs pour l’époque (caméra portée à l’épaule et mobile, mouvements brefs et nerveux), photographie N&B contrastée flirtant plus d’une fois avec l’esthétique du cinéma fantastique (Shatner lui-même est expressionniste, authentiquement « démoniaque » au sens que donnait Lotte H. Eisner à ce terme et pas seulement « efficace » au sens vériste de l’Actor’s studio, ce qu’il est, bien entendu, aussi), musique régulièrement impressionnante. The Intruder est, au total, vraiment l’un des titres les plus inquiétants jamais tournés par Corman. Il l’a filmé pendant son âge d’or fantastique de 1960-1965, en toute liberté, à l’époque même où se déroulèrent les événements relatés trente ans plus tard mais dans un style tout différent par le Mississippi Burning (USA 1988) d’Alan Parker.

The Intruder (1961) de Roger Corman – 1h24 (Carlotta Films) – Sortie France le 15 août 2018

Résumé : USA 1961, un inconnu nommé Adam Cramer arrive de Washington dans une petite ville du Sud dont les écoles vont s’ouvrir aux élèves noirs le lundi suivant. Cramer est un fanatique appartenant à la « Patrick Henry Society », une organisation raciste  décidée à maintenir, coûte que coûte et avec l’appui du Ku-Klux-Klan local, la ségrégation.

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