Birdman va peut-être sortir ce mercredi auréolé d’une foultitude d’Oscars glanés dimanche 22 février lors de la cérémonie ad hoc (1). C’est dire si la branche française de la Fox croit dur comme fer au dernier né signé Alejandro González Iñárritu. Au-delà, il faut dire que depuis la découverte des premières images de sa bande-annonce puis de sa présentation en ouverture du dernier festival de Venise le 27 août 2014, Birdman a littéralement intrigué, passionné et créée une très forte attente. Ce qui peut expliquer la déception à sa vision. Mais pas seulement.
Birdman n’est certainement pas un mauvais film. Le projet en lui-même est si à part et en tel décalage avec la proposition de cinéma mainstream ou non actuelle que l’on ne peut qu’être redevable à Iñárritu de s’être battu pour le mener jusqu’au bout et certainement sans une once de concessions. Car il s’agit bien là d’un cinéma jusqu’au-boutiste au moins dans sa forme. Et quelque part c’est aussi là que le bât blesse. Le cinéaste mexicain a en effet mis en place tout un dispositif dont le point d’orgue est un vrai-faux plan séquence de 2h qui use et abuse des loges, couloirs et la scène d’un théâtre de Broadway. Ses alentours aussi via une séquence d’anthologie où Michael Keaton se balade en slip blanc harcelé par les flashs de smartphones touristiques. C’est prenant, à la limite de l’hypnose éveillé et de la gageure visuelle de tous les instants.
Cinq minutes plus tard c’est déjà gavant et surtout implacable. On y est, on y reste. Le point de vue est dirigiste. Le spectateur n’est pas pris par la main, il est littéralement pris en main pour un lavage de cerveau en bonne et due forme. Malheur à celui qui veut résister. La photo agresse, la bande originale itou. Celle-ci sans l’image est juste extraordinaire. Elle est signée par le Mexicain Antonio Sanchez, l’un des meilleurs batteurs du monde. Mais dans l’absolu pourquoi pas. On serait de mauvaise foi si on affirmait que l’on ne s’y attendait pas. Alejandro González Iñárritu est loin d’être un manche. Son précédent film Biutiful était quelque part de la même trempe. Une plastique à tomber à la renverse au service d’une histoire pour le moins étouffée pour ne pas dire maltraitée.
On pointera ici la présence au scénario (avec Iñárritu) de Nicolás Giacobone. Il était aussi à l’origine du script de Biutiful. La précision a son importance car il semble qu’avec ce co-scénariste, Iñárritu ait un peu perdu de cette faculté à surprendre son auditoire dans le bon sens du terme. Certes, Amours chiennes, 21 Grammes et Babel pouvaient agacer par leur côté film choral trop bien ficelé. Mais au moins la mise en scène déjà brillante se mettait au service de ses sujets et de ses personnages leur conférant une sorte de tempo jamais hiératique à la limite bordélique. Vivant quoi. Birdman est à l’opposé. Le pouls est ici métronomique, calculé selon un algorithme ennuyeux et ouaté. La forme en devient donc vaine tout en asservissant une histoire galvaudée.
Il est en effet question dans Birdman du processus de création, ici une pièce de théâtre, de la gloire éphémère et de la remise en cause qui va avec. Michael Keaton joue tout cela. Ancienne star hollywoodienne ayant incarné un personnage récurrent de super héros, le voici bien des années plus tard tentant un come-back sur et derrière les planches. La mise en abîme Keaton-Batman-Burton est bien entendu évidente mais ne tient malheureusement pas la route du fait même de la mise en scène mécanique, stroboscopique et priapique qui enterre jusqu’à l’idée même d’interprétation. Keaton comme Edward Norton qui lui donne la réplique, ont en effet beaucoup de mal à se dépatouiller avec cette caméra qui redéfinit sans cesse l’espace et le temps. En d’autres lieux et récits, l’alchimie prendrait peut-être. Avec Birdman, elle reste à l’entrée du théâtre, parfois dans les loges, mais jamais sur scène.
Pour autant, tout n’est pas à jeter, loin s’en faut. Il y a la séquence décrite plus haut qui permet de prendre l’air où enfin la rythmique de la batterie prend tout sons sens. Il y a celles que l’on pourraient qualifier des toits où Keaton père et fille (Emma Stone incandescente) ainsi que Norton aiment à s’y croiser sans jamais se voir telle une ronde cauchemardesque que le Birdman scelle en des envolées oniriques à la grâce touchante. Il y a les voix intérieures qui jouent avec nos nerfs. Il y a un film dirigé par un démiurge qui ne pense qu’à sa prochaine chute. Birdman c’est l’Icare qui a brûlé ses ailes dans un songe infernal et qui se persuade qu’il tombe depuis lors. Le problème c’est que cela fait longtemps que l’on n’y croit pas ou plus.
(1) Edit Lundi 23 février : Birdman a finalement obtenu 4 Oscars (Film / Réalisateur / Scénario / Photo).
Birdman de Alejandro González Iñárritu – 25 février 2015 (Twentieth Century Fox France)
À l’époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego…
S’il s’en sort, le rideau a une chance de s’ouvrir…
Note : 2,5/5