Golden Glove - Image une critique

Golden Glove – Fatih Akın, le driller killer !

Décidément, Fatih Akin n’en finit pas de surprendre. Après un In the Fade plutôt convenu avec toutefois une Diane Kruger plus que convaincante en mère et femme éplorée suite à un attentat terroriste en quête de vengeance, on pensait en effet que le cinéaste allemand d’origine turc avait délimité ses univers et définitivement planté sa tente au sein d’un cinéma d’auteur européen assez quali, un peu militant et versant de plus vers le grand public (ce qui n’est pas une tare attention). C’était donc mal le connaître. Et avec Golden Glove de partir explorer un genre nouveau pour lui qu’il traite à la façon d’un Ferrara qui aurait été inspiré par Fassbinder et Fritz Lang.

Golden Glove - Affiche

Sans être un biopic, Golden Glove raconte l’histoire vraie d’un tueur en série qui s’ignorait ayant sévi dans le Hambourg des années 70. Fritz Honka n’a même jamais été recherché, inquiété et encore moins soupçonné car toutes ses victimes étaient des ombres de la nuit doublées d’adeptes inconditionnels de schnaps bon marchés que l’on servait au bar du « Gant d’or ». Jusqu’à ce qu’un incendie accidentel intervenu dans son immeuble provoque la découverte des corps en putréfaction planqués dans un recoin de son studio qu’il aspergeait régulièrement d’Eau de Cologne pour masquer l’odeur. Fritz Honka fut qualifié de monstre pour la cruauté de ses crimes mais aussi pour son physique rebutant. Un nez et des dents cassés, un strabisme pour le moins divergent n’en faisait en effet pas un bourreau des cœurs ; alors lui se vengeait en devenant juste le bourreau de celles dont la marginalité était synonyme de coma éthylique. Des proies devenues idéales pour ce personnage antipathique et sexuellement impuissant dont Fatih Akin n’a pas cherché à justifier les actes ni même voulu revenir sur une enfance meurtrie dont le livre de Heinze Strunk, que le film adapte, s’en faisait largement échos.

Pas d’empathie ou de justifications donc mais une certaine sidération doublée d’une curiosité certainement un peu malsaine que Fatih Akin amplifie par sa mise en scène faite de off et de in pour sans cesse nous tenir en haleine. Le off c’est par exemple sa façon de filmer le démembrement d’une des victimes à la manière d’un Jean-Marie Poiré dans Le Père Noël est une ordure où le passage à l’acte ne se prive jamais de lorgner vers l’humour noir. Le in c’est cette manière de montrer ce qui se déroule au fin fond du cadre avec une caméra posée à l’autre extrémité de l’appartement pour mieux capter en profondeur de champ la détresse d’un Fritz Honka n’arrivant pas à bander et effectuant de frénétiques vas-et-vient entre le salon tapissé de photos érotiques afin d’y puiser une inspiration libidinale et la chambre à coucher où se marre à gorge déployée une otarie sur pattes entre deux hoquets vomitifs. Et le réalisateur de feel good movies tels que Head On ou Soul Kitchen de laisser libre cours à une forme de furia visuelle totalement incontrôlable ou ubuesque à tel point d’ailleurs que l’on ne peut s’empêcher de lâcher de temps à autre un rire gratuit empreint d’un plaisir totalement sardonique.

Une façon aussi pour nous de ne pas sombrer dans une forme de folie contemplative vers laquelle Fatih Akin veut inlassablement nous emmener pour nous faire perdre pieds. Et pour cela, il ne lâche jamais l’emprise s’adjoignant même une pléthore de personnages secondaires qui est sans conteste l’autre force de Golden Glove. Soit un bestiaire composé de rebus d’une société refusant le présent et avachie sur un passé peu reluisant. Comme cet ancien officier nazi borgne qui pisse (littéralement) dans le dos d’une nouvelle génération en manque de bonnes manières. Il y a évidemment des bouffées de Freaks de Tod Browning ici, mais il y a surtout un pan entier du cinéma d’exploitation U.S. des années 70 qui est cité compulsivement avec comme point d’orgue le Driller Killer d’Abel Ferrara ou encore une bonne partie de la filmo de Larry Cohen. Mais Fatih Akin n’oublie pas de puiser aussi des références du côté de Rainer Werner Fassbinder qui avait si bien su dépeindre les vicissitudes de la société allemande de l’après-guerre ou encore de lorgner vers le Fritz Lang de M le maudit qui hante la moindre ombre portée du film. Et c’est alors que la sidération du début finit par se transformer en admiration totale pour une œuvre n’enfilant jamais de gants que cela soit avec son sujet et encore moins avec son spectateur.

En prenant ainsi à bras le corps différentes influences et pans de cinéma dont on pensait Fatih Akin totalement étranger, l’homme nous prouve que le cinéaste est définitivement inclassable. À l’image de ces iconoclastes hollywoodiens qui au sortir de l’âge d’or des Studios lorgnaient et enviaient le cinéma d’auteur européen, il fait le voyage inverse en s’accaparant avec une acuité folle l’héritage yankee des bas-fonds du Nouvel Hollywood pour l’ériger en mètre étalon d’une doxa européenne régénérée. Un fol espoir qu’il va falloir pérenniser maintenant !

Golden Glove (Der Goldene Handschuh – Allemagne – 2019) de Fatih Akin – 1h50 (Pathé) – 26 juin 2019

Résumé :  Hambourg, années 70. Au premier abord, Fritz Honka, n’est qu’un pitoyable loser. Cet homme à la gueule cassée traîne la nuit dans un bar miteux de son quartier, le « Gant d’or » (« GoldenGlove »), à la recherche de femmes seules. Les habitués ne soupçonnent pas que Honka, en apparence inoffensif, est un véritable monstre.

Note : 4,5/5

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