Roubaix, une lumière - Image une critique

Roubaix, une lumière – Les femmes d’à côté

On le sait, Arnaud Desplechin est natif de Roubaix et tout son cinéma ou presque l’a immanquablement ramené à cette ville. Le fait d’y consacrer un film était sans aucun doute une suite logique. Fallait juste trouver le bon sujet et le bon angle. Ils sont venus quand Desplechin a découvert le remarquable documentaire Roubaix, commissariat central de Mosco Levi Boucault diffusé en 2008 sur France 3 (mais tourné en 2001) dont il aurait été malin au passage d’en proposer un DVD ou la possibilité de le (re)voir en streaming ou en VOD. Un peu à la manière d’un Depardon, Boucault s’était en effet immergé pendant près de six mois dans le quotidien du commissariat de Roubaix filmant au plus près une humanité interlope mais qu’il ne prenait jamais de haut. Une décennie plus tard, Desplechin accouche donc d’un film qui se focalise sur une des affaires suivies à l’époque par la caméra de Boucault tout en donnant de l’épaisseur fictionnelle à quelques personnages esquissés dans le doc dont Daoud, le chef de la  police de la ville interprété ici par un Roschdy Zem une nouvelle fois impérial.

Roubaix, une lumière - Affiche

Pour autant, Roubaix, une lumière n’emprunte que peu de choses aux codes formels du documentaire. On peut même affirmer qu’il les évite méticuleusement. À commencer par un travail remarquable sur l’image effectué par Irina Lubtchansky qui suit Desplechin en tant que directrice de la photo depuis Trois souvenirs de ma jeunesse, avec en point d’orgue ce panoramique de nuit effectué depuis le toit du commissariat que reprend d’ailleurs l’affiche du film. Desplechin n’a pas l’intention d’enjoliver sa ville mais celle-ci est suffisamment plombée de multiples maux sociétaux et économiques pour ne pas en rajouter. La photo est donc belle, travaillée et fait contrepoint avec ce qui se déroule dans le cadre. Le jour est ainsi gris, métallique et froid quand la nuit se drape d’une température de couleur aux impressions bien plus chaudes et protectrices. Comme si elle exprimait le moi ambivalent des deux personnages principaux : Daoud, mentionné plus haut et Louis interprété par Antoine Reinartz, nouvel inspecteur de police fraîchement débarqué qui prolonge le regard du spectateur pour le plonger au plus près de l’action.

Et celle-ci de très vite se concentrer sur le meurtre d’une vieille dame au mobile crapuleux. Ce qui intéresse Desplechin alors n’est pas tant le déroulé de l’enquête (on a très vite saisi qui sont les auteurs du crime) mais bien les interactions humaines avec pour maître d’orchestre le chef de la police qui montre là un visage très éloigné de ce que l’on a l’habitude de voir au cinéma mais qui reprend ce que l’on avait perçu dans le doc de Boucault. Roschdy Zem s’empare de ce personnage avec une certaine gourmandise et une immense humanité ne laissant rien au hasard pour dessiner les contours d’un homme en osmose avec la ville. Il en saisit les moindres battements et en comprend toutes ses pulsions et justifications sans que pour autant il n’en oublie d’appliquer la loi aussi scrupuleusement que possible. En paix avec lui-même et l’image d’homme de loi qu’il a façonné, il est le phare d’une équipe et certainement d’une ville qui l’a vu naître. Et Desplechin de conforter ce sentiment, cette impression, en donnant, au fur et à mesure que le film avance, du temps au couple Sara Forestier / Léa Seydoux.

Sa mise en scène mise alors sur une approche de leur histoire par le prisme des interrogatoires et d’une reconstitution des faits aussi clinique que bouleversante. Les gestes sont méticuleusement cadrés sans jamais oublier les regards perdus, fuyants et finalement tragiques. Desplechin ne remet rien en cause, ni le système, ni les personnes. C’est d’ailleurs lors de ces moments et de ces scènes que la neutralité propre au documentaire remonte à la surface. Elles permettent alors de mettre violemment en abyme ce quotidien affreusement banal bien aidé il est vrai aussi par le jeu habité des deux actrices. Desplechin ne juge pas non plus au point d’ailleurs que son film est un modèle de tolérance sans pour autant jamais tomber dans l’empathie guimauve et tarte. La rudesse des situations est en effet prégnante avec par moment une minéralité et un fatalisme qui rappelle Tavernier et son extraordinaire L.627. Son film sort ainsi sans cesse grandi de cette addiction frontale d’une réalité jamais sublimée mais sans cesse composée.

Du coup, on a bien du mal à rattacher Roubaix, une lumière avec le reste de la filmo de Desplechin si ce n’est ce travail ininterrompu de fictionnalisation d’une réalité intime et truffaldienne en la mettant en scène de la manière la plus organique et romanesque possible. Mais qui pour s’en plaindre ? Il s’agit là peut-être d’une forme de hiatus qui régénère de toute façon le regard d’un homme sur son cinéma et son parcours. Lui qui s’était un peu perdu avec Les Fantômes d’Ismaël, son précédent film qui clôturait un cycle éprouvant dont Trois souvenirs de ma jeunesse reste l’une des étoiles les plus brillantes au sein même du cinéma français. Juste à côté scintille désormais avec presque le même éclat Roubaix, une lumière.

Roubaix, une lumière (2019) de Arnaud Desplechin – 1h59 (Le Pacte) – 21 août 2019

Film présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2019

Résumé : À Roubaix, un soir de Noël, Daoud le chef de la police locale et Louis, fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes…

Note : 4/5

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