Une fille facile - Image une critique

Une fille facile – Conte (a)moral d’été

Le nouveau film de Rebecca Zlotowski est d’abord l’histoire d’une rencontre. Celle d’une agrégée de Lettres Modernes qui va marquer ensuite de son empreinte la prestigieuse école de cinéma la Fémis, section scénario et de Zahia Dehar dont les frasques ont fait le tour de la planète. Une rencontre improbable donc mais provoquée par Zahia et rêvée par la réalisatrice qui lui a permis d’accélérer la mise en chantier d’un film qu’elle appelait de ses vœux depuis quelque temps et qu’elle voulait comme une respiration bienfaitrice avant de se lancer dans Les Sauvages, une série qui arrive sur Canal+ à la fin de ce mois de septembre aux teintes beaucoup plus dures et sombres. Oui car Une fille facile est un film vif et solaire qui va à l’essentiel en imposant sa vision sociale transgressive illustrée métaphoriquement par cette rencontre qui n’avait en fait rien d’improbable tant la réalisation de Rebecca Zlotowski l’a transforme instantanément en une évidence toute rohmérienne.

Une fille facile - Affiche

Une évidence qui procède du constat simple que ni Zlotowski, ni Zahia ne profite l’une de l’autre en voulant par exemple tirer la couverture à soi. Pas d’inhibition non plus d’un côté et encore moins de blocage façon muse que l’on filmerait en mode adoration de l’autre. Un équilibre qui vient surtout de l’histoire (co-signée par Zlotowski) : deux cousines se retrouvent le temps d’un été. L’une, encore ado jouée par Mina Farid (une belle découverte là aussi), veut s’affirmer par une trajectoire toute tracée faite d’études, l’autre qui débarque après une longue absence, fascine la plus jeune par son apparente joie de vivre, son autonomie portée par une liberté des sens et de son corps. À l’image le déséquilibre est là patent. Il est même le moteur essentiel pour ne pas dire obligatoire emmenant tout sur son passage jusqu’au spectateur de plus en plus extatique devant une Zahia qui va en surprendre plus d’un(e). De par son jeu d’abord qui rappelle sans hésitation Haydée Politoff dans La Collectionneuse de Rohmer, film dont Zlotowski ne cache pas lui devoir beaucoup dans son envie de faire du cinéma. Le verbe est souvent haut mais jamais en dichotomie avec ce que dégage son personnage. Tout semble couler de source. On se dit que la cinéaste est une excellente directrice d’actrices comme elle avait su déjà le démontrer avec la débutante Léa Seydoux du temps de Belle épine.

Mais on subodore tout de même une aisance naturelle chez Zahia. Quelque chose qui vient de très loin que Zlotowski a tout simplement su déceler et dont elle n’a fait qu’accompagner derrière sa caméra jamais voyeuriste. Et Zahia d’être déjà comparée à une Bardot des temps modernes toute droit débarquée d’un Proche-Orient de carte-postale forcément fantasmée et fantasmagorique. Pour autant, dire qu’elle ne fait qu’irradier chacun des pixels de l’image serait lui faire injure tant son talent à l’éclat certes brut emporte le morceau et surtout justifie à chaque instant le propos de la cinéaste. Car au-delà du couple formé d’avec sa cousine qui pourrait faire un film à lui tout seul au regard des thématiques abordées (affirmation d’une identité féminine, passage à l’âge adulte…), Zlotowski se penche aussi sur l’apparence et le regard des autres qui en découle, le tout saupoudré d’une vision très éclairée et éclairante des strates sociales que nos sociétés dites modernes ne cherchent qu’à figer pour ne pas dire momifier. Elles sont ici illustrées par la rencontre avec ce « Trader » d’art de nationalité brésilienne (qui rappelle là aussi un autre personnage dans La Collectionneuse de Rohmer interprété par Patrick Bauchau) et son « majordome » de Benoît Magimel que l’on n’avait pas vu aussi juste depuis des lustres. Jusqu’à ce  « climax » que l’on pourrait qualifier d’italien où une Clotilde Courau est renvoyée dans les cordes de sa classe sociale d’aristocrate un peu fin de race par une Zahia / Zlotowski qui torpillent tout cela avec une jouissance plus que communicative.

À l’image de Zahia donc, Une fille facile est un film sensuel et troublant qui nous parle de puissance et de pouvoir. Celles de l’argent et des corps selon une chorégraphie sociale immuable dont seule Zahia à l’écran semble en connaître les codes pour mieux les transgresser. Il y a là comme une définition de la nouvelle féminité. Celle qui veut s’affranchir de la société (et du commerce) des hommes. Une fille facile montre ainsi la voie d’une manière inattendue : douce, romantique, solaire (bis repetita), naïve et touchante. On veut croire que Zahia et Zlotowski ont raison puisque notre regard n’est déjà plus le même.

Une fille facile (2019) de Rebecca Zlotowski – 1h32 (Ad Vitam) – 28 août 2019

Film récompensé à la Quinzaine des réalisateurs en 2019 par le Prix SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques).

Résumé : Naïma a 16 ans et vit à Cannes. Alors qu’elle se donne l’été pour choisir ce qu’elle veut faire dans la vie, sa cousine Sofia, au mode de vie attirant, vient passer les vacances avec elle. Ensemble, elles vont vivre un été inoubliable.

Note : 4/5

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