Titane - Image une critique

Titane – À l’intérieur

Un deuxième long, quand le premier a été si remarqué, discuté pour ne pas dire encensé, est une aventure encore plus ardue. Comment faire mieux ? Comment ne pas se répéter ? Comment continuer à surprendre ? Comment faire abstraction à tout ce qui a déjà été dit sur son premier film (les critiques, les proches, la profession…) ? Y en a qui enchaînent dans la foulée quand c’est possible. Y en a qui s’exilent car la France reste un petit pays et parfois se perdre, au hasard à Hollywood, permet de se confronter à d’autres réalités tout en continuant à forger sa personnalité de cinéma. Julia Ducournau a préféré prolonger son « apprentissage » en France. Pour cela, il lui a fallu près de quatre ans. Elle le dit, elle est passée par toutes les phases à commencer par l’abattement (et certainement une forme de dépression), un blocage engendré par la peur de « mal faire » pour finalement tout bazarder et lâcher les amarres. Et franchement, dès les premières minutes de Titane, un accident de voiture puis un long plan séquence virtuose (tourné dès le premier jour de tournage) dans les arcanes underground d’une expo de bagnoles où se trémoussent des pin-up habillées de peu de choses et d’une photo ultra criarde, on se dit en effet que la cinéaste de Grave a voulu se rassurer tout en nous en mettant plein la gueule.

Titane - Affiche

Les préliminaires dans la boîte, Julia Ducournau se fait alors plaisir tout en accélérant le tempo (normal me direz-vous). On y suit les pérégrinations sauvages d’une donzelle qui fracasse l’existence d’à peu près tout ce qu’elle rencontre jusqu’à foutre le feu à la maison familiale. Elle finit par atterrir chez un pompier (Vincent Lindon qui a pris 10 kilos de muscle) à la recherche de son fils disparu depuis dix ans. Il pense l’avoir retrouvé en la personne de cette post ado en rut qui s’est préalablement coupée les cheveux, rasée les sourcils et pétée le nez (très belle prestation au passage du lavabo de la station-service filmée en contre plongée) histoire de brouiller quelque peu les pistes des autorités un tantinet à sa recherche. 30 minutes de bruit et de fureur où la réalisatrice embrase chacun de ses plans d’une mise en scène qui assommerait un étalon (deux ou quatre pattes, à vous de voir) sous coke. La suite c’est la rencontre de deux monstres de solitude imprégnées de logiques de vie pour le moins opposées. C’est l’un des thèmes centraux du film, celui que la réalisatrice cajole le plus. Celui qui lui permettra d’explorer jusqu’au bout la métamorphose des êtres.

La métamorphose physique d’abord qui lorgne vers quasiment tous les films de Cronenberg de La Mouche (1986) à Crash (1996) en passant par Videodrome (1983). La métamorphose psychique ensuite qui offre à la réalisatrice la possibilité de donner son avis quant au déterminisme du genre (homme / femme / les deux / aucun des deux…) de plus en plus battu en brèche aujourd’hui. L’héroïne qui baise littéralement des voitures et qu’une plaque en titane recouvre le pourtour de son oreille droite (conséquence de l’accident de voiture du début du film) est dès le début un genre qui lui est propre. Mais ces postulats, Julia Ducournau les bat en brèche en les prenant en fait à rebours transformant ainsi la monstruosité initiale en une nouvelle humanité propre aux deux personnages. En s’attaquant ainsi aux stéréotypes de notre société genrée, Julia Ducournau en profite pour envoyer un message en forme de pied de nez à tous ceux qui voyaient en Grave un film de genre alors qu’elle a toujours affirmé que si genre il y avait, il était dilué dans une chair comestible et donc susceptible d’être digéré dès le film visionné.

On pourrait encore rendre compte de bien d’autres aspects de Titane tant celui-ci est d’une richesse absolue en clins d’œil cinéphiles, en mise en scène sévèrement burnée comme peu de films tout court peuvent se targuer d’en exposer aujourd’hui, ou en références propres à générer réflexions qui pourraient noircir plusieurs pages d’un devoir de philo au bac. En cela Julia Ducournau prouve qu’elle est d’abord un auteur formé à la sauce FEMIS. Ce qui n’est pas une tare en soi mais un pedigree de cinéma qui restera sans aucun doute l’ADN de ses futurs films. Mais de cette profusion et de cette absolue richesse des sens et niveaux de lecture, Titane finit par en perdre le fil de son histoire qui ne tenait déjà pas à grand chose depuis le début. De cette volonté évidente à nous en mettre plein la rétine jusqu’au plus profond du bulbe rachidien en s’évertuant à contourner nos propres inhibitions en titane, Julia Ducournau accouche certes d’un film monstre sans cesse en mutation et en phase évidente avec son époque, mais que le temps risque de ringardiser très rapidement.

Titane est de fait un film « freaks » mais à la différence du chef-d’œuvre de Tod Browning, il n’arrive jamais à provoquer le malaise ou une véritable appétence. Comme si Julia Ducournau cédait aussi à cette autre caractéristique « moderne » du plaisir immédiat mais aussi vite oubliée sinon la réminiscence de ce dernier plan avec Vincent Lindon qui frise le grotesque tout en rappelant celui d’À l’intérieur (2007) de Bustillo / Maury. Tout simplement parce que Titane qui s’apparente au final à une véritable histoire d’amour totalement azimutée, manque cruellement d’instinct de survie et de réciprocité à l’égard d’un spectateur oublié en route. À défaut de pouvoir être en phase ou en désaccord, en pâmoison ou en répulsion, il ne lui reste que de purs moments de cinéma qui fatalement finissent par devenir totalement désincarnés.

Titane (2021) de Julia Ducournau – 1h48 (Diaphana Distribution) – 14 juillet 2021

Palme d’or au Festival de Cannes 2021

Résumé : Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.

Note : 2,5/5

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