Boîte noire - Image une critique

Boîte noire – Conversation secrète

Le thriller d’enquête à tendance paranoïaque est un « sous-genre » peu répandu de par chez nous. Peut-être parce que nos auteurs / réalisateurs / producteurs… considèrent qu’il s’agit là d’un terrain de jeu bien trop anglo-saxon pour aller s’y frotter. Et que par ailleurs les retours sur investissement y sont encore bien plus aléatoires. Voilà aussi un pedigree de films à la nomenclature ultra exigeante et ce à chaque étape de sa fabrication. À commencer par celle de l’écriture qui nécessite une rigueur sans faille pour que à l’écran les choses puissent s’imbriquer aussi naturellement que possible. Ce dont Boîte noire, sous la « plume » de Yann Gozlan et ses deux coscénaristes (ainsi que Jérémie Guez rangé dans une catégorie un peu plus fourre-tout de « collaboration au scénario ») proposent à l’envi.

Boîte noire - Affiche

L’histoire de Boîte noire, Yann Gozlan l’a d’ailleurs en tête depuis le tournage de Captifs, son premier long qu’il réalise en 2010. Et si en 10 ans, les choses ont bien entendu profondément bougé, il a toujours été question d’ancrer l’histoire dans le milieu de l’aviation civile avec comme fil rouge un crash aérien dont il faudra en découvrir les causes au cours d’une enquête qui tiendra finalement en haleine spectateurs et protagonistes pendant plus de 2 heures. C’est peu de dire que voilà un sujet à la fois ambitieux et inédit dans le cinéma français d’autant qu’elle intervient au sein du Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (le BEA), une autorité ad hoc responsable des enquêtes de sécurité pour les accidents et incidents graves assez peu connue du grand public. Dans un souci de véracité et certainement de tension dramatique, Yann Gozlan a tout fait pour obtenir les autorisations nécessaires afin d’y tourner la majeure partie de son film. Ce qui permet, au hasard, lors de la séquence clé d’ouverture de la fameuse boîte noire d’y trouver un supplément d’âme incroyable.

Cette volonté de ne rien laisser au hasard et/ou de s’approcher le plus possible de la réalité est un aspect essentiel du cinéma de Yann Gozlan qui ruisselle d’ailleurs à tous les étages de son film. Jusqu’à sa direction d’acteurs dont il nous a au demeurant longuement détaillée les préceptes lors d’une rencontre dont vous pouvez découvrir la vidéo en cliquant ici. Pour autant, sur un tournage il ne demande pas à ses comédiens de s’en tenir exclusivement aux intentions de jeu validées en répétition. Il peut ainsi varier lors d’une même prise ou laisser à l’acteur(rice) la possibilité d’aller explorer d’autres valeurs ou intonations. Et bien entendu cela se ressent à l’écran avec pour mètre étalon le sentiment que chacun semble se caler avec jubilation sur la métronomie d’horlogerie suisse imprimée par la mise en scène. La méthode marche même quand Lou de Laâge doit remplacer au pied levé une actrice ayant quitté le navire une semaine avant le début du tournage. Un potentiel coup dur d’autant que son personnage certes en retrait de celui interprété par Pierre Niney, est finalement le point névralgique du film le faisant basculer à la toute fin vers une épaisseur incroyable. Lui technicien au BEA responsable de l’enquête d’un crash ayant coûté la vie à plus de 300 personnes et elle qui a pour responsabilité de certifier des avions au sein d’un grand groupe influent du secteur, disposaient en effet de tous les ingrédients disruptifs pour déclencher les déséquilibres internes et crises à venir. Et Lou de Laâge s’en sort haut la main.

Mais la caractérisation ne s’arrête pas là puisque Yann Gozlan creuse à n’en plus finir le personnage joué par Pierre Niney pour en faire limite cet autiste en quête d’une vérité si absolue qu’il finira par mettre sur la touche jusqu’au spectateur totalement déboussolé. Un arc psychologique des plus osé surtout par les temps qui courent mais qui rappelle indubitablement quelques recettes hitchcockiennes. Dire du coup que l’audience est des plus impliqué est une lapalissade augmentant encore la profondeur du récit, ses implications et ses orientations. Et sans jamais bifurquer dans l’artificiel et le clinquant. Vous savez cette mise en scène qui n’est alors plus là que pour cacher la misère d’un scénario. La réalisation fait montre en effet ici d’une réelle appétence cinématographique dans le seul but de faire avancer le récit. Jamais pour nous en mettre plein la vue. Ce qui n’empêche pas des morceaux de bravoure affolants comme ce plan séquence d’ouverture qui va du cockpit de l’avion jusqu’à la fameuse boîte noire qui comme nous le disait Yann Gozlan se justifiait totalement au regard de l’enquête qui allait suivre.

Une séquence qui pourrait aussi s’analyser comme une synthèse de sa filmo à date. Une sorte de recul pris sur ses trois premiers films qui en abordant chacun un genre différent se rejoignent tous par cette quête obsessionnelle d’un cinéma qui fait sens sans que pour autant il soit bardé de références cinéphiles. Certes Boîte noire rappelle le héro de Conversation secrète que Coppola s’ingéniait lui aussi à en faire une sorte de personnage à la marge, convaincu par sa vérité et prêt à tout pour l’imposer. Mais en fait Boîte noire se fait plutôt l’écho, malgré lui ou non, de notre époque empreinte de fake news et peuplé d’individus persuadés de détenir une vérité que l’on veut inlassablement lui cacher. Cette théorie du complot permanent Yann Gozlan lui tord le cou à sa manière oui. Et de quelle manière.

Boîte noire (2020) de Yann Gozlan – 2h09 (StudioCanal) – 8 septembre 2021

Résumé : Que s’est-il passé à bord du vol Dubaï-Paris avant son crash dans le massif alpin ? Technicien au BEA, autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile, Mathieu Vasseur est propulsé enquêteur en chef sur une catastrophe aérienne sans précédent. Erreur de pilotage ? Défaillance technique ? Acte terroriste ? L’analyse minutieuse des boîtes noires va pousser Mathieu à mener en secret sa propre investigation. Il ignore encore jusqu’où va le mener sa quête de vérité.

Note : 4/5

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