Stillwater - Image une critique

Stillwater – Tom McCarthy de Marseille

Depuis quasi 20 ans maintenant, Tom McCarthy traîne ses guêtres de scénariste / réalisateur au sein d’un cinéma auquel il veut donner du sens. Celui d’existences à la marge mais dotées d’une humanité débordante. Soit le propos et les personnages de tous ses premiers films. Jusqu’à se sentir suffisamment mature pour passer le rubicond de la simple mais enrichissante observation de l’âme humaine pour en dénoncer certains travers. Ce qui a donné Spotlight en 2015, film qui mettait en scène une longue enquête publiée dans le Boston Globe révélant un réseau pédophile au sein de l’Église catholique de Boston étouffé jusque dans les arcanes du Vatican. Depuis, il s’est investi en tant que producteur et réalisateur (de deux épisodes de la 1ère saison) sur la série 13 Reasons Why devenue emblématique pour toute une génération ou encore sur The Loudest Voice, une mini-série en 7 parties sur le fondateur de Fox News tombé en disgrâce pour agressions sexuelles.

Stillwater - Affiche

C’est dire si le bonhomme se veut de plus en plus en phase avec son temps et ce n’est pas Timmy Failure : des erreurs ont été commises diffusé en exclusivité sur Disney + qui va brouiller les pistes tant il s’inscrit en creux dans cette volonté à inlassablement gratter la surface des choses (ici la représentation d’une famille ricaine lorgnant du côté de Max et les maximonstres de Spike Jonze) pour en sortir sa vérité dissonante. Cheminement qui prend un nouvel élan avec Stillwater, l’histoire de ce « roughneck » qui traverse l’Atlantique pour atterrir à Marseille où sa fille est emprisonnée aux Baumettes après avoir été jugée coupable d’un crime dont elle se dit innocente. C’est à l’évidence ce choc des cultures qui a d’abord motivé Tom McCarthy prolongeant ainsi son exploration de la famille ou de ce qu’il en reste dans la psyché américaine. Lui ce col bleu américain œuvrant sur les exploitations de puits de pétrole se retrouve précipité dans cette ville de la méditerranée sombre et solaire, multiethnique en diable avec la barrière de la langue en guise de cerise sur le gâteau.

Matt Damon que McCarthy avait déjà envisagé pour un rôle dans Spotlight sans que cela puisse se faire, enfile avec aisance le costume de cet ouvrier taiseux et taciturne qui n’a jamais très bien compris sa fille aux aspirations d’un ailleurs loin, très loin de cette Amérique profonde qu’elle rejette tout comme ce père qui n’a jamais pris la peine de la comprendre. De ce point de départ propre à toute (bonne ou mauvaise) dramaturgie hollywoodienne classique, McCarthy va sans cesse la remettre en question et la tordre pour que sa caméra ne finisse par proposer que des tranches de vie forcément plus proches d’une certaine réalité grise et complexe. Un travail passionnant de caractérisation qui oblige le spectateur à toujours rester en alerte ne sachant pas trop ce que la prochaine séquence lui réserve. Tom McCarthy s’aide pour cela des lieux faisant de Marseille un personnage à part entière qui insuffle au film sa propre dramaturgie loin des clichés renvoyés ces dernières années par nos propres cinéastes (à l’exception notable de Bac Nord).

On aime aussi énormément le personnage joué par Camille Cottin que là aussi McCarthy ne filme pas comme un ricain voyageant en terres inconnues. Cette mère élevant seule sa fille tout en menant de front sa passion d’actrice de théâtre apporte au film une sédimentation qui permet à Matt Damon d’exprimer toute une palette de jeu qu’on ne lui connaissait que très peu. Et à McCarthy de finaliser une trajectoire à son film où une certaine forme de naturalisme ferait bon ménage avec un storytelling s’inspirant du meilleur d’Hollywood. Stillwater c’est tout du long cet équilibre ténu et tenu entre un savoir faire propre au cinéma bigger than life et cette tradition européenne plus intimiste qui ne pourra que ravir les aficionados des deux camps. Une sacré et belle gageure remportée haut la main.

Stillwater (2021) de Tom McCarthy – 2h20 (Universal Pictures International France) – 22 septembre 2021

Présenté hors-compétition au Festival de Cannes 2021

Résumé : Un foreur de pétrole débarque à Marseille du fin fond de l’Oklahoma, pour soutenir sa fille qu’il connait à peine mais qui purge une peine de prison, accusée d’un crime qu’elle nie avoir commis. Confronté au barrage de la langue, aux différences culturelles et à un système juridique complexe, Bill met un point d’honneur à innocenter sa fille. Au cours de ce cheminement intime, il va se lier d’amitié avec une jeune femme du coin et sa petite fille tout en développant une conscience élargie de son appartenance au monde.

Note : 3,5/5

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