Avec Ari Aster, et même si son Midsommar nous avait laissé sur notre faim, Robert Eggers est sans aucun doute le réalisateur le plus excitant du moment. Qui n’a pas encore vu The Witch (écrire The VVitch), son premier film en forme de coup de maître, est sans aucun doute passé à côté d’une des meilleures expériences de cinéma de ces dix dernières années. Mais à l’instar du réalisateur d’Hérédité, son deuxième long a eu du mal à emmener le public vers les mêmes contrées plus ou moins inexplorées. Non que The Lighthouse soit un ratage mais disons que de notre point de vue, un film aussi extraordinaire qu’il soit dans la forme, ne peut revendiquer un quelconque statut autre qu’expérimental si l’histoire ne suit pas. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’avec The Northman Eggers a magnifiquement corrigé le tir.
Il y a d’ailleurs plusieurs filiations évidentes entre The Witch et The Northman à commencer par la rigueur de l’environnement historique qui suinte par tous les pores de l’image. C’est bien simple, on n’avait jamais vu une telle volonté de coller à ce que pouvait être la réalité du monde des Vikings niché quelque part au Xème siècle. On découvre ainsi littéralement leurs quotidiens, leurs croyances, leurs rituels religieux et ce jusqu’à une forme de réalité physique qui permet l’émergence de séquences de dingue. On pense au hasard à celle qui intervient dix minutes à peine après le début du film quand un père (le roi Aurvandil joué par Ethan Hawke) de retour en son royaume après de longues années passées à guerroyer et à écumer les mers du nord, soumet son fils à un rituel initiatique afin de le préparer à lui succéder le moment venu. Ailleurs, elle pourrait s’apparenter à une forme de climax, dans The Northman on est dans une mise en bouche empreinte de poésie sauvage et surnaturelle. Elle annonce tout simplement l’ADN des deux prochaines heures.
Pour autant Robert Eggers ne recherche pas la surenchère visuelle. À l’évidence, il colle d’abord le spectateur au fin fond de son siège par la force de son récit dont le fil rouge n’est autre qu’une « simple » vengeance envers l’assassin d’un roi commis sous les yeux de son fils. Un moment qui rappelle d’ailleurs dans son découpage et quelques-uns de ses plans celui de Conan le barbare réalisé par John Milius en 1982 (p*** 40 ans). Entre ce passage et le véritable climax final, on aura eu droit à un film monstrueux empreint de bruits et de fureur dont Alexander Skarsgård se fait le porte-parole minéral et compulsif. Mais The Northman est aussi traversé par des étincelles de vie personnifiées à l’écran par une Anya Taylor-Joy dont la beauté lunaire embrase l’image à chacune de ses apparitions. Inconsciemment ou non on ne peut s’empêcher de penser à The Witch qui l’avait lancé dans le grand bain hollywoodien et dont son personnage ici semble reprendre cette faculté à s’adapter pour survivre en n’importe quelle circonstance.
On pourrait aussi citer les décors (naturels ou non), les costumes ou encore la véracité endémique qui suppure de chaque plan (même quand ils sont gavés de CGI) finissant par insuffler à l’ensemble un souffle naturellement épique. On peut même parler ici de naturalisme saisissant tant il est évident que Eggers et ses équipes ont porté un soin tout particulier à rendre compte de cette période de la manière la plus précise et la plus juste possible. Mais ce qui finit par emporter définitivement le morceau est cette propension dans la mise en scène à changer de braquet quand bon lui semble donnant très rapidement ce sentiment que tout est possible à tout moment. Une façon évidente mais tellement lumineuse dans sa mise en œuvre de tenir le spectateur continuellement en haleine.
The Northman est donc un film exigeant avec lui-même mais aussi avec celui ou celle qui voudra bien se jeter à corps perdu avec Amleth le vikings dans ce qu’il veut croire être sa destinée. On pourrait croire au demeurant que Robert Eggers renoue avec ces films hollywoodiens « du milieu » (pas un blockbuster mais pas un film « indie » non plus). De ceux qui permettent de mettre en scène des histoires à même de marquer leur temps ou même de l’anticiper de par leurs aspects visionnaires. En fait même pas. The Northman semble plus revenir au vieux concept du Hollywood de l’âge d’or des Studios : s’imprégner de l’air du temps (les vikings ont la côte un peu partout en ce moment) pour en faire le réceptacle de son propre univers. En France on appelle ça « la politique des auteurs » depuis la fin des années 50. Les producteurs et autres décideurs financiers sont contents car en apparence rien ne va à l’encontre des idées du moment et le réalisateur a pu mettre à nu ses obsessions. Pour autant, inutile d’espérer que cela puisse (per)durer (à ce niveau financier s’entend). Avec son budget estimé à plus de 90 millions de dollars et les recettes domestiques et mondiales faméliques qui s’égrènent semaine après semaine, The Northman s’apparente déjà à une formidable et flamboyante anomalie.
The Northman (2021) de Robert Eggers – 2h17 (Universal Pictures International France) – 11 mai 2022
Résumé : Le jeune prince Amleth vient tout juste de devenir un homme quand son père est brutalement assassiné par son oncle qui s’empare alors de la mère du garçon. Amleth fuit son royaume insulaire en barque, en jurant de se venger. Deux décennies plus tard, Amleth est devenu un berserkr, un guerrier viking capable d’entrer dans une fureur bestiale, qui pille et met à feu, avec ses frères berserkir, des villages slaves jusqu’à ce qu’une devineresse lui rappelle son vœu de venger son père, de secourir sa mère et de tuer son oncle. Il embarque alors sur un bateau pour l’Islande et entre, avec l’aide d’Olga, une jeune Slave prise comme esclave, dans la ferme de son oncle, en se faisant lui aussi passer pour un esclave, avec l’intention d’y perpétrer sa vengeance.
Note : 4/5