Les Enfants des autres - Image une critique

Les Enfants des autres – Déchirante humanité

Rebecca Zlotowski impose progressivement mais incontestablement sa griffe dans le paysage cinématographique français. Apparue sur les radars en 2010 au festival de Cannes section Semaine de la Critique avec Belle Épine qu’elle prolongera trois ans plus tard avec Grand Central présenté à Un Certain regard, on avoue bien volontiers que rien ou pas grand-chose ne nous avait donné envie de crier au génie ou à la fulgurante révélation décrétée par une bonne partie de la critique d’alors. On avoue aussi que son Planétarium qu’elle réalise en 2016 en s’adjoignant un casting plutôt détonnant (Natalie Portman, Lily-Rose Depp, Emmanuel Salinger, Amira Casar, Pierre Salvadori, Louis Garrel…) nous avait tellement laissé de marbre que nous ne l’avons toujours pas vu. C’est donc peu de dire que quand débarque Une fille facile à la Quinzaine des réalisateurs en 2019, on y va surtout pour satisfaire une curiosité des plus voyeuristes cinéphiles. Pensez donc, il y a Zahia en tête d’affiche. La claque rohmérienne que l’on s’est prise, outre le fait que l’on ne s’y attendait pas, et bien on ne s’en est toujours pas remis. Une brulure faciale que Les Enfants des autres prolonge de la plus belle des manières.

Les Enfants des autres - Affiche

Une gageure tant la surprise suscitée par Une fille facile ne pouvait à l’évidence se dupliquer. Tout juste pouvait-on l’espérer. Et c’est peu de dire que l’on a été servi. D’autant qu’avec Les Enfants des autres exit la figure tutélaire d’Éric Rohmer et bonjour celle plus protéiforme d’un Michel Deville qui aurait rencontré François Truffaut. Soit le mariage réussi entre la finesse du regard porté ici sur un couple et l’humanisme de celui véhiculé par une caméra au plus près de ses acteurs et d’une Virginie Efira dont on ne dira jamais assez qu’elle irradie le cinéma français par son immense talent. Soit aussi la propension d’une cinéaste qui n’a que faire de creuser un sillon qui semblait lui convenir pour aller chercher ailleurs son inspiration, ses motivations et la nature même de sa mise en scène. Une mise en danger qui a pour cadre ici les rapports entre un homme divorcé (Roschdy Zem égal à lui-même) avec une enfant en bas âge, son ex-femme (Chiara Mastroianni que l’on ne voit que trop peu au cinéma) et entre les deux une nouvelle venue qui doit trouver sa place. C’est précisément le lien que celle-ci peut développer avec l’enfant une semaine sur deux qui va intéresser Rebecca Zlotowski. Ce lien intime et précieux mais aussi fragile et volatile car la plupart du temps, limité dans le temps de la relation amoureuse avec le père.

De cet équilibre précaire mais à l’ADN profondément cinégénique, Rebecca Zlotowski en donne un aperçu intensément romantique que la richesse de sa mise en image finit par tout emporter sur son passage. Sa réalisation est ainsi généreuse et totalement en phase avec le jeu de son actrice. Les moments de joie ou de bonheur simple, la caméra se fait altière pour ne pas dire aérienne. Ceux plus intenses et lourds de sens, les plans sont fixes et habillés d’une photo beaucoup moins solaire. De cette construction en apparence binaire, Rebecca Zlotowski impose un liant, un fil rouge sur lequel le spectateur pourra s’appuyer. Le visage de Virginie Efira où la moindre émotion affleure est ainsi un phare qui guide le film vers une finalité qui ne fait aucun doute dès les premières minutes. Voilà au demeurant une autre gageure totalement domptée où l’intérêt des Enfants des autres ne réside aucunement dans ce qu’il nous « révèle » lors des dernières minutes mais bien comment celles-ci prennent corps tout le long d’un film où Rebecca Zlotowski leur insuffle une vie qui va bien au-delà du cinéma.

On parlait d’humanisme un peu plus haut. On voulait parler de cette humanité à visage découvert, souvent inextricable et profondément injuste. Une humanité que tout un chacun peut rencontrer ou a vécu. Une humanité jamais magnifiée mais pas stigmatisée. Une humanité qui vous laisse sur le flanc, la rétine humide et le poil qui se hérisse. Une humanité qui ne vous réconciliera avec personne sinon avec le cinéma français. Le temps d’un film.

Les Enfants des autres (2022) de Rebecca Zlotowski – 1h43 (Ad Vitam) – 21 septembre 2022

Résumé : Rachel a 40 ans, pas d’enfant. Elle aime sa vie : ses élèves du lycée, ses amis, ses ex, ses cours de guitare. En tombant amoureuse d’Ali, elle s’attache à Leila, sa fille de 4 ans. Elle la borde, la soigne, et l’aime comme la sienne. Mais aimer les enfants des autres, c’est un risque à prendre…

Note : 4/5

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