Babylon - Image une critique

Babylon – Pré-Code Land

À l’instar d’un William Friedkin ou d’une Kathryn Bigelow, Damien Chazelle sait emmener son cinéma en des contrées d’abord telluriques. Il suffit de se prendre en pleine poire les quasi 30 minutes en plan séquence de la fête orgiaque dans une sorte de manoir perdu sur les hauteurs d’un Hollywood embryonnaire pour en être une nouvelle fois convaincu. Whiplash, le long qui le fit connaître sur cet apprenti batteur et son prof vicelard, en donnait un aperçu plus que probant. La La Land qui le consacra aux yeux de tous, ne marchait quasiment qu’à cela. Et même First Man, qui revenait sur la personnalité plus que taciturne de l’astronaute Neil Armstrong, bouillait de l’intérieur à tel point qu’il arrivait au détour de chaque plan à fracasser le vernis d’un biopic pour en faire une aventure épique de l’intime. Babylon se veut plus frontal, plus ambitieux encore dans ce qu’il nous raconte et forcément encore plus intensément jouissif dans un plaisir total et indéniable de pur cinéma.

Babylon - Affiche

Et pour cela pas besoin de se taper une salle aux fauteuils qui vous masse le cul et étourdissent vos esgourdes en mode semi vautré. Babylon c’est tellement du cinéma que la salle pourrie de votre quartier aux fauteuils défoncés datant de la première guerre du Golfe n’altèrera même pas le plaisir quasi virginal (oui n’ayons pas peur des mots) de sa découverte. C’est que Babylon raconte tellement bien les origines de ce cinéma en provenance d’Hollywood, ses artifices, ses stars du muet, ses coulisses dantesques, ses tragédies, ses orgies, ses fulgurances propres à cette époque où le Code Hays n’était même pas encore à l’état de germe dans le cerveau de son sénateur qui lui a donné son patronyme, que le plaisir est juste instantané, continu et immersif. Damien Chazelle en épicurien transgressif se délecte à l’évidence de son propre spectacle n’hésitant jamais à en abuser tel un cocaïnomane jamais repu.

Point d’overdose pour autant. Babylon dure plus de 3 heures et il s’agirait de ne pas rincer le spectateur trop vite. Damien Chazelle s’aménageant dès lors comme des plages de réflexions sur un Art (qu’il s’est définitivement approprié faut-il le rappeler) en perpétuelle mutation. Et le passage du muet au parlant est une révolution que le cinéaste scrute et traite dès lors tel un échos appuyé à ce que nous vivons en ce moment. Le besoin d’un renouvellement par le fond (et pas uniquement par la technologie de l’image, du son et des salles) d’un langage devenu peu à peu inaudible ou sans imagination. À ce titre Babylon n’hésite pas à proposer et à expérimenter cassant au passage quelques attendus sans pour autant jamais oublier que son film doit être vécu par le plus grand nombre.

Ainsi le cinéphile façon Tarantino pourra voir en Babylon comme une forme de préquelle à Once Upon a Time… in Hollywood. Les adeptes de sieur Brion et autre Tavernier seront ravis d’y voir que Chantons sous la pluie reste pour Chazelle un film matriciel dans la construction de son œuvre. Quant aux autres, ceux pour qui le cinéma n’est pas une pulsion de vie essentielle, Babylon sera un plaisir immédiat à la fois intellectuel et physique mais qui surtout le restera. Il est en effet impossible d’imaginer autre chose tant le film hante le cortex et imprime la rétine à jamais. Certainement aussi parce que son histoire qui navigue jusque dans les années 50 emmène ses personnages en des contrées qu’aucun film actuel de cette envergure hollywoodienne ne se permet. Et à ce grand jeu-là proche de l’orgasme perpétuel, Margo Robbie, Brad Pitt sans oublier le petit nouveau Diego Calva sont magistraux. Bien aidé il est vrai aussi par des seconds-rôles au diapason. On pense à Jean Smart en critique faisant la pluie et le beau temps sur Hollywood pour qui Chazelle octroie l’une des plus belles scènes du film face à Brad Pitt ou encore à Jovan Adepo en trompettiste qui symbolise à lui tout seul le grand écart d’alors entre reconnaissance de son talent et sourde humiliation perpétuelle pour un musicien noir.

Ce qui nous permet de dire quelques mots sur l’extraordinaire bande originale signée Justin Hurwitz. Oui celui-là même qui a remporté deux Oscars en 2017 dans les catégories meilleure chanson originale (City of Stars) et meilleure musique de film avec La La Land. Oui celui-là même qui a composé toutes les musiques des films de Chazelle, son pote depuis Harvard. La force de sa partition ici est son côté entêtant, métronomique à la limite obsessionnel pouvant aller jusqu’au rejet. Mais au fur et à mesure que l’histoire et le film avancent, mutent et s’invitent définitivement dans votre panthéon intime, une note ou deux s’altèrent pour diffuser une toute autre tonalité. Les rythmes endiablés du début laissent progressivement la place à des appels à l’aide effrénés mâtinés de cuivres omniscients consubstantiels de tragédies inéluctables et endémiques. Ce que personnifie au passage et à merveille le personnage de gangster improbable joué par un Tobey Maguire que l’on n’avait pas vu aussi bon depuis Ice Storm de Ang Lee en 1997 (oui Monsieur).

C’est donc peu de dire que l’on n’a pas fini de (re)découvrir Babylon à l’avenir tant il recèle en son sein des strates de lecture, de perception et de plaisir de cinéma (mais pas que) insoupçonnées aujourd’hui. Il nous a par exemple donné envie de revoir Good Morning Babilonia (1986) des frères Taviani dans cette propension à revisiter les « contes et légendes » du Hollywood faussement virginal. Quant à Damien Chazelle, il s’inscrit dorénavant tout en haut de la pyramide de ces cinéastes démiurges de ce début de siècle parmi lesquels on trouve Christopher Nolan ou encore Denis Villeneuve.

Babylon (2022) de Damien Chazelle – 3h09 (Paramount Pictures France) – 18 janvier 2023

Résumé : Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, Babylon retrace l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limites.

Note : 4,5/5

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