Empire of Light - Image une critique

Empire of Light – Cinéma mon amour

Après James Gray et son Armageddon Time, Steven Spielberg et The Fabelmans, voici que Sam Mendes veut lui aussi apporter sa contribution à la tendance actuelle de regarder dans le rétro et de se pencher sur une enfance / jeunesse sous le sceau de l’amour du cinéma. À la différence toutefois qu’avec James Gray celui-ci se manifestait d’abord et surtout en des clins d’œil cinéphiles appuyés (tel que Les 400 coups de François Truffaut) alors que chez Spielberg on est dans le rite d’initiation, là où chez Mendes on est plus dans celui du passage avec pour décor principal un magnifique cinéma double écrans situé dans une station balnéaire anglaise du début des années 80. Avant d’aller plus loin précisons tout de même qu’en matière de films récents faisant les yeux doux à la glorieuse magnificence du cinéma, il serait injuste d’oublier Babylon de Damien Chazelle, fresque décoiffante (au moins pour les non chauves) mais aussi pleine d’amertume sur les origines d’Hollywood.

Empire of Light - Affiche

Le décor (de notre critique) ainsi planté, il nous faut maintenant amener une deuxième précision. Par hommage de cinéma on entend celui qui se découvre et se vit dans une salle ad hoc. À ce titre, Empire of Light est sans aucun doute celui qui porte ce message avec le moins d’ambiguïté possible. Nous sommes donc propulsés sur une période de quelques mois entre 1980 et 1981. Le lieu est comme on l’a dit un magnifique cinéma en bord de mer et la plupart des protagonistes sont ceux qui lui donnent vie au quotidien. En tête de gondole on trouve Hilary interprétée par une Olivia Colman qui s’adjuge ici l’une de ses plus belles performances à rapprocher de son incroyable interprétation de la reine Anne dans La Favorite (2018) de Yórgos Lánthimos pour laquelle, rappelons-le, elle a obtenu l’Oscar de la meilleure actrice. Elle est la n°2 du cinéma en charge du personnel et du quotidien de l’établissement. Sa vie privée n’a rien de folichonne. Elle semble naviguer à vue tout en essayant de se dépatouiller d’une dépression latente. Mais quand son directeur (Colin Firth) décide d’engager un jeune homme au physique d’apollon (le nouveau venu Micheal Ward déjà dans la cour des grands) la voici embarquée en des contrées qui lui font retrouver sa joie de vivre au risque cependant de réveiller en elle la face sombre d’une personnalité qu’elle croyait définitivement refoulée.

Nantis de ce fil rouge, Sam Mendes déroule dès lors son histoire à la manière d’un conteur omnipotent. En ce sens qu’il ne vous lâche (presque) jamais vous obligeant à une attention de tous les instants. En ce sens aussi que pour lui Empire of Light doit se voir au cinéma et non sur son canap entre deux SMS et/ou consultation de vos dernières notifications. Empire of Light est de ce fait un film hommage à la salle de cinéma qui ne peut s’apprécier qu’en levant la tête. Attention cependant, pas ce cinéma de foire à la saucisse Atmos et aux sièges immersifs auxquels il ne manque que l’option turlutte à 25 euros la passe. Non, plutôt celui qui sait véhiculer ses messages par la force de son storytelling, ses émotions par l’intelligence de sa mise en scène et le coup de grâce foudroyant par l’implication de sa direction d’acteurs. Un long métrage de cinéma à l’ancienne en quelque sorte où il n’y a qu’à se pencher et se servir pour le vivre physiquement selon les sensibilités de chacune et chacun.

Mais attention (bis) si Empire of Light est d’abord un film organique, il n’en demeure pas moins une réflexion (de cinéma toujours oui) dont les ramifications folles nous ont laissé pantois tant on avait quasi oublié ce pouvoir intrinsèque du médium. Ainsi, au-delà de l’étude de caractère de cette femme aux résonances indubitablement actuelles, Sam Mendes en profite pour nous dépeindre une époque avec l’acuité de ses souvenirs où le racisme ambiant était prégnant (mais aussi moins hypocrite qu’aujourd’hui) et où la violence induite pouvait éclater à tout moment. Une époque où le cinéma opérait sa mue entre la fin des utopies propres aux années 70 et sa radicalisation consumériste des années 80. Pour Mendes, l’idée n’est pas de prendre partie mais par contre de signifier que tout cela doit s’apprécier et se voir dans la communion d’une salle de cinéma. Pas comme si on allait dans un lieu de culte en psalmodiant quelques phrases sacrées mais bien avec l’intention de vivre un moment qui nous ouvre une fenêtre de l’âme humaine ou plus prosaïquement sur le monde.

C’est d’ailleurs ainsi que doit se comprendre la fin où Hilary découvre sur grand écran Bienvenue Mister Chance, chef-d’œuvre d’Hal Ashby et film symbole à lui tout seul de cette période entre clap de fin du Nouvel Hollywood et début d’une ère de tous les renoncements. Jusqu’à aujourd’hui où le symbole même de la salle de cinéma est menacée dans ses fondements et son ADN. Découvrir Empire of Light au cinéma c’est l’assurance d’en apprécier sa portée, d’être terrassé par sa beauté formelle et intérieure et de s’assurer une palanquée de revoyures par la suite sur votre canapé (là oui vous pouvez) à nulle autre pareil. Et puis au-delà du film d’Hal Ashby, les plus jeunes ou les moins férus de cinéma, auront peut-être la curiosité de découvrir (de préférence en Blu-ray sinon en Blu-ray 4K quand c’est possible) les quelques autres films qui sont à l’affiche de l’« Empire ». Dans le désordre on a ainsi repéré The Blues Brothers de John Landis / Les Chariots de feu de Hugh Hudson qui vient d’ailleurs malheureusement de nous quitter / Raging Bull de Martin Scorsese / Une fille pour Gregory de Bill Forsyth…

Empire of Light est de cette graine de film qui vous hérissera le poil, vous embuera l’œil gauche puis le droit, vous donnera envie de revoir la fin de Cinema Paradiso (1988) de Giuseppe Tornatore, puis de retourner au cinéma encore et encore. Merci pour tout Monsieur Mendes.

Empire of Light (2022) de Sam Mendes – 1h59 (The Walt Disney Company France / Searchlight Pictures) – 1er mars 2023

Résumé : Hilary est responsable d’un cinéma dans une ville balnéaire anglaise et tente de préserver sa santé mentale fragile. Stephen est un nouvel employé qui n’aspire qu’à quitter cette petite ville de province où chaque jour peut vite se transformer en épreuve. En se rapprochant l’un de l’autre, ils vont apprendre à soigner leurs blessures grâce à la musique, au cinéma et au sentiment d’appartenance à un groupe…

Note : 4,5/5

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