Le nom de Sébastien Drouin ne vous dit peut-être rien. Dans l’absolu c’est un peu normal, mais on va tenter de vous situer le bonhomme car cela en vaut la peine. Sébastien c’est d’abord une expertise à lui tout seul qui n’a fait que s’étayer depuis 1997 date à laquelle son nom apparaît au générique IMDB de Batman & Robin de Joel Schumacher en tant que « Digital Artist ». À une époque où il travaillait pour la célèbre boîte française d’effets visuels et spéciaux numériques BUF. Sébastien est par la suite devenu une référence en matière de SFX numériques. Nous, on le repère pour la première fois, et comme beaucoup de monde à l’époque d’ailleurs, avec Pièces détachées, un court-métrage qui aura marqué son petit monde par sa virtuosité, son audace et son discours. Un film réalisé avec un nombre de plans en numérique phénoménal que l’on peut (re)découvrir ici. Nous sommes en 2006 et sa carrière semble toute tracée.
Mais en fait non car si Sébastien n’arrête jamais de travailler en tant que Superviseur VFX sur moult films d’envergure (Alexandre d’Oliver Stone / Babylon A.D. de Mathieu Kassovitz / X-Men : Le Commencement de Matthew Vaughn, la mini-série Netflix Notre-Dame, la Part du Feu…), il n’a eu que rarement l’opportunité de passer à la réalisation. C’est en fait avec la mini-série Fearless diffusée en 2017 sur Blackpills que son nom figure dans ce registre pour un projet au budget étriqué et dont il n’a pas écrit une ligne. Et comme on ne se refait pas il est encore crédité en tant que superviseur des effets visuels. On ne garde pas un souvenir impérissable de la chose tellement on avait l’impression que cela surfait du côté de Resident Evil (envoi de militaires pour aller voir ce qui se passe au sein d’un labo top secret dont on a perdu tout contact) mais la réalisation avait pour elle de tenter des plans, des angles et une dynamique qui faisait un peu oublier cette histoire aux limites évidentes.
On a eu la chance de rencontrer Sébastien au mitan des années 2010 et c’est peu de dire que le Monsieur foisonnait de bonnes idées tout en nous pitchant des concepts d’histoires toutes plus enthousiasmantes les unes que les autres. Et toutes allant se nicher dans la SF, le thriller, les deux etc… Quant à Cold Meat, cela a commencé à germer dans sa tête juste avant Fearless (vers 2015-2016). Mais à la différence des autres histoires qu’il a pu coucher et développer en scénario pour systématiquement les vendre, celle-ci a attiré l’attention de personnes qui ont décidé de l’orienter vers la réalisation. On a revu Sébastien il y a quelques semaines pour qu’il puisse nous donner quelques détails sur l’envers du décor de cette prod qui fut pour le moins épique. On ne rentrera pas dans tous les détails mais on peut quand même en donner les grandes lignes. Sébastien nous a ainsi confirmé que Cold Meat est une co-production anglo-canadienne tournée entièrement au Canada. Il y a aussi WTFilms, une boîte française dont on voit par ailleurs de plus en plus le nom s’afficher au générique de films français comme Vermines, Le Vourdalak ou Farang, qui a mis de l’argent pour gérer in fine les ventes internationales. Sébastien a tenu aussi à insister sur le rôle du scénariste et réalisateur franco-anglais Andrew Desmond qui a fait la traduction de la première version du scénario pour devenir ensuite co-scénariste avec James Kermack.
Andrew a par ailleurs mis en relation Sébastien et Featuristic Films, une société anglaise qui avait co-produit The Sonata écrit et réalisé par Desmond justement qu’a sorti chez nous Condor directement en Blu-ray en 2018 et dans lequel on retrouve Rutger Hauer dans l’un de ses deniers rôles. Cold Meat se déroulant intégralement en hiver et sous la neige devenant blizzard au fur et à mesure que l’histoire avance, il fallait donc se tourner vers une région qui puisse permettre de tels cadres et plans. La France n’ayant jamais été une option, la production se tourne vers les pays nordiques européens. Mais très vite le constat est que c’est bien trop couteux au regard du budget possible. Reste le Canada qui propose de surcroît des crédits d’impôt intéressants. C’est la société Trilight Entertainment qui va être choisie pour sa bonne connaissance des arcanes économiques en la matière du pays sans que pour autant dans les faits elle se soit révélée être le partenaire idéal sur ce film.
Concernant le casting Sébastien nous a confié qu’il a été long à se mettre en place car il y avait une double sinon une triple contrainte. Il fallait en effet trouver des comédiens qui comprennent le texte, les intentions et motivations de leur personnage. Bref qu’ils soient très bons qu’ils acceptent de prendre le risque de jouer dans un petit film indépendant tout en étant identifiés par la profession afin de faciliter les ventes du film. V’là la quadrature du cercle. Quand on entend ça, on est juste heureux de faire notre métier. Voir des films et en parler. C’est à l’actrice danoise Nina Bergman (vu dans Doom: Annihilation) qu’échoit finalement le rôle pour une prestation plus que marquante et aboutie. Quant au protagoniste masculin c’est Allen Leech qui endosse le costume. Les plus perspicaces sauront qu’il joue Tom Branson dans la série et les films Downton Abbey. Ne nous en demander pas plus car Downton Abbey on n’y a jamais mis les pieds et encore moins une pupille (même dilatée). Mais en tout cas dans Cold Meat il est juste impeccable, à la fois clinique et infiniment glacial, inquiétant et quelque part empathique. Une véritable gageure à laquelle il faut associer un troisième personnage clé dont la prestation est assurée par l’acteur français Yan Tual. C’est au-delà de l’histoire, l’autre aspect plus que réussi de Cold Meat dont on aura compris qu’il s’agit d’un huis-clos anxiogène. Le face à face impensable entre le kidnappeur et sa victime au sein de l’habitacle exigu d’une voiture. Vous en révéler plus serait criminel.
Le troisième élément qui emmène Cold Meat assez haut est le travail sur les décors à la fois intérieurs et extérieurs. Surtout quand on apprend de la bouche de Sébastien qu’au final de neige il n’a pas eu un flocon à se mettre sous l’objectif de ses deux caméras. Nada, walou. Cela valait le coup d’aller jusqu’au Canada en plein mois de février (2022) dites donc. D’autant que Sébastien a eu la désagréable surprise de constater qu’il n’aurait pas le canon à neige et le ventilateur prévus de longue date. Sachant de surcroît que Sébastien a tourné Cold Meat en 13 jours + 15 jours de prépa (dont 3 avec les acteurs) avec une équipe composée à 70% de « novices ». C’est-à-dire de personnes qui n’avaient jusqu’ici jamais mis les pieds sur un tournage. Des personnes en formation qui ont fait ce choix car ils voulaient changer de voie. La production canadienne profitant ainsi d’un programme de formation propre au pays pour profiter d’une « main d’œuvre » qu’elle n’avait pas à payer. Seuls la maquilleuse (Ikara Gamache-Howard), le chef op (Ryan Petey) et l’assistant réalisateur (Marc Webb), tout trois choisis par Sébastien, étaient des professionnels.
Pour autant, le tournage ne s’est pas passé sans heurts, principalement à cause du manque de moyens et de temps. Sébastien mettant en avant son expérience dans le domaine, son expertise et son envie que le film se fasse. Un dernier point qu’il a réussi à communiquer à l’ensemble des personnes sur le tournage. Y compris les acteurs qui ont dû quand même se demander dans quelle galère ils mettaient les pieds même si il y a eu au final une belle synergie entre eux, l’équipe et le réalisateur. D’autant qu’à l’arrivée le résultat ne peut être qu’une très belle ligne à rajouter au sein de leur carrière. Car malgré tous ces handicaps, Sébastien Drouin s’est investi dans la post-prod comme un dingue. Ce qui dans les faits se calcule ainsi : 15h par jour, 7 jours sur 7 pendant 17 mois. Temps qu’il a mis pour réaliser pas moins de 430 plans VFX, le montage et l’étalonnage. Un travail harassant qui lui a tout de même donné une satisfaction. Le montage que l’on peut découvrir est le sien. C’est son « director’s cut ». Mais une « DC » pour l’instant visible seulement aux États-Unis (sur différentes plateformes comme Amazon ou i-Tune), en Angleterre sur Paramount+ UK et Irlande et en Amérique latine (sur Netflix) où d’ailleurs Cold Meat rencontre ces dernières semaines un succès d’audience plus que mérité.
Et en France ? Walou là encore. Un paradoxe quand on connaît la nationalité de son réalisateur même si Cold Meat n’est de toute façon pas un film français. Qu’attendent les plateformes françaises comme Canal Play ou les branches françaises de Netflix et autres pour franchir le pas ? Oui Sébastien est une (vieille) connaissance mais si Cold Meat ne nous avait pas tapé dans l’œil, on n’aurait pas pris la peine d’en parler ici. Et franchement c’est ce que l’on a vu de mieux dans le genre qui si on veut caricaturer un tantinet est un survivaliste nappé d’un thriller avec un peu de fantastique dedans. Bref tout ce qu’aime Sébastien Drouin qu’il partage avec une générosité incroyable mais aussi une rigueur qui respecte à la fois le spectateur et son matériau. Bien entendu tout n’est pas parfait (il y a un petit ventre mou et la partie fantastique aurait mérité autre chose que cet aspect au final anecdotique certainement dû à l’aspect budgétaire très serré du film) mais tout le reste se tient admirablement à commencer par cette montée inexorable d’adrénaline et cette façon de mettre en valeur l’environnement (que l’on rappelle quasi intégralement en rendu SFX qui blouserait les plus perspicaces) en des plans secs, jamais gratuits pour une efficacité maximale. Que l’on donne à Cold Meat la possibilité d’être vu chez nous et dans les pays encore orphelins du film. Le cinéma a tout à y gagner. Quant à Sébastien on ne peut que lui souhaiter de réaliser très vite un prochain film.
Cold Meat (2023) de Sébastien Drouin – 1h30 (Featuristic Films / Trilight Entertainment)
Résumé : Quelque part dans les Rocheuses américaines, au plus froid de l’hiver. Alors qu’il s’est arrêté dans un Diner, David prend la défense de Ana, la serveuse du restaurant, face à la violence de Vince, son ex-mari. Ayant repris la route, David se rend compte que Vince l’a pris en chasse. Pour lui échapper, il s’engage sur une route de montagne enneigée et se retrouve piégé par une terrible tempête de neige. Isolé de tout, David comprend qu’il va devoir survivre dans sa voiture. Mais il réalise vite que le froid n’est pas l’unique problème qu’il va devoir affronter…
Note : 3,5/5