Adieu poulet est le seul film policier réalisé par Pierre Granier-Deferre. Ou plutôt le seul qui lorgne du côté de la politique. Sous-genre qui dans la France des années 70 pouvait se targuer d’avoir accouché de quelques fleurons devenus des classiques aujourd’hui. On pense au hasard à Yves Boisset avec Le Juge Fayard dit « le Shériff » (1977) qui comme Adieu poulet ruait dans les brancards des institutions pour mieux en montrer non pas les limites mais plutôt leur résilience (oui mot à la mode on sait). Mais une résilience perverse. De celle qui met au pas tous ceux qui voudraient remettre en cause ses rouages ou pis, ses fondements. Dans Adieu poulet, les institutions mises en lumière sont celles qui régissent dans l’ombre une mairie et son maire qui a le bras long pour étouffer/minimiser la mort d’un flic et d’un colleur d’affiches tués tous deux en pleine campagne pour sa réélection par un de ses hommes de main/sbires. Et pour cela il faut mettre au pas le commissaire de la ville qui n’a en effet pas l’intention qu’on lui dicte sa conduite.
Le commissaire en question c’est Lino Ventura. Il endosse l’habit avec une aisance dont lui seul avait le secret avec sa mine renfrognée du gars à qui on ne l’a fait pas et le regard perçant de celui qui a toujours un coup d’avance. Pas étonnant d’ailleurs que pour l’institution policière, il soit resté une sorte de modèle ou mieux un totem jusqu’à la génération portée par l’ancien flic Olivier Marchal. À tel point d’ailleurs que la dernière phrase du film, qui n’est autre que son titre, qu’il assène à son collègue joué par Patrick Dewaere, est apparemment devenu un passage obligé quand un membre de « la Maison » est muté. Une armature scénaristique que l’on doit au demeurant au grand Francis Veber dont c’est la seule véritable incursion dans le genre (on peut aussi citer Peur sur la ville la même année mais en tant que troisième comparse avec Henri Verneuil et Jean Laborde) lui qui est plutôt connu pour ses comédies à succès au scénario et derrière la caméra. Pour autant Adieu poulet ne manque pas de cet humour (noir) propre au talent de Veber donnant au film cette patte éminemment atemporelle. Ne serait-ce que via certains dialogues savoureux. Par exemple quand un cafetier, qui vient tout juste de fermer son bar et que Ventura et Dewaere obligent à rouvrir pour lui poser quelques questions, leur dit « Un peu plus et j’étais couché », on entend fuser alors la réplique « Un peu plus et tu te relevais ». On vous a mis le passage en question ci-dessous rien que pour le plaisir.
Du Veber dans le texte qui n’a rien à envier à Michel Audiard. Du côté de Pierre Granier-Deferre qui sortait d’une série de films signifiants (La Horse / Le Chat / La Veuve Couderc / Le Train…) tous devenus des incontournables de notre cinéma, il venait d’accuser un sérieux revers au box-office avec La Cage. Film qui voyait un Lino Ventura séquestré par son ex-femme encore amoureuse n’acceptant pas sa condition de femme divorcée. Ventura prisonnier ? Apparemment les spectateurs français n’avaient pas envie de voir cela. Pour se remettre de cet échec, Ventura proposa à Granier-Deferre le scénario de Veber qu’il avait lu et validé après des demandes de modifications. Oui quand on s’appelait Lino Ventura en ce temps-là, on avait suffisamment d’influence pour initier et monter des projets sur son seul nom. C’est Granier-Deferre qui pense à Patrick Dewaere alors star montante surtout après son carton dans Les Valseuses (1974) de Bertrand Blier. Son association avec Ventura devant ainsi pouvoir réunir au cinéma deux générations de spectateurs. C’est aussi simple que ça et surtout cela marche du feu de Dieu sans que pour autant la recette soit novatrice. Il suffit de regarder juste deux ans en arrière avec Deux Hommes dans la ville de José Giovanni où Jean Gabin en ancien policier devenu éducateur social pour délinquants donnait la réplique à Alain Delon, ancien truand libéré après avoir purgé sa peine.
Granier-Deferre amène bien entendu aussi son sens de la mise en scène qui se caractérise le plus souvent par un sentiment d’enfermement où les protagonistes se cognent sur des murs invisibles. Ici la ville de Rouen dont on ne sort jamais et qui symbolise à elle seule toutes les villes de Province tenues par des édiles tellement bien en place qu’elles donnent l’apparence de baronnies. Au-demeurant l’histoire d’Adieu poulet s’inspire d’une fusillade dans la ville de Puteaux ayant entrainé la mort en 1971 d’un colleur d’affiches socialiste par les partisans du maire en place en pleine campagne municipale. Un « fait-divers » qui fut couvert à l’époque par toute la presse dont le journaliste Raf Vallet qui en a écrit un livre au titre éponyme à l’origine donc du film. Et juste pour l’anecdote (encore que), la ville de Puteaux n’a eu qu’un seul maire de 1969 à 2004. Et depuis, c’est sa fille qui a repris le flambeau… Le maire est sinon joué par Victor Lanoux, un second rôle qui lui va comme un gant alors qu’il s’était plutôt fait connaître jusqu’ici comme un acteur de comédie issu du milieu du cabaret où il a formé avec Pierre Richard un binôme resté mémorable. Il donne à voir un maire sûr de son fait, sachant actionner les bons relais pour écarter les « gêneurs » sans que pour autant il n’échappe à la fin à une forme de destin qui ne pouvait que prendre corps dans l’esprit d’un Veber frondeur et revanchard quant à la réalité du marigot politique.
Adieu poulet est donc de la race de ces films qui décrassent la pupille et marquent les esprits de par la justesse de leur propos et de leur démonstration, de par le plaisir inaltérable de (re)voir des acteurs fabuleux jusqu’aux moindres « petits » rôles : Julien Guiomar en directeur de la police (rôle de flic qu’il reprendra plus d’une fois jusque dans Les Ripoux de Zidi où son personnage de commissaire ayant sans cesse la crève et le nez bouché jusqu’à ce qu’un de ses inspecteurs – Philippe Noiret – lui fournisse des gouttes miracles, reste gravé dans les mémoires), Claude Rich en « petit » juge coincé du fion, Valérie Mairesse qui en 30 secondes nous rappelle combien elle attirait la lumière… Et enfin de par l’équilibre jamais casse-gueule de ce cinéma à message pour le plus grand nombre. La signature d’un film populaire dans son acceptation la plus noble dont on a malheureusement perdu la recette aujourd’hui.
Adieu poulet (1975) de Pierre Granier-Deferre – 1h32 (CCFC) – Au cinéma le 10 décembre 1975 (1 945 659 entrées).
Résumé : Lors d’une patrouille de nuit, en pleine campagne électorale, l’inspecteur Moitrié s’interpose dans une bagarre entre colleurs d’affiches. L’un d’entre eux tire froidement sur le policier et parvient à s’échapper. Le commissaire Verjeat et son adjoint Lefèvre sont chargés de l’enquête.
Note : 4/5