Guet-apens (1972) - Image une critique

Guet-apens – Conjugalement votre

Évoquer Guet-apens c’est forcément revenir un tantinet sur l’histoire d’un tournage non exempt de soubresauts en tous genres propres à donner un certain relief au film de Peckinpah qui restera comme le plus gros succès populaire de sa carrière alors que c’est de loin celui qu’il aime le moins.

Le Lien conjugal - Jim Thompson (1ère de Couv)

À l’origine il y a comme souvent un bouquin qui s’appelle ici Le Lien Conjugal paru en 1959 d’un certain Jim Thompson. Oui celui-là même qu’Alain Corneau avec Des cliques et des cloaques paru en 1967 a adapté pour donner Série noire (1979) ou encore Bertrand Tavernier avec 1275 âmes paru en 1966 pour Coup de torchon (1981). Pour ne rester qu’au sein de la production française. Cela faisait en effet un moment que Sam Peckinpah avait repéré le livre de Thompson et qu’il cherchait à en acquérir les droits pour le porter lui-même à l’écran. Mais au final c’est le déjà incontournable Robert Evans qui mettra la main dessus pour une somme assez rondelette compte tenu du pedigree de l’auteur alors quasi inconnu. Est-il besoin à ce stade de présenter Bob Evans ? Pour les quelques lecteurs du fond adossés au radiateurs, Evans était alors l’un des producteurs les plus influents d’Hollywood travaillant pour la Paramount qu’il remit d’ailleurs à flot avec des films tels que Rosemary’s Baby de Roman Polanski (1968), Love Story d’Arthur Hiller (1970) ou Le Parrain de Francis Ford Coppola (1972). La volonté d’Evans était alors de trouver un film où faire jouer sa compagne du moment, la mannequin Ali MacGraw, en l’associant à une tête d’affiche. Il confie le livre et l’adaptation déjà écrite par l’écrivain lui-même à un de ses protégés, le réalisateur Peter Bogdanovich sans aucune indication particulière sinon de surfer sur les films de gangsters du moment initiés par le carton au box-office de Bonnie et Clyde qu’Arthur Penn a réalisé en 1967.

Pas du tout convaincu par l’adaptation effectuée par Thompson, Bogdanovich engage Walter Hill pour l’aider dans la réécriture. Le Walter Hill de ce début des années 70 n’avait alors que très peu d’expérience et s’est donc soumis aux desiderata de Bogdanovich qui voulait édulcorer le ton très noir et pessimiste du roman. Bob Evans qui était alors totalement impliqué sur Gatsby le Magnifique avec dans le rôle-titre Robert Redford, un projet qui lui tenait énormément à cœur, propose le rôle de Carter « Doc » McCoy à Steve McQueen qui sortait du four Le Mans (1971) et de la déception là aussi au box-office de Junior Bonner (1972) mais où il avait énormément apprécié sa collaboration avec Sam Peckinpah. Steve McQueen restait une superstar et Evans trouvait là enfin un film où il pourrait caser Ali MacGraw. Du côté de Bogdanovich cette doublette n’avait pas ses faveurs. Il misait en effet plus sur un ticket Cybil Sheperd (sa compagne du moment) / Ryan O’Neal. Il est donc écarté du projet que va finalement reprendre à son compte Steve McQueen (Evans étant trop pris sur Gatsby et surtout ne voyait au final dans cette histoire qu’un vulgaire polar censé toutefois permettre à sa compagne de se faire les dents) pour engager Peckinpah. Ce même Peckinpah qui rêvait de porter à l’écran le roman de Jim Thompson. La boucle était donc bouclée.

Mais les ennuis ne faisaient en fait que commencer puisque Peckinpah prend alors connaissance du scénario de Walter Hill qu’il trouve nul. Dans l’impossibilité de remédier à quoi que ce soit, il compensera par sa mise en scène devenue sa signature faite de ralentis où la violence graphique est décuplée et de gros plans accentuant les mines patibulaires de seconds couteaux issus de son bestiaire habituel. Pour lui le couple n’a plus cette saveur de chaos et de cynisme du roman. Le scénario ne laissant place qu’à une sorte de romance à peine contrariée par l’infidélité de l’un pourtant mis au service de l’autre. Un avis que nous ne partageons pas totalement. Si Ali MacGraw a en effet bien du mal à exister par son jeu, elle domine le reste par sa seule présence et sa prestance. Elle irradie l’image par une forme de sensualité à la limite de l’érotisme évidente alors que dans le même temps le couple à l’écran est devenu un couple à la ville. Transpire alors une passion qui s’embrase dès qu’ils apparaissent à l’image. Par ailleurs la cavale en elle-même ne manque pas de climax jouissifs et même si le casse de la banque en lui-même n’a rien de bien folichon, toute la préparation et surtout l’immédiate suite restent savoureux. Sans parler du gunfight final qui demeure un modèle du genre en matière de montage, de ralentis (forcément) et d’angles de prise de vue.

Ça c’est pour la scène. Car dans la coulisse, outre la romance MacGraw / McQueen qui remonte jusqu’aux oreilles d’un Evans furibard mettant sous tension l’équipe qui s’attend à tout moment que le boss de la Paramount débarque sur le plateau, c’est le chaos. Peckinpah est souvent bourré sur le tournage quand McQueen est sous coke par intraveineuse. Les deux se foutent régulièrement sur la gueule, accentué par des egos surdimensionnés. La post-prod n’est pas de tout repos non plus avec un McQueen qui revoit en partie le montage validé par Peckinpah et qui surtout remplace Jerry Fielding, collaborateur régulier de Peckinpah, par Quincy Jones à la musique. Le Blu-ray (le seul existant édité en 2007) propose d’ailleurs la séquence du casse totalement mixé avec le score de Fielding ainsi qu’une piste audio isolée couvrant tout le film. Ce qui permet de constater que la composition de Quincy Jones était plus dans l’air du temps avec ces sonorités très blaxploitation qui allaient devenir monnaie courante durant toute la décennie. Peckinpah sortira une nouvelle fois de ses gonds et publiera à ses frais une double page dans Variety pour clamer sa colère et son opposition à cette décision opérée dans son dos. Toujours au sein du Blu-ray, on peut y voir un document vidéo réunissant la veuve de Fielding, sa fille et la dernière assistante de Peckinpah aborder cet épisode douloureux dans la carrière des deux hommes.

Guet-apens (1972) - Affiche FR

Et pourtant. Et pourtant Guet-apens engrangera un impressionnant 37M de dollars au box-office ricain (soit 250M au cours d’aujourd’hui) et attirera 1 294 253 spectateurs dans les salles françaises pour un budget de 3,3M. Guet-apens est devenu un des films phares de la décennie, il permet à Steve McQueen de stopper l’hémorragie des déconvenues au box-office et d’enchaîner l’année suivante avec l’excellent Papillon de Franklin J. Schaffner et surtout La Tour infernale (John Guillermin et Irwin Allen) en 1974 qui sera un immense carton planétaire, le dernier pour la star qui décèdera prématurément en 1980. Ali MacGraw, quant à elle, se mariera avec McQueen en 1973 pour divorcer en 1978 après cinq années de purgatoire où elle subira les affres d’un homme jaloux, paranoïaque, violent, sous coke qui l’obligera à mettre un terme à sa carrière d’actrice. C’est avec Peckinpah qu’elle reviendra sur le devant de la scène avec Le Convoi (1978), une purge intersidérale où tant le réal que MacGraw traverseront tels des ectoplasmes imbibés d’alcool pour l’un et totalement addict à différents psychotropes pour l’autre.

Quoi qu’il en soit, si Guet-apens n’est certainement pas au niveau des quelques fleurons que Sam Peckinpah commettra par la suite tels que Pat Garrett et Billy le Kid l’année suivante et surtout Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia qu’il réalisera en 1974, il n’a pas à rougir du résultat final. Guet-apens se regarde en effet avec toujours autant de plaisir. Certes il n’approfondit pas vraiment la relation du couple star, certes leur cavale n’est pas toujours des plus palpitantes, certes Ali MacGraw a un peu de mal à tenir la distance. Mais tout cela est largement compensé par une réalisation qui ne taille pas dans le gras, qui se fait plaisir et nous avec, qui s’amuse à mettre en valeur les seconds couteaux bénéficiant eux d’une caractérisation improbable et surtout qui ne lâche paradoxalement jamais son histoire qu’il rend incroyablement accrocheuse de par justement ses fulgurances et inspirations de mise en scène. Guet-apens n’est même plus/pas un film malade mais une improbable leçon de cinéma qu’aucun « actionner » des années 80 qui se sont prévalus ses héritiers ne peut prétendre à lui arriver ne serait-ce qu’à la cheville.

Ps : Au sein de notre fiche film que vous pouvez consulter en cliquant ici, vous trouverez quelques infos supplémentaires et surtout un petit compte-rendu détaillé du Blu-ray.

Guet-apens (1972) de Sam Peckinpah – 2h02 (PRODIS) – Au cinéma le 1er février 1973 (1 294 253 entrées).

Résumé : Le prisonnier Doc McCoy a accepté le marché que lui a proposé son avocat : commettre un hold-up en échange de sa remise en liberté. Il réussit le coup avec l’aide de sa jeune femme Carole. Mais il découvre vite qu’il a conclu un marché de dupes et que son arrêt de mort est signé…

Note : 3,5/5

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