Leurs Enfants après eux - Image une critique

Leurs Enfants après eux – I Will Survive

Toujours compliqué de passer après un livre, surtout quand il a été récompensé en 2018 par le Goncourt occasionnant dans la foulée un succès en librairie dont la moyenne s’articule depuis une dizaine d’années sur un peu plus de 500 000 exemplaires vendus. D’autant que Leurs enfants après eux fait partie de ces Goncourt qui sont lus et dont la cote ne cesse de s’affirmer avec le temps (à la différence de ceux que l’on achète parce que c’est un Goncourt et pour lesquels on ne va pas aller au-delà du premier chapitre). Oui donc très compliqué d’adapter ce genre de bouquin puisqu’un bon nombre d’entre nous aura forcément sa petite idée de comment il faut porter cette histoire à l’écran, de ce qu’il ne faut pas omettre, de quel acteur ou quelle actrice choisir, sans parler du réalisateur ou de la réalisatrice. Bref, Leurs Enfants après eux est LE projet casse-gueule par excellence. Et à l’arrivée, c’est une INDISCUTABLE réussite.

Leurs Enfants après eux - Affiche

Et pourtant. À la découverte des noms des deux réals, on avait d’office condamné la chose. Mais qu’est-ce que les frères Boukherma venaient faire dans cette histoire ? Ceux à qui on doit Teddy (2020) et surtout L’Année du requin (2022) – On l’avoue humblement, on n’a pas vu Willy 1er (2016), leur premier long – deux ratages quasi complets cependant encensés par certain (enfin surtout Teddy) qui se voulaient des relectures de sous-genres popularisés en leur temps par le cinéma US. Et pourtant, Gilles Lellouche faisant partie des convaincus de leur cinéma, a soufflé leur blaze aux producteurs Alain Attal (Trésor Films) et Hugo Sélignac (Chi-Fou-Mi Productions) qui avaient acheté les droits du roman pour lui en confier justement l’adaptation. Mais Gilles Lellouche ayant un gros bébé en préparation nommé L’Amour ouf a préféré passer la main tout en restant attaché au projet en endossant le costume de « simple » acteur. Il faut donc croire que l’on avait tout faux et que Monsieur Lellouche a eu le nez creux de leur confier les clés d’un camion qu’ils ont pris en main depuis l’écriture jusqu’à la réalisation. Non pour l’emmener à bon port mais bien pour en faire une œuvre qui doit certes beaucoup au livre de Nicolas Mathieu mais aussi beaucoup à un véritable talent de conteur, à une sensibilité qui leur est propre, à un sens de la mise en scène qui rappelle à certains moments le Claude Berri de Tchao Pantin (entre naturalisme et épure) et à un travail sur la direction d’acteurs qui du haut de leur 30 ans est juste remarquable.

Et puis il y a cette connexion évidente entre ce que raconte Leurs Enfants après eux et leur propre expérience de vie comme ils ont aimé le répéter durant la promo et en particulier ici pour le Figaro. Ils ont beau ne pas avoir connu les années 90 que dépeint leur film, ils se sont pourtant retrouvés en ces ados désœuvrés et en cette France profonde où l’horizon est bouché surtout quand on est issu d’une famille et d’une classe sociale qui n’ont que très peu de clés de réussite à offrir à leurs progénitures. Ils ont vécu cette confrontation de classes quand ils sont « montés » sur Paris pour accomplir leur rêve de cinéma tout comme le « héros » du film qui tombe amoureux d’une fille inaccessible. Mais Leurs Enfants après eux raconte aussi une décennie qui se termine lors de la demi-finale de la coupe du monde 98. Quand la France devenait alors « Black-Blanc-Beur ». Mais en fait non car Leurs Enfants après eux montre plutôt en filigrane cette France qui commence à se déliter annonçant ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

C’était la force du livre et c’est le pari tenu par le film qui se concentre sur le « présent » laissant tomber les nombreuses et homériques digressions du livre. Et cela marche. Et surtout cela n’oblitère jamais le plaisir de constater à quel point le style à la fois direct et outrageusement poétique de l’auteur Nicolas Matheux devient en image d’une incroyable efficacité doublée d’une ambition formelle qui embrase les sens. Oui on est soufflé par une telle métamorphose des frères cinéastes d’autant qu’au-delà de la forme et du fond, Leurs Enfants après eux bénéficie aussi d’un bestiaire d’acteurs qu’ils ont su diriger en les maintenant sans cesse sur la corde raide. À commencer par Paul Kircher qui s’est révélé au plus grand nombre l’année dernière avec Le Règne animal et qui emporte ici le morceau dans la peau de cet ado qui se cherche un destin entre un père alcoolique (Gilles Lellouche), une mère effacée (Ludivine Sagnier incroyable de justesse), une moto volée (celle de son père devenue avec le temps le témoin d’une jeunesse perdue) par un jeune de la cité d’à côté et une fille qui le calcule plus par désœuvrement et curiosité anthropologique.

Leurs Enfants après eux est de la race de ces films dont l’équilibre tient du quasi miracle même si tout n’y est pas parfait car, forcément, le primo lecteur regrettera quelques parti pris dans l’adaptation et surtout la mise en retrait du troisième larron joué par Sayyid El Alami qui dans le livre emporte l’histoire bien plus avant dans la réflexion sociétale. Mais une adaptation c’est d’abord faire des choix et on n’a aucun doute pour deviner que celui-ci a dû être difficile. Mais il se fait dans un souci d’équilibre narratif contenu en un peu plus de 2 heures qui permet enfin d’avoir pour quatrième personnage central cette région de l’Est de la France où les hauts fourneaux, poumons économiques lors des « Trente Glorieuses », appartiennent déjà au passé. Une volonté sans aucun doute budgétaire (une petite ville de province dans les années 90 ne demande pas un lourd budget en termes de reconstitution à partir du moment où l’on repère les bonnes maisons et les bonnes rues restées dans leur jus) qui n’handicape en rien le film. Bien au contraire.

Ludovic et Zoran Boukherma font preuve avec Leurs Enfants après eux d’une incroyable maturité qu’ils vont donc puiser au plus profond de leur intimité. Une mise à nue que l’on ne peut que saluer bien bas et qui nous renvoie à nos propres convictions éparpillées ici façon puzzle aux quatre coins de nos certitudes. Qu’ils en soient la aussi remerciés.

Leurs Enfants après eux (2024) de Ludovic et Zoran Boukherma – 2h21 (Warner Bros. France) – Au cinéma le 4 décembre 2024.

Résumé : Août 92. Une vallée perdue dans l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus. Anthony, quatorze ans, s’ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie. Le coup de foudre est tel que le soir même, il emprunte secrètement la moto de son père pour se rendre à une soirée où il espère la retrouver. Lorsque le lendemain matin, il s’aperçoit que la moto a disparu, sa vie bascule.

Note : 4/5

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