Planète des singes - Dossier - Image Une

Aux (véritables) origines de la Planète des singes

Si la nouvelle trilogie qui vient de s’achever avec La Planète des Singes – Suprématie de Matt Reeves (lire notre critique) est bien plus convaincante que la tentative de reboot totalement lobotomisée réalisée par Burton en 2001, il met surtout en évidence, même si c’est  un peu à son insu, la vitalité et la richesse d’une histoire initiée par Pierre Boulle et dont on n’a pas finit à l’évidence d’en épuiser le filon. L’occasion est donc trop belle pour ne pas se faire plaisir et se replonger dans les coulisses d’une franchise on ne peut plus lucrative bien avant le phénomène Star Wars puisque débutée en 1968 avec le film réalisé par Franklin J. Schaffner. On s’appuiera pour ce faire sur l’extraordinaire documentaire produit pour le très beau coffret DVD paru en 2000 qui réunissait déjà les cinq premiers films et repris depuis sur le coffret Blu-ray paru en 2008.

La Planète des singes - Couverture livre Pierre Boulle 1963

Première édition La Planète des singes par Pierre Boulle – 1963

À l’origine donc, il y a l’écrivain français Pierre Boulle qui n’était pas un inconnu à Hollywood puisqu’on lui devait déjà le livre qui allait donner Le Pont de la rivière Kwaï. Publié en 1963, les droits de La Planète des singes furent tout de suite acquis par un certain Arthur P. Jacobs en vue d’une adaptation cinématographique. D’abord agent de stars réputé, Jacobs est devenu au début des années 60 un producteur avec des fortunes diverses mais déjà reconnu comme étant un homme habile et créatif. C’est en 1964 qu’il commence à s’atteler au projet de La Planète des singes, demandant d’abord à Pierre Boulle d’écrire lui même l’adaptation cinématographique de son livre. Celui-ci refusant tout net considérant que son livre n’avait aucun potentiel, il se tourne vers Rod Serling alors grand manitou et scénariste de la série La Quatrième dimension. Après un an et pas moins de trente versions, Rod Serling accouche finalement d’une version qui sera présentée à Richard F. Zanuck alors à la tête de la Fox. Entre-temps Jacobs n’a pas perdu de temps puisqu’il met sur le coup Charlton Heston (un tel projet nécessitait une star pour faire passer la pilule aux studios) qui, enthousiaste par le rôle qu’il entrevoit pour lui, attire à son tour Schaffner dans la danse. Zanuck fils voit très vite l’intérêt de faire un tel film mais émet une réserve quant à la défiance du public devant des acteurs grimés en singe. Il est donc décidé de procéder à un test filmé où sera mis en avant des essais de maquillage. Jacobs choisira la scène de la poupée qui parle telle qu’elle était prévue dans le scénario de Serling. Tourné le 8 mars 1966, il montre un Charlton Heston sous une tente en grande conversation avec Edward G. Robinson grimé en un Dr Zaius certes plus humain que singe mais suffisamment plausible pour que Zanuck donne son feu vert.

Jacobs commença immédiatement par engager un spécialiste des latex et prothèses en la personne de John Chambers, entre autre connu jusqu’ici pour son design des oreilles de Spock ainsi que pour de multiples maquillages dans d’autres séries. Il fallut ensuite revoir le scénario de Serling qui, de par sa fidélité au roman de Boulle, décrivait une société simiesque très avancée, impliquant la création d’un univers futuriste trop onéreux pour le budget alloué (au final 5,8 millions de dollars). Intervient alors Michael Wilson. Familier de l’univers de Boulle puisqu’il a fait partie, avec Carl Foreman, de ceux qui adaptèrent Le Pont de la rivière Kwaï sans en être crédité, il revoit le script avec l’idée directrice d’une société de singes plus archaïque et organisée selon un système de castes. Il amène aussi avec lui sa propre expérience d’homme qui fut blacklisté lors du MacCarthysme. C’est grâce à lui que le film a cette envergure politique et cette touche philosophique que s’est toujours refusé à voir Zanuck, ce qui en dit long finalement sur ses motivations mais qui cadre bien avec son rôle de chef d’entreprise vendant du rêve. Niveau casting, Maurice Evans reprendra le rôle du Dr Zaius abandonné par Robinson qui trouvait le temps de maquillage trop long et exténuant. Kim Hunter (l’inoubliable Stella dans Un tramway nommé Désir) est aussi impressionnée par le temps qu’il faut pour se transformer en Dr Zira donnant à voir au sein du doc déjà cité d’ailleurs quelques séquences de maquillage et de screen test très précieuses. Roddy McDowall qui embrassera quant à lui le rôle de Cornelius (il sera d’ailleurs de toutes les suites à l’exception notable du deuxième film) complète finalement un casting assez prestigieux.

La Planète des singes - Affiche France 1968

Le 21 mai 1967 est donné le premier tour de manivelle d’un film qui marquera de son sceau le genre mais aussi le cinéma tout court, ne serait-ce que par sa fin qui est restée dans toutes les mémoires. Celle-ci fut d’ailleurs sujette à bien des controverses tout au long des multiples versions du scénario et ce jusque pendant le tournage. Devait-on en effet orienter le récit vers une possibilité d’avenir ? Une scène fut tournée en ce sens montrant Nova (Linda Harrison, la petite amie du moment de Zanuck) enceinte, ce qui ouvrait la porte à une suite impliquant on ne sait quelle naissance d’une race de super humains. Ou tout simplement Taylor ne devait-il pas affronter une dernière fois ses propres craintes et ses désillusions quant à la race humaine ? On connaît la suite et l’image choc de la statue de la liberté gisant sur le sable. Une fin confirmant réellement la volonté que tous œuvraient à la réalisation d’un unique opus. Mais c’était sans compter le véritable phénomène qui se créa autour du film le propulsant véritablement au firmament de la renommée internationale. Et c’est donc tout naturellement vers Serling et Boulle (ce dernier ne se faisant plus prier devant le phénomène mondial qu’était devenu le film) que Jacobs se tourna pour envisager une suite. Il y eut un nombre incalculable d’ébauches dont une qui s’intitulait La Planète des hommes en partie repris d’ailleurs pour le troisième film. Mais au final, toutes furent refusées par Jacobs considérant qu’aucune n’arriverait à rivaliser avec le choc visuel du premier, et pour cause. Entre alors dans l’arène Paul Dehn connut à l’époque pour ses scénarii de films d’espionnages (il a co-écrit celui de Goldfinger) ainsi que pour avoir gagné la fameuse statuette d’or en 1952 avec Ultimatum, film anglais réalisé par les frères Boulting. Il sera le maître à penser des quatre suites lui donnant au final cette structure à la fois fluide et logique permettant surtout à la Fox de rentabiliser jusqu’au boutiste le concept initial. Il dû pour cela surmonter pas mal d’interrogations comme celle d’introduire ou non l’idée d’un enfant mi-homme mi-singe dans la première suite. L’idée était même allée très loin puisqu’il existe des tests qui sont montrés dans un screenshot peu connu et vu.

Le Secret de la planète des singes - Affiche Fr

Mais ce qui fut finalement retenu pour Le Secret de la planète des singes est une confrontation apocalyptique entre des humains mutants cachés dans un New-York enseveli et les singes emmenés par une armée de gorilles. Si Charlton Heston y reprend le rôle de Taylor c’est pour rendre la pareille à Zanuck qui avait permis au premier film d’exister mais aussi car Ted Post, le nouveau réalisateur, en avait fait la condition sine qua non de son engagement dans le projet. Mais l’acteur disparaît à l’écran dès le début pour mieux réapparaître à la fin et provoquer au final la destruction de la Terre. Comme il le dit dans le documentaire, il se méfiait avant tout d’une autre suite. Chose qui arrivera pourtant au vu du succès populaire non démenti du film mettant au supplice un Paul Dehn n’ayant comme matériaux de départ qu’une Terre qui n’existe plus. Le salut viendra du vaisseau de Taylor que Zira et Cornelius ont récupéré et réparé (avec toutes les invraisemblances que cela comporte) pour revenir dans le temps, échappant du même coup à la destruction de la planète.

Les Evadés de la planète des singes - Affiche Fr

Pour Les Évadés de la planète des singes et son réalisateur Don Taylor, l’idée était de revenir au concept initial avec un message de tolérance face à l’invraisemblable. Le meilleur film des quatre sequels se termine ainsi par une fin ouverte avec la naissance du petit chimpanzé qui dit « maman » lors du plan final. Paul Dehn anticipait ainsi un quatrième et inévitable opus ne voulant pas se retrouver dans la même situation inextricable qu’il avait dû surmonter lors de la genèse des  Évadés…

La Coquête de la planète des singes - Affiche Fr

C’est ainsi que La Conquête de la planète des singes s’ouvre sur une société proche de la dictature où les singes ont remplacé chiens et chats, disparus lors d’une mystérieuse épidémie, devenant les esclaves des êtres humains. César, le fils de Zira et Cornelius, fomente la révolte qui renversera la race humaine permettant aux singes de régner en maître. Comme l’a bien noté le critique américain et historien du cinéma Eric Greene, seul un film de science-fiction pouvait aborder un tel sujet rappelant évidemment les émeutes de Watts de 1965. Mais le public familial, qui était son noyau dur, se détournera définitivement de la série. Le final fut pourtant modifié en post production devant l’incrédulité du public test renvoyant une image improbable d’un César plus humain que les humains. Mais cela ne suffit pas à gommer les ramifications contestataires par trop évidentes et violentes et le film n’engrangea pas les mêmes dividendes populaires. Il aura pourtant conquis le public des ghettos noirs, plus mature et plus engagé, qui ne se trompait pas en voyant dans le film des liens directs avec leur propre histoire ainsi que plus généralement celui qui se gargarisait à l’époque de films tels que L’Inspecteur Harry, French Connection ou Shaft.

La Bataille de la planète des singes - Affiche fr

Quoi qu’il en soit une nouvelle suite (qui s’avèrera donc être la dernière) intitulée La Bataille de la planète des singes verra le jour. Bâclé et sans budget, le film est censé mettre un point final à la saga en se terminant par une réconciliation entre l’homme et le singe. Voulu comme le plus optimiste de tous, il va toutefois à l’encontre de la noirceur de l’ensemble de la série et peut facilement être oublié. Il affirme cependant d’une manière incidente que le retour dans le temps opéré par Zira et Cornelius dans le troisième opus aura finalement changé la destinée de la Terre censée pourtant disparaître dans une dernière explosion nucléaire. Paul Dehn fut secondé dans cette dernière tâche par le couple Corrington, auteur du culte The Omega Man (Le Survivant en français) avec Charlton Heston, car la Fox n’aimait pas le scénario original de Dehn pourtant bien plus alléchant sur le papier. La saga devait en effet se terminer par une note très pessimiste puisque César était tué, permettant à la caste des gorilles de s’emparer du pouvoir et d’opérer une extermination en règle des humains. Ce qui renvoyait directement à la situation sociale que découvre Charlton Heston dans La Planète des singes. La boucle était bouclée.

Bonus : La série TV, le dessin animé et le merchandising

Depuis 1971, Arthur P. Jacobs travaillait à l’adaptation de la franchise sur le petit écran. Mais le succès des différentes suites repoussait sans cesse son avènement. Il fallut attendre paradoxalement sa mort et la reprise du projet par la Fox pour voir débouler la saga sous forme d’une série TV dont le premier épisode fut diffusé sur CBS le 13 septembre 1974 et où Roddy McDowall y reprenait son rôle de Cornelius. Au bout de quatre mois et treize épisodes, la série fut arrêtée, ne trouvant pas son public, le concept semblant au demeurant voué à l’échec dès le début. Deux astronautes arrivent sur la planète en question et sont pourchassés d’épisode en épisode. Une redondance qui ne pouvait que lasser très rapidement, rappelant celui du Fugitif qui, lui, avait pourtant cartonné. Elle fut pour la première fois diffusée en France sur Antenne 2 à partir du 17 décembre 1975.

Signalons aussi l’existence d’un dessin animé qui n’eut pas plus de succès mais qui revenait aux sources du livre de Boulle puisqu’on pouvait y voir les singes conduire des voitures ou piloter des avions sous-entendant une société simiesque beaucoup plus avancée que dans les films et la série. Return to the Planet of the Apes a réuni 13 épisodes de 30 minutes. Elle fut diffusée entre le 6 septembre et le 8 novembre 1975 sur le réseau NBC. Elle n’a jamais été diffusée en France.

Enfin, il faut savoir que pour promouvoir la série, la Fox ressortit les cinq films en salles, que l’on pouvait donc revoir d’une traite si on le désirait tout en l’accompagnant d’une campagne de merchandising jamais vue pour l’époque. En effet, elle accorda la licence à pas moins de 60 entreprises qui fabriquèrent plus de 300 produits dérivés constituant une formidable manne pour le Studio. Ce qui était pour l’époque une expérimentation réussie est devenu avec le temps un passage obligé que nous ne connaissons que trop bien aujourd’hui. Une systématisation que l’on ne doit donc pas à la trilogie lucasienne (comme on pourrait le croire) mais bien à La Planète des singes.

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *