L'Homme sauvage (The Stalking Moon) - Affiche US

On regarde quoi ce soir ? : L’Homme sauvage de Robert Mulligan

Au commencement du site on appelait ça la reco couch potato. Soit le film à voir en mode larve de canap. Et des chroniques de ce genre on en a fait quelques unes. Mais après il faut croire qu’on se lasse et puis surtout on ne trouvait pas le titre de rubrique qui claque. Quelque chose qui fasse moins nerdeux boutonneux en pamoison devant le personnage du Baron Vladimir Harkonnen dans le Dune de Lynch. Mais confinement oblige, on s’est dit qu’il fallait réactiver la chose. Et en guise de nouveau titre on a trouvé On regarde quoi ce soir ?
On n’est pas certain que ça claque plus…

Ce qui nous intéresse en fait c’est de vous parler de films qui nous causent, qui nous ont marqués ou qui mériteraient d’être (re)vus sans pour autant chercher à faire dans de la cinéphilie de comptoir où il est plus facile de pérorer des aphorismes la langue pâteuse que de débiter des vérités à même de communiquer notre passion.

Quoi regarder donc le temps d’un soir de confinement (il parait que cela va devenir à la mode) ? Et pourquoi pas en couple, entre potes ou en famille entre deux attaques de virus issus de la mondialisation galopante. On va aussi essayer de vous guider quant à la meilleure façon de le (re)voir tant en DVD qu’en Blu-ray 4K ou non, en téléchargement légale ou illégale (on n’est pas sectaire à DC) ou pourquoi pas s’il devait y avoir un passage en téloche. À l’ancienne quoi. Vous pouvez aussi vous garder cette reco pour vous la mettre derrière l’oreille et la fumer pour plus tard (oui, la chute n’est pas terrible mais on n’a pas trouvé mieux) quand vous aurez acquis votre île déserte une fois la fin du monde actée.

En attendant ce futur glamour, ce soir on vous propose de (re)découvrir

L'Homme sauvage - Affiche

Le film

Sam Varner s’apprête à quitter le détachement militaire où il sert comme éclaireur. Sa dernière mission, au cœur du pays apache, lui permet de libérer Sarah, une femme blanche, retenue prisonnière des Indiens depuis neuf ans, ainsi que son fils métis. Mais le père de l’enfant ne l’entend pas ainsi…

L’Homme sauvage est un western qui s’inscrit à l’évidence dans une volonté de se démarquer de la production ad hoc du moment dont la dynamique s’exporte dorénavant depuis l’Europe. D’autant qu’en cette année 68 déboulait sur les écrans du monde entier un certain Il était une fois dans l’Ouest qui allait devenir instantanément la norme, marquer durablement le genre mais aussi en acter définitivement son déclin. Du côté d’Hollywood on a en effet bien du mal à se renouveler quand bien même on chercherait encore à le faire. Ainsi, en cette fin des années 60, c’est à la télé que l’on trouve désormais les ersatz d’un âge d’or pas si lointain avec des séries comme Bonanza ou Le Virginien qui ont remplacées en prime time Au nom de la loi (1958 – 1961) d’où a émergé Steve McQueen ou encore Rawhide (1959 – 1966) qui a donné l’opportunité à Clint Eastwood d’aller se griller quelques cigarillos du côté de chez Sergio Leone justement avec en retour un statut de star internationale en devenir. Au cinéma, les films qui méritent d’être cités se comptent sur les doigts d’une main. Dans une veine classique, Les Professionnels (1966) de Richard Brooks ou El Dorado (1967) de Howard Hawks rappellent en effet les derniers feux d’un savoir faire qui fait encore recette quand Butch Cassidy and the Sundance Kid de George Roy Hill et surtout La Horde Sauvage de Sam Peckinpah, tous deux réalisés en 1969, assimilent à leur manière la révolution visuelle et philosophique venue d’Italie. Coincé entre ces deux tendances pas forcément antinomiques on trouve donc L’Homme sauvage de Robert Mulligan.

L'Homme sauvage (The Stalking Moon) - Affiche US

C’est qu’en fait de western, L’homme sauvage serait plus à ranger du côté du thriller fantastique filmé dans le grand ouest sauvage américain. On est de surcroît assez loin de la plupart des préoccupations du moment à commencer par celles qui tendent à réhabiliter l’image de l’indien dans la continuité de cette guerre du Vietnam de plus en plus impopulaire. Le Vietcong étant assimilée par la propagande d’État à ces êtres cruels, sanguinaires et sauvages comme pouvait l’être l’indien dans la plupart des westerns. Ainsi, en 1968 on est plus ou moins à la croisée des chemins sur le sujet. Si La Flèche brisée de Delmer Daves va lancer le mouvement dès 1950, c’est en effet à la fin des années 60 que les choses vont véritablement prendre une tournure définitive dans la reconnaissance de l’Amérindien comme le peuple originel ayant subit de surcroît le génocide que l’on sait. Des films comme Soldat bleu de Ralph Nelson et Little Big Man d’Arthur Penn en 1970 sont à ce titre emblématiques de cette prise de conscience sans retour en arrière possible.

L'Homme sauvage (The Stalking Moon) - Eva Marie SaintEva Marie Saint

Pour autant, il est bien question d’indiens dans L’Homme sauvage. C’est même le terreau fertile et la motivation essentielle de tout l’arc narratif qui adapte un roman signé Theodore Victor Olsen, grande figure ricaine de la littérature western à qui l’on doit d’ailleurs Soldat bleu. Mais Mulligan a su aussi y insuffler ses propres obsessions comme le monde de l’enfance témoin privilégié de celui des adultes. Ainsi, si L’Homme sauvage ne se découvre pas à hauteur d’enfant comme L’Autre qu’il réalisera en 1972 ou Du silence et des ombres en 1962, c’est bien un petit métis de 8 ans qui est au centre du récit. Celui que voudra récupérer coûte que coûte son apache de père connu aussi pour être le rebel Salvaje qui cause désolation et meurtres en pagaille dans la région. Sa confrontation avec l’ex éclaireur de l’armée interprété avec aplomb par Gregory Peck qui a pris sous son aile son fils et sa mère (Eva Marie Saint très loin de l’image glamour façonnée 10 ans plus  tôt par Hitchcock dans La Mort aux trousses), femme blanche rescapée il y a 9 ans du massacre de sa famille perpétrée par les apaches, est l’autre fil rouge de L’Homme sauvage. Jusqu’au final haletant qui se caractérise par une mise en scène proche du cauchemar éveillé, sans dialogue et d’où sourd une violence en off (à l’exception des 5 dernières minutes) qui participent à l’atmosphère empreinte de fantastique du film.

L'Homme sauvage - Gregory PeckGregory Peck

Salvaje symbolise en effet ce fantôme, cet esprit frappeur, qui hante une Amérique en proie à ses démons. On ne le voit jamais. Même sur la fin quand l’affrontement est enfin frontal, on ne distingue quasiment pas son visage. Il est d’abord une ombre, ensuite un profil qui sait se fondre au sein d’un paysage accidenté et majestueux pour devenir enfin ce corps anguleux, sec, et vif uniquement mû par le désir de récupérer ce qui lui appartient. Et quelqu’en soit l’issue, Mulligan ne laisse aucun doute quant à la symbolique de ce final ainsi qu’aux stigmates indélébiles portés au flanc de cette jeune nation qu’il se refuse in fine de juger. C’est d’ailleurs l’autre réussite de L’Homme sauvage. Dans sa propension à toujours tenir sa démonstration, son histoire, sa mise en scène et ses personnages sur le fil d’un rasoir qui va jusque dans l’utilisation pour le moins chiche des dialogues. La caisse de résonance n’en est que plus assourdissante, efficace et pour tout dire bluffante.

Ps : À noter pour la bonne bouche le jeune Robert Forster dont c’est ici la deuxième apparition au cinéma après son petit rôle remarqué dans Reflet dans un œil d’or de John Huston l’année précédente. Celui qui a rejoint le cimetière des braves d’Hollywood en octobre 2019 et dont la carrière fut plus que prolifique (spontanément nous revient en tête son personnage de chargé de caution dans Jackie Brown de Tarantino) joue ici un éclaireur métis que Gregory Peck a formé tel un père de substitution.

L'Homme sauvage (The Stalking Moon) - Robert ForsterRobert Forster

Le réalisateur

On l’a déjà mentionné plus haut. On doit certainement à Robert Mulligan l’un des films les plus importants du cinéma avec Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird – 1962) qui se déroule dans une petite ville du sud des États-Unis dans les années 30. On y trouve déjà Gregory Peck qui endosse ici le costume d’un avocat intègre élevant seul ses deux enfants (tout le film se déroule à leur hauteur) après la mort de sa femme et qui accepte de défendre un homme noir accusé de viol. Film aux trois Oscars dont celui du meilleur acteur pour Peck, il reprenait aussi une collaboration entamée sur son premier film avec un certain Alan J. Pakula alors producteur qui se terminera 5 films plus tard avec L’Homme sauvage. C’est peu de dire que voilà un réal à la renommée plutôt discrète aujourd’hui. C’est qu’au delà de la reconnaissance légitime qui intervient à l’issue de la sortie de Du Silence et des ombres, seul Un été 42 qu’il réalisera en 1971 lui apportera celle du grand public. Cette chronique des premiers émois d’un adolescent de 15 ans envers une jeune épouse dont le mari est parti à la guerre reste encore aujourd’hui un sommet d’élégance dans la mise en scène et dans cette façon d’idéaliser une époque que le cinéaste a vécue.

Mais Mulligan c’est beaucoup d’autres films au moins aussi importants qui forment une œuvre à part et très personnelle. En France on lui collerait l’étiquette d’auteur sans problème. Et ce n’est pas Truffaut qui nous dirait le contraire, lui qui s’était enthousiasmé dans Les Cahiers du Cinéma à la vision de Prisonnier de la peur (Fear Strikes Out), son premier film réalisé en 1957 qui racontait la lente descente dans la folie d’un jeune joueur de baseball (interprété par Anthony Perkins) sans cesse poussé par son père pour devenir le meilleur dans son sport. Sans vouloir tout lister, démarche fastidieuse en diable, citons tout de même quelques uns de ses films les plus emblématiques avec comme fil rouge ce traitement de l’enfance contrariée ou idéalisée que nous citions plus haut qui passe bien souvent par le prisme du fantastique ou de l’onirisme. En fait, il faudrait plus sûrement parler de fin de l’innocence même si le cinéaste n’aimait pas trop cette expression lui préférant plutôt « fin de l’inconscience » ramenant cela à son propre vécu :  « Je n’avais pas, avant l’âge de treize-quatorze ans, la moindre idée de ce qu’était la vie. Un jour, on comprend que, tôt ou tard, il va falloir franchir la porte, quitter le cocon familial. Perspective tout à la fois enthousiasmante et terrifiante. »

Robert Mulligan

Comme Friedkin dont il est contemporain, Mulligan vient de la télé. Lui qui se destinait à devenir prêtre sortira de la guerre où il servit dans un régiment de Marines avec des envies d’ailleurs. Il commencera ainsi tout en bas de l’échelle en étant garçon à tout faire chez CBS pour devenir en à peine 3 ans réalisateur. Dans les années 50 il sera ainsi à la baguette de centaines d’émissions. L’époque est en effet à la profusion, le medium expérimente et fait feu de tout bois tout en lançant dans le grand bain moult jeunes acteurs en devenir. C’est ainsi que Mulligan va travailler avec Anthony Perkins, Natalie Wood ou encore Steve McQueen qui n’oublieront pas ce personnage affable, intelligent et jamais à court de  bonnes idées quand celui-ci fera appel à eux pour ses films. Hollywood puise à l’époque sans cesse dans le vivier de la télévision et Mulligan ne fera pas exception tout en arrivant à imposer sa petite musique perso. Il sera bien aidé par Pakula qu’il rencontre lors de ses années de télévision. On l’a dit, leur association fera des étincelles 7 films durant faisant même dire à celui qui n’était pas encore le réalisateur de Klute, Les Hommes du président (All the President’s Men) ou À cause d’un assassinat (The Parallax View) au début des années 70 qu’il avait « (…) tant de plaisir à travailler avec Bob, tant de plaisir à produire ses films que j’oubliais mon désir de passer moi-même à la réalisation. »

Après Un été 42 et L’Autre pour lesquels Mulligan volait de ses propres ailes pourrait-on dire, sa dernière partie de carrière ne fut pas du même acabit. Il faut croire que même au temps du Nouvel Hollywood, l’homme et le cinéaste n’étaient plus assez singuliers pour prétendre à autre chose que de rentrer dans le rang. Et pourtant, on conseillerait sans problème aujourd’hui de revoir ou tout simplement de découvrir son dernier film réalisé en 1991. Un été en Louisiane (The Man in the Moon) rappelle de par ses thèmes et même son histoire Un été 42. Mulligan y filme avec une apparente simplicité et le tact qui empreint tout son cinéma un nouvel amour contrarié d’une adolescente qui prenait les traits de Reese Witherspoon dont c’était à 14 ans la première apparition au cinéma. Et quant à l’histoire censée se dérouler en 1957, on pouvait y voir comme un retour en arrière idéal vers une époque dorénavant fantasmée et chant du cygne d’une carrière qui mériterait d’être drastiquement redécouverte.

Comment le voir ?

En vidéo physique, il existe un DVD édité par Warner à l’image pas top top sans aucun bonus et distribué en exclu Fnac depuis 2009. La bonne nouvelle c’est que généralement le prix ne dépasse pas les 10 euros. Pour ceux qui préfèrent le découvrir dans de meilleures conditions techniques, un Blu-ray vient de voir le jour aux États-Unis (le 17 mars) au sein du fameux label Archive Collection chez Warner. Avant de vous jeter dessus sachez qu’il s’agit d’une galette zonée A, que niveau langue vous n’aurez que le choix de la VO et de sous-titres anglais et qu’au rayon bonus c’est toujours walou si ce n’est une bande annonce cuite dans son jus d’époque. La bonne nouvelle (il y en a toujours une) c’est que de dialogues il y en a peu comme on l’a déjà dit et que surtout l’éditeur s’est fendu d’une restauration 2K effectuée à partir d’un interpositif.

L'Homme sauvage (The Stalking Moon) - Jaquette Blu-ray

En vidéo dématérialisée, il semblerait que d’offre française il n’y ait point. Il est par exemple référencé sur FilmoTV mais rangé dans la case bientôt disponible. Pour le reste c’est le néant. Ceci étant dit, la chaîne Cine+ Classic l’a multi-diffusé entre janvier et mars 2020. Quasi un événement puisque le master utilisé était à l’évidence celui issu du master restauré alors que la précédente diffusion par TCM en 2017 l’était via celui assez terne utilisé pour le DVD.

Reste une dernière option qui est celle d’aller fureter du côté de sites pas halal où se ballade depuis quelques semaines un torrent à presque 10Go issu du nouveau master en VOST. On a pour le coup aucun mal à vous le conseiller tant il nous semble que c’est au moment où nous écrivons ces lignes la meilleure façon de (re)découvrir ce film.

Pour le reste de la filmo de Mulligan, on rappellera que L’Autre bénéficie d’une magnifique édition française Blu-ray + DVD + Livre éditée par WildSide dont nous vous parlions ici. Que Du silence et des ombres a été édité pour la première fois en Blu-ray en 2012 par Universal dans le cadre du 100ème anniversaire du Studio au sein d’un digibook ventru mais dont l’encodage en VC-1 et le master HD en font un objet au mieux vintage et en tout cas plus du tout aux normes d’aujourd’hui. Et qu’enfin Le Sillage de la violence (Baby the Rain Must Fall – 1965) avec Lee Remick et Steve McQueen devrait sortir chez Rimini en juillet 2020. Pour le reste nous n’avons droit qu’à des éditions DVD d’un autre âge à commencer par Un été 42 édité par feu MEP Vidéo en 2010 (la première édition de chez Aquarelle en 2008 n’est plus officiellement référencée) que l’on peut encore se procurer aujourd’hui pour la bagatelle de 85 euros (prix qui peut bien entendu fluctuer en fonction de la date de lecture de ce papier).

The Man in the Moon (Un été en Louisiane) - Affiche vidéo vintageAu temps de la VHS et du Laserdisc NTSC

Aux States, le choix (on va se cantonner au Blu-ray) est un peu plus riche. Outre Du silence et des ombres (Universal), Le Sillage de la violence et L’Autre (Twilight Times), on peut se procurer Un été en Louisiane chez Twilight Times (Region A et VOSTA / pas de bonus), Un été 42 et Daisy Clover (le 12 mai 2020 en Manfacture On Demand) chez Warner Archives (mêmes caractéristiques). Enfin, Une certaine rencontre (Love with the Proper Stranger – 1963) avec Natalie Wood et une nouvelle fois Steve McQueen est disponible chez Kino Lorber. Ressorti au cinéma chez nous en mai 2018, on vous parlait du film et du Blu-ray ici.

NB : Les citations et les visuels en N&B qui illustrent ce papier proviennent du livre présent au sein de l’édition Combo Blu-ray + DVD de L’Autre chez WildSide.

L’Homme sauvage (The Stalking Moon – 1968)

Réalisateur : Robert Mulligan
Avec : Gregory Peck, Eva Marie Saint, Robert Forster
Durée : 1h49
Distributeur :  Warner Bros.
Sortie en salles : 9 mai 1969

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