C’est l’automne et les festivals cinématographiques semblent se succéder dans toute la France d’Arras à Montpellier, de Rennes à Belfort, il semble possible de pouvoir en couvrir un par semaine sans pour autant voir les mêmes films. Chaque ville a le sien et, en général, même s’ils ne sont pas tous connus, ce sont des événements importants, avec une ligne directrice forte, qui rythment la cinéphilie d’une région ou d’un département.
La semaine dernière nous étions donc à Arras pour la quinzième édition du Arras Film Festival qui se déroulait du 8 au 17 novembre. La manifestation est organisée par une association, Plan séquence, très active dans la région Nord-Pas-de-Calais qui a l’habitude de participer à la diffusion de films de patrimoine et de mettre en place soirées ou projections dont le festival est le point d’orgue. L’un des côtés positifs du festival est la centralisation de pratiquement tout ce qui s’y passe. La Grand’ Place est pour l’occasion occupée par un énorme chapiteau blanc qui sert de village et de lieu de rencontre avec diverses personnalités, juste en face du cinéma La Movida et de ses 6 salles qui affichent régulièrement complet, peu importe les séances proposées.
Cette année, en une dizaine de jours, une centaine de films différents ont été projetés à Arras dans les différentes sections : avant-premières, découvertes européennes, visions de l’est, cinéma du monde, deux hommages à Stephen Frears et Asia Argento, deux rétrospectives autour de la première guerre mondiale et du cinéma italo-américain, une sélection familiale et une compétition uniquement européenne avec des films bien souvent encore dépourvus de distributeur chez nous. Et si on a pu être confronté à quelques déconvenues côté invités avec l’absence des réalisateurs mis à l’honneur pour des raisons médicales, cela ne s’est guère ressenti avec une ambiance toujours parfaite et une foule nombreuse.
Le jury, présidé par la réalisatrice Solveig Anspach, était constitué de Jean-Luc Gaget, Sophie Guillemin, Anamaria Marinca et Miel Van Hoogenbemt. Il a décerné son grand prix à Fair play d’Andrea Sedlácková, film tchèque qui représentera son pays aux oscars cette année mais qui pour l’instant n’a pas de distributeur en France. Si ce n’est pas notre coup de cœur, force est de constater la bonne santé du cinéma tchèque qui ose se confronter à son histoire récente. Le film parle du dopage sportif fréquent dans les pays de l’Europe de l’est pendant la période communiste, essentiellement au cours des années 80 et aborde de front un certain tabou alors qu’en athlétisme certains records du monde tiennent encore malgré les suspicions et les nombreux athlètes décédés jeunes ou ayant vieilli avec un état de santé plus que précaire. Pour aborder ce sujet, la réalisatrice a choisi le cadre familial et la relation entre une mère ancienne sportive déchue pour cause de rébellion vis à vis du régime et sa fille adolescente, future sprinteuse de haut niveau. Le principal sujet de tension entre eux est le père, ancien sportif lui aussi et réfugié à l’ouest que les deux femmes voudraient rejoindre sans y être autorisées. Ce cadre est intéressant car il fait pénétrer au cœur même des tensions et des enjeux idéologiques et médicaux liés au sport et à la prise de produits illicites. Par ailleurs l’importance accordée aux détails, à la reconstitution des décors et costumes, liés à une mise en scène de facture classique qui accompagne les personnages aide à s’inscrire dans une époque et un paysage étranger mais pas si lointain. Pourtant, en mettant trop en avant ces éléments, on peut regretter que d’autres fassent office de figuration. La manière dont la mère capitule face au dopage et résiste avec l’écriture, la mise en place du processus d’espionnage et des interrogatoires, la révolte de la fille apprenant qu’on lui inocule le produit à son insu, sa détresse lorsque son petit ami s’enfuit, tout ceci est bien trop rapidement montré. À défaut d’avoir un vrai film historique et politique, on a un drame familial de belle facture mais au final, un peu frustrant.
C’est déjà moins le cas du prix attribué par le jury presse du festival d’Arras et dont les points communs avec Fair play sont nombreux. Quod Erat Demonstrandum est roumain et est réalisé par Andrei Gruzsniczki. Lui aussi aborde la période communiste des années 80 et la répression forte du gouvernement mais sous l’angle des sciences au lieu du sport. Un mathématicien qui peine à terminer sa thèse ne parvient pas à être publié dans son pays et cherche à faire passer ses textes à l’étranger pour enfin bénéficier d’une reconnaissance. Il est aidé par un ami passé à l’ouest et entretient une relation ambiguë avec la petite amie de celui-ci qui veut le rejoindre en France avec leur fils. La comparaison entre les deux films est intéressante car autour de thématiques assez similaires, on voit deux directions opposées au niveau du traitement visuel et narratif. Le drame familial est moins poussé psychologiquement mais les à-côtés sont bien plus prégnants avec des réseaux de renseignements et des tensions professionnelles plus explicites et mieux mis en valeur. Le policier qui cherche à corrompre la femme en échange d’un passeport pour l’ouest devient central, de même qu’on voit s’établir les multiples ramifications entre les individus, les institutions et les administrations. En outre, de la couleur tchèque, on passe à un noir et blanc roumain avec un traitement très épuré qui met en évidence la pauvreté et l’aridité et l’ambiance mortifère et pauvre qui pouvaient régner à l’époque. Aucun distributeur français n’a pour l’instant sauté le pas.
Deux jurys, deux films et deux états d’esprit donc.
Du côté des autres sections, on était heureux de voir que le 35mm n’avait pas encore totalement disparu avec notamment les deux premiers films d’Asia Argento projetés dans ce format. Mais l’un des sommets de la semaine était certainement le ciné-concert du film belge d’Alfred Machin, Maudite soit la guerre, un hymne pacifiste réalisé en 1914 quelques mois avant la première guerre dans une Europe qui se préparait déjà au pire. Restauré dans ses teintes d’origine par la Cinémathèque Royale de Belgique, le film démontre de nombreuses qualités plastiques et visuelles malgré un scénario un peu simpliste qui voit deux amis devoir se battre l’un contre l’autre une fois les combats commencés. La partition créée pour l’occasion, menée par Jacques Cambra et interprétée par une vingtaine d’élèves de trois conservatoires d’Arras, de Belgique et d’Allemagne, était idéale et épousait magnifiquement les différents mouvements du film.
Par ailleurs, deux films dans les salles depuis le 19 novembre ont retenu notre attention, deux visions de l’adolescence aux antipodes l’une de l’autre tant d’un point de vue géographique que cinématographique. Le premier, A Cappella, du cinéaste coréen Lee Su-Jin, est un fait divers des plus monstrueux raconté d’une manière extrêmement habile. On commence à un moment clé de l’existence d’une ado murée dans un silence et une solitude difficilement explicable et tout comme on va suivre sa vie et sa passion pour le chant qui pourrait être un exutoire, en parallèle on va apprendre ce qu’elle a vécu et plonger dans l’horreur la plus totale. Entre la légèreté de sa voix et le poids de son passé, on navigue dans un monde chaotique et une description brute d’une Corée si traditionnelle, misogyne et machiste que d’un point de vue moral, le pays semble avoir 100 ans de retard.
Le second est plus léger malgré un début difficile et il est surtout très court, 1h10 à peine. Dans Cañada Morrison de l’argentin Matias Lucchesi, on suit une fille d’une douzaine d’années à la recherche d’un père qu’elle n’a jamais vu et dont elle ne connaît même pas le nom. L’action se situe au milieu de montagnes et d’un désert argentin magnifique que le cinéaste nous laisse contempler à loisir. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualités du film, malgré sa courte durée, il ne se précipite pas, il n’accumule jamais les actions inutiles, les séquences futiles, les personnages sans intérêt mais il prend son temps. Le récit est très linéaire mais la relation entre la jeune fille et l’institutrice qui l’aide dans son périple est limpide et les quelques rares personnages à des centaines de kilomètres à la ronde que l’ado rencontrera lui apporteront quelque chose et l’aideront à grandir. C’est d’ailleurs plus un film sur la manière de se retrouver, de rassembler les pièces de son puzzle personnel pour continuer et mûrir, qu’un film sur la filiation. Le but n’est pas de nouer une relation forte, de tout expliquer, d’aboutir à un mélo à l’américaine mais de chercher et de découvrir.
Au final, en quelques jours de présence au festival d’Arras, on aura juste eu l’occasion de défricher un programme riche et rigoureux qui peut aisément attiser la curiosité de ceux qui veulent en savoir plus sur le monde qui les entoure. Le public ne s’y est pas trompé en venant en masse découvrir des films qui offrent un panorama de l’Europe et du monde contemporain diversifié et intéressant.
PALMARES DU FESTIVAL D’ARRAS :
Atlas d’or / Grand prix du jury : Fair Play d’Andrea Sedlácková (République Tchèque / Slovaquie, 2014)
Atlas d’argent / Prix de la mise en scène : The Fool (Durak) de Yuri Bykov (Russie, 2014)
Mention spéciale du Jury : Pause de Mathieu Urfer (Suisse, 2014)
Prix de la Critique : Quod Erat Demonstradum de Andrei Gruzsniczki (Roumanie, 2014)
Prix du public : The Fool (Durak) de Yuri Bykov (Russie, 2014)
Prix Regards jeunes Région Nord-Pas de Calais : The Fool (Durak) de Yuri Bykov (Russie, 2014)