Cartoon Movie 2018 : L’animation européenne a de l’avenir !

Depuis 20 ans maintenant, les principaux acteurs économiques du cinéma d’animation européen se réunissent au début du mois de mars au Cartoon movie pour trois jours d’un forum professionnel visant à aider les coproductions dans le domaine du long-métrage. Pour la deuxième fois, cette manifestation a lieu à Bordeaux et plus les années avancent, plus le nombre de projets présentés et de participants sont importants, montrant ainsi la vitalité d’un secteur cinématographique autrefois peu présent.

Cartoon movie 2018Cartoon movie 2018

Lors de cette édition du Cartoon movie, ce sont plus de 60 projets qui furent pitchés dans des cessions de 20 minutes pour les films actuellement en développement, en production ou déjà terminés et à la recherche de distributeurs ou diffuseurs internationaux, et de 10 minutes pour ceux qui n’en sont qu’à l’état de concept. Bien sûr, tous les films proposés ici ne verront pas le jour, certains retombant vite dans les oubliettes des projets avortés alors que d’autres viendront plusieurs fois et trouveront les moyens de se concrétiser. Depuis 1999, ce sont ainsi 302 projets présentés ici qui ont pu trouver des financements.

Cartoon movie 2018 : La France en tête du nombre de projets.

Cette année, plus d’un tiers des projets étaient produits ou coproduits par la France, qui s’affirme encore une fois comme l’une des nations importantes pour le cinéma d’animation. Parmi eux, plusieurs films sont déjà très attendus et d’autres furent de vraies découvertes. Dans les plus avancés, on a pu voir une quinzaine de minutes de Croc-Blanc d’Alexandre Espigares, cinéaste récompensé d’un Oscar pour le court-métrage Mr. Hublot en 2014. Le film sort le 28 mars et si on est plutôt satisfait, après cet aperçu, du rendu animalier et de la motion capture, utilisée pour la première fois sur des chiens, c’est moins le cas des êtres humains dont les mouvements ressemblaient à ceux de personnages de jeux-vidéos. Affaire à suivre…

Parmi ceux dont on parle depuis longtemps et déjà présentés au Cartoon movie, on a pu avoir des nouvelles de La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, adapté du seul ouvrage pour enfant de Dino Buzzati et produit par Prima Linea. On en causait à Cannes en 2015 et le film avance très bien. Les producteurs ont décidé de revenir à de la 2D, l’histoire a été réécrite pour ne pas avoir à subir les affres d’une voix-off sur la totalité du métrage, avec l’ajout de deux personnages narrateurs. Et surtout les premières images et les quelques séquences animées qu’on a pu voir sont convaincantes. Si tout semble plus lisse que dans les œuvres graphiques de Mattotti – et que dans ses dessins préparatoires –, les couleurs devraient être aussi belles et surtout, sous forme de clins d’œil, il s’est amusé à replacer les dessins originaux que l’auteur du roman avait lui-même créés. On a hâte de voir le résultat, peut-être en 2019.

La Fameuse invasion des ours en Sicile - Cartoon movie 2018La Fameuse invasion des ours en Sicile - Cartoon movie 2018La Fameuse invasion des ours en Sicile – Prima Linea

On retiendra également du Cartoon movie le projet d’Anca Damian, L’Extraordinaire voyage de Marona, produit par Sacrebleu. Présenté aux deux derniers Cartoon movie, le projet avance bien lui aussi et se concrétise rapidement – surtout pour un film d’animation. Ce rythme de production constant d’un long-métrage tous les trois ans devient la marque de fabrique de la cinéaste roumaine qu’on connaissait déjà pour Le Voyage de Monsieur Crulic, sorti chez nous fin 2012 et pour La Montagne magique, sorti en France en décembre 2015. Spécialiste d’un cinéma politique et adulte, elle fait pour la première fois un film plus familial autour de l’histoire d’une petite chienne, ballotée de foyer en foyer et de maître en maître et qui n’aspire qu’à trouver un chez soi. Vu ses films précédents, il ne faudra pas s’attendre à quelque chose de serein, de mignon ou de tout repos et c’est tant mieux. Elle a eu la bonne idée de s’adjoindre les services de Brecht Evens, l’un des plus importants auteurs graphiques actuels, qui a pu apporter son expertise pour la création graphique et la création des personnages. Le style de ce dernier colle bien à l’univers souvent hybride, expérimental et peu porté sur les perspectives classiques d’Anca Damian.

L'Extraordinaire voyage de Marona - Cartoon movie 2018 L'Extraordinaire voyage de Marona - Cartoon movie 2018L’Extraordinaire voyage de Marona – Sacrebleu

Dans des teintes rose bonbon, porté par Autour de minuit (France) et Uniko (Espagne) signalons le développement de Unicorn wars qui devrait être le nouveau film du réalisateur ibérique Alberto Vazquez, auteur de Psiconautas et de plusieurs courts-métrages dont Sangre de unicornio réalisé en 2014. Dans ce dernier, deux nounours, l’un adorable et fort, l’autre mou et timoré, vont à la chasse à la licorne dans un univers dégoulinant de mignonitude sanglante. Une fois la dernière d’entre elle morte, l’un des mystères du monde sera révélé. Vazquez a choisi de prolonger cette petite merveille d’humour noir totalement nihiliste et vaine pour en faire un long-métrage. On retrouvera ces deux protagonistes, dont les parents sont morts, dans un camp militaire où les mots d’ordre sont « Honneur, Douleur et Câlins ». Le plus solide des deux adore le sang de licorne car il confère la beauté éternelle mais son frère n’est pas un grand amateur de guerre et tout ce qu’il veut c’est être apprécié de son frère. Mais pour ça, il va devoir combattre ! Les images et le teaser promettent du rose, du noir, du sang et du kawaii révolté. En plus des producteurs déjà cités, Vincent Tavier (C’est arrivé près de chez vous) sera de la partie avec sa société Panique (Calvaire, Panique au village). Que faut-il de plus ? Des distributeurs !

Unicorn wars - Cartoon movie 2018Unicorn wars - Cartoon movie 2018Unicorn wars - Cartoon movie 2018Unicorn wars – Autour de minuit

Enfin, s’il fallait en citer un dernier dans lequel une production française est engagée – et malgré l’excellente liste de projets qui a vu se succéder Jean-François Laguionie pour Slocum, et l’histoire d’un enfant passionné de navigation dont le père construit un bateau, Anaïs Caura pour Eugène tiré de sa websérie The Man woman case sur un condamné à mort transgenre, ou Winschluss qui veut adapter sa BD Dans la forêt sombre et mystérieuse – nous retiendrons Allah n’est pas obligé de Zaven Najjar.

Slocum - Cartoon movie 2018Slocum – JPL Films

Ce projet encore en développement sera suivi par Sébastien Onomo, qui va peut-être renouveler l’animation adulte dans les années à venir tant ses projets sont percutants. On le connait pour avoir produit le polar Le Gang des antillais l’année passée mais, associé à deux sociétés de productions, il a plusieurs films animés en chantier. Avec Les Films d’ici, qui n’avaient plus rien fait en animation depuis Valse avec Bachir, il a fait Funan de Denis Do, sur une mère qui cherche son enfant dans le Cambodge des Khmers rouge, qui devrait voir le jour en festival d’ici quelques mois. Il projette également une adaptation d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad dans un futur proche au Brésil et au milieu des favelas. Il produira le nouveau long-métrage, le premier en animation, de Sepideh Farsi (Red rose), La Sirène, sur la guerre Iran/Irak pendant les années 1980 dans une petite ville iranienne prise sous les assauts irakiens.

Sébastien Onomo et Zaven Najjar - Cartoon movie 2018Sébastien Onomo et Zaven Najjar – Cartoon movie 2018

Allah n'est pas obligé - Cartoon movie 2018Allah n’est pas obligé – Special touch studio

Avec Allah n’est pas obligé, Zaven Najjar, directeur artistique sur La Sirène, réalisera donc son premier film avec Onomo mais cette fois pour Special touch studio. Le projet est l’adaptation du roman d’Ahmadou Kourouma, publié en 2000 et récompensé par le Renaudot et le Goncourt des lycéens. Il suit l’histoire d’un enfant ivoirien d’une douzaine d’années dont la mère meurt et qui doit rejoindre sa tante au Libéria. En traversant les pays, aidé d’un féticheur, il sera enrôlé comme enfant-soldat avec tout ce que ça entraîne dans le sordide : drogue, meurtres, etc. On est dans un film pour jeunes adolescents et adultes avec une fois encore une thématique forte et un rendu graphique marqué et surtout une véritable volonté de proposer un regard différent sur le monde à l’aide de l’animation, plus politique et social.

Allah n'est pas obligé - Cartoon movie 2018Allah n’est pas obligé – Special touch studio

Cartoon movie 2018 : Quelques projets étrangers très attendus.

Parmi les autres projets non français, plusieurs retiennent l’attention, comme la dernière production Cartoon saloon nommée à l’oscar et qu’on verra dans les salles françaises en juin, Parvana, une enfance en Afghanistan de Nora Twomey adapté du roman de Deborah Ellis ; mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Idem pour le film en volume estonien Captain Morten qui devrait écumer les festivals d’ici peu avec son héros qui rétrécit et devient capitaine d’une maquette de navire. Encore en concept, peut-être qu’on entendra reparler de Gabo, projet hispano-colombien autour du moment où Gabriel Garcia Marquez a trouvé la voie pour écrire 100 ans de solitude. Plus avancé, il faut également signaler, toujours en Espagne, Buñuel et le labyrinthe de la tortue (qui sortira finalement sous le titre français Buñuel après l’âge d’or Edit juin 2019), qui relate le tournage difficile de Las Hurdes (Terre sans pain) du réalisateur surréaliste. Le film promet un grand moment de cinéma avec des visions et des rencontres animées avec ceux qui côtoyaient Buñuel à l’époque. Mais pour le moment, trois films ont retenu notre attention.

Buñuel après l’âge d’orBuñuel après l’âge d’or – The Glow animation studio

Les deux premiers sont fin prêts, ont déjà été pitchés au Cartoon movie, et pourraient, on le leur souhaite, connaitre les honneurs des festivals d’ici peu, même ceux qui en général accordent peu de place à l’animation vu leur sujet et leur traitement. Another day of life de Damian Nenow et Raoul de la Fuente et Chris the swiss d’Anja Kofmel ont ceci en commun que ce sont deux films sur la guerre, deux films partagés entre documentaire et fiction et qui mêlent animation et prises de vues directes. On a pu voir une quinzaine de minutes de chacun des deux et, malgré un traitement graphique et narratif différent, ils explosent les conventions tout en explorant d’autres voies dans le traitement de thématiques délicates. Another day of life est l’adaptation d’un ouvrage du grand reporter polonais Ryszard Kapuściński qui, dans les années 70, est allé suivre pendant trois mois la guerre civile en Angola et en est revenu complètement changé dans son rapport à l’histoire et à l’implication dans les combats. Coréalisé par un animateur polonais, dont le précédent court-métrage, Path of Hate, avait bien circulé, et un documentariste espagnol récemment nommé à l’Oscar du meilleur court documentaire, le film montrera à la fois l’Angola de l’époque, les prises de position du journaliste, l’entrée dans son univers mental, mais également des images actuelles avec des interventions des protagonistes du livre encore vivants.

Another day of life - Cartoon movie 2018 Another day of life - Cartoon movie 2018Another day of life – Platige image

Face à lui, Chris the swiss est un projet qu’Anja Kofmel suit depuis pratiquement 10 ans et sa sortie de l’école d’arts de Lucerne. Son cousin, Christian Würtenberg, journaliste qui a suivi la guerre en ex-Yougoslavie au début des années 1990, a été retrouvé mort quelques temps après s’être engagé dans une milice armée à la même époque. Son décès, médiatisé à l’époque, a posé de nombreuses questions, notamment après l’enquête d’un de ses amis britanniques qui fût tué à son tour trois jours plus tard. Marqué par l’événement, ne sachant pas ce qui a pu se produire, la cinéaste qui avait 10 ans à l’époque, a cherché à reconstituer ce qui s’est passé, entre les souvenirs d’enfance et les impressions subjectives animées, et des entretiens en prise de vues continues avec ceux qui l’ont connu afin de poursuivre l’enquête.

Chris the Swiss - Cartoon movie 2018 Chris the Swiss - Cartoon movie 2018Chris the Swiss – MA.JA.DE

Le dernier projet, et non des moindres, avait déjà été présenté en 2013 à Cartoon movie et avait quasiment disparu de la circulation par la suite. Il s’agit d’un projet Allemand, coproduit par la Turquie et la Belgique, intitulé Kara et mené par une animatrice spécialiste des marionnettes : Sinem Sakaoglu. Le film sera réalisé en volume avec intégration de quelques effets visuels via informatique. L’histoire ? Elle est à la fois documentaire et fictionnelle, la réalisatrice puisant dans des souvenirs lointains qui, avec le temps, se sont entremêlés d’une dimension fantastique.

Kara - Cartoon movie 2018Kara – Cartoon movie 2018

Kara, adolescente de 13 ans, part à Istanbul avec sa grand-mère et en arrivant cette dernière n’est plus là. Elle se retrouve donc parmi des millions d’individus dans les rues d’une ville où elle va errer avant de faire la connaissance d’un chat plein de puces, d’une autre vieille dame et un jeune garçon. Ce sera l’été des découvertes et un voyage sur les toits, les marchés, le port et dans la ville, à la recherche de quelqu’un qui n’est finalement déjà plus là. La cinéaste décrit son film comme pourvu d’une certaine mélancolie mais également d’un humour à la limite de l’absurde, l’ensemble étant une manière de parler de la vie et de la mort.

Kara - Cartoon movie 2018Kara - Cartoon movie 2018Kara – Visual Distractions

Déjà en 2013, la présentation fût efficace et les difficultés étaient plutôt d’ordre financier car le film devait couter 15 millions d’euros, soit deux à trois fois le budget d’un long animé indépendant en Europe. De retour en 2018, la cinéaste a évoqué cette fois une enveloppe de 13 millions, et un film réalisé en 3D stéréoscopique afin « d’augmenter la profondeur et la texture du monde magique de Kara ». Mais on comprend l’investissement financier vu l’envergure du projet. L’écriture est maintenant terminée, un teaser existe, les marionnettes sont créées, et les décors également à plusieurs échelles afin de pouvoir observer la ville dans son intégralité mais également de se concentrer sur certains détails. Des caméras spéciales ont été mises au point afin de créer des mouvements fluides tout en animant les poupées. Enfin, il est prévu un travail collaboratif sur une vingtaine de petits plateaux en simultané afin de réaliser sur chacun d’eux environ 3 secondes d’animation par jour. Si tout se passe bien, et qu’un coproducteur et quelques distributeurs ou vendeurs internationaux acceptent de participer financièrement au film, il pourrait être prêt fin 2021.

Kara - Cartoon movie 2018Kara - Cartoon movie 2018Kara – Visual distractions

Voilà pour cette édition !

Le cartoon movie c’est également l’occasion pour la profession de remettre des prix, les Cartoons Tribute décernés au réalisateur, au producteur et au distributeur européen de l’année. En 2018 les récompensés furent Dorota Kobiela (Polologne) & Hugh Welchman (Royaume-Uni), réalisateurs de Loving Vincent dont on avait parlé ici. Côté producteurs ce sont ceux d’Another day of life qui sont repartis avec la récompense : Platige Films (Pologne), Kanaki Films (Espagne), Walking the Dog (Belgique), Wüste Film (Allemagne), Animationsfabrik (Allemagne) et Puppetworks (Hongrie). Et le meilleur distributeur Latido Films (Espagne) qui a notamment distribué Psiconautas d’Alberto Vazquez et travaille actuellement sur Buñuel et le labyrinthe des tortues de Salvador Simó. À noter que pour la première fois, un prix Eurimages, destiné à promouvoir les coproductions européennes et doté de 20 000 euros fût décerné au meilleur projet et c’est Kara de Sinem Sakaoglu qui l’a remporté.

Cartoon movie 2018Cartoon movie 2018

2 réflexions sur « Cartoon Movie 2018 : L’animation européenne a de l’avenir ! »

  1. Bonjour,
     
    Je suis Selim Allee et travaille chez Sacrebleu Productions, ayant co-produit L’Extraordinaire Voyage de Marona que vous avez cité dans un de vos articles en date du 26 mars 2018 : https://digitalcine.fr/cinema/festivals-cinema/34071-cartoon-movie-2018-animation/
     
    Merci beaucoup de vous être intéressé à notre film !
     
    Ceci étant, nous avons pu remarquer une petite erreur concernant la qualification du rôle de Brecht Evens, et je voulais vous demander s’il serait possible de la corriger ? Celui-ci n’était pas directeur artistique mais en « Consultation création graphique et Création des personnages ».
     
    Merci à vous !
     
    Très belle journée à vous,

  2. Bonjour,

    Merci pour votre message, nous avons corrigé selon vos précisions.

    Bien à vous

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