Cannes Jour 1 - Image une

Journal de bord d’un festivalier – Cannes jour 1 (ou presque)

Enfin ! Avec deux jours de retard, cette 75ème édition du festival de Cannes sera celle du retour sur la Croisette pour Digitalciné après 4 ans d’absence dont deux années liées à la pandémie. Pour rappel, elle a fait disparaître une édition et a déplacé l’autre à une date qui ne nous arrangeait guère.

Salle Debussy - Cannes 2022

Et après un réveil brutal et quasiment 6h de train pour une arrivée en gare de Cannes à l’heure du déjeuner, force est de constater que (presque) rien n’a changé. Le ciel est toujours aussi bleu, la mer berce le trajet tout de la côte depuis Marseille et, une fois sur place, la foule de festivaliers grouillent toujours. Du côté des programmes, les sélectionneurs boudent toujours autant le cinéma d’animation lors d’une année pourtant prometteuse. On se consolera avec le marché du film et (peut-être) le Petit Nicolas.

Seules différences : l’apparition d’un nouveau cinéma, le Cinéum situé à une vingtaine de minutes du centre de Cannes (navette gratuite pour les accrédités), qui reprend l’intégralité des films de la compétition et une billetterie en ligne qui fait des siennes. Depuis mardi, il apparaît en effet que les comptes Twitter et Facebook des professionnels du cinéma parlent davantage des places qu’ils n’ont pas obtenues que des films qu’ils ont vus. Si les vigiles et autres stewards ne portaient pas systématiquement un masque et qu’une annonce préconisant son port pendant les séances ne rythmaient pas les avant—projections, on aurait l’impression que le virus n’a jamais vraiment été là.

De notre côté, peu de promenades sur le front de mer de Cannes et la réapparition d’un certain côté vampire (mais un cinéphile évite toujours le soleil pour préférer les salles obscures). Juste le temps de déposer les affaires et de s’accréditer avant de longer les couloirs du palais des festivals pour retrouver ses marques et enchaîner 4 films. Et autant de pays, de styles et de diversité formelle ou scénaristique.

Harka (Un Certain regard - Cannes 2022)Harka de Lotfy Nathan (Un Certain regard)

On a commencé par Harka de Lotfi Nathan. Le cinéaste américano-égyptien, connu jusque là pour quelques documentaires, nous emmène en Tunisie pour suivre le périple d’un vendeur d’essence à la sauvette. Malheureusement cette fiction, sorte de réflexion sur les espoirs avortés des printemps arabes tombe quelque peu à l’eau malgré de très beaux moments. la faute sans doute pour son côté trop « hollywoodien » : la musique qu’on dirait venue du fin fond des années 80 est trop présente et pour ne pas dire ratée, le cinéaste aligne par ailleurs les sujets d’actualité (émigration, corruption, banalisation…) comme s’il ne fallait rien oublier sans ne jamais rien approfondir, son point de vue est quant à lui incertain entre une voix off de fillette et le protagoniste jamais vraiment à ses côtés. Dommage car les acteurs sont justes, la réalisation brute et chaude intéressante, amenant d’autant mieux le final incandescent.

Itim (Cannes Classics - Cannes 2022)Itim Mike de Leon (Cannes Classics)

S’en est suivi une belle découverte avec Itim (dossier de présentation en cliquant sur le titre du film) de Mike de Léon à Cannes Classic. Premier film d’un cinéaste philippin engagé et méconnu en dehors de ses propres frontières, il vient d’être restauré et ressortira sous la bannière Carlotta. Le coscénariste, présent lors de la projection, évoque l’influence de Blow up (Michelangelo Antonioni – 1966) pour ce film de fantômes singulier. Si, effectivement, Antonioni saute aux yeux dans cette rencontre d’un photographe et d’une jeune femme hantée par l’esprit de sa sœur décédée, c’est plus largement le formalisme cinématographiques des grands du fantastiques des années 1970 qui sonnent comme une évidence. Par moment, on croirait voir Argento ou de Palma – en plus calme néanmoins – à Manille et la modernité de Mike de Léon n’a rien à envier à celles des grands cinéastes de la même époque.

La Femme de Tchaikovsky - Cannes 2022 (Compétition)La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov (sélection officielle)

Par la suite nous avons renoué avec deux habitués en compétition qui n’ont pas déçu. La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov est une autre plongée dans la folie humaine, celle d’un 19ème siècle qui faisait des femmes les esclaves de leurs maris. Le cinéaste reprend des éléments de la vie du compositeur russe, qu’il romance, pour dresser le portrait de l’obsession amoureuse de son épouse. Tout est mené de main de maître à l’aide d’une caméra virtuose, sans cesse en mouvement comme chorégraphiant et modelant les lieux et le temps dans une composition qu’on croirait par moment théâtrale par son côté « artefactuel » qui rappellera La Fièvre de Petrov. Tout est fait pour nous propulser dans l’état mental profondément sombre et romantique (et donc destructeur) d’une femme délaissée par un mari qui préfère les hommes jusqu’à se mettre à la haïr. Là encore le final est impressionnant, renouant avec certains partis pris de Leto.

EO - Cannes 2022 EO de Jerzy Skolimowski (sélection officielle)

Last but not least, EO le film de Jerzy Skolimowski. Ne lisant ou regardant rien avant de découvrir un film, vu le titre on pensait voir quelque chose lorgnant sur la SF et on a eu droit à la vie d’un âne, les deux lettres étant l’équivalent polonais de notre « hi-han ». Qui dit âne et cinéma dit Au hasard Balthazar (ou Shrek selon les cinéphilies) mais le cinéaste fait ici l’inverse total du cinéma de Bresson auquel on ne songera jamais. Et davantage que le labeur animal, le cinéaste filme ici sa confrontation avec la bêtise, la cruauté et la bizarrerie humaine dans toute son étendue la plus sauvage et repoussante. Sa manière de filmer le point de vue – ou plutôt le point d’écoute tant le travail sur son est impressionnant – de l’animal est plus proche de Nicolas Winding Refn et de ses expériences visuelles démentes que de la sobriété du cinéaste français. Filtres colorés, éclairages stroboscopiques, inversion temporelle, utilisation de drones et d’une Isabelle Huppert en roue libre pour une séquence singulière font de ce film un voyage qui lorgne vers le kitsch mais dont on est heureux de ne pas l’avoir raté.

Quatre films et autant de propositions cinématographiques fortes qui ne laissent guère indifférents. Pas mal pour une première journée. Étonnamment, on en viendrait à tisser des liens entre chaque, de l’écran flou des souvenirs vaporeux aux surimpressions et à l’abstraction des paysages mentaux, certaines formes semblent étonnamment revenir de film en film.

Demain ce sera principalement Un certain regard – si on arrive à entrer en salle – avant de finir sur un polar coréen.

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *